4 décembre 2012

Voyage à Tokyo (1953) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Tôkyô monogatari »
Autre titre français : « Conte de Tokyo »

Conte de TokyoUn couple de provinciaux âgés vient à Tokyo rendre visite à leurs enfants. Leur fils, médecin de quartier très pris par son travail, et leur fille, commerçante grincheuse et égoïste, ne leur accordent que peu de temps et cherchent à s’en débarrasser en demander à leur belle-sœur de leur faire visiter la ville…
Pour beaucoup d’amateurs de cinéma, la découverte du cinéma de Yasujirô Ozu s’est faite avec Voyage à Tokyo qui fut son premier film à être distribué largement en France à la fin des années soixante-dix. Et ce fut un choc car son cinéma ne ressemblait à rien de ce que nous avions vu précédemment : plans fixes, caméra très basse (de ce fait les personnages, même accroupis, sont toujours vus en légère contre-plongée, ce qui les valorise sans toutefois que le spectateur en soit conscient), les champs-contrechamps à 180 degrés et les regards-caméra des acteurs (1)(ce qui nous met vraiment dans la peau des personnages), les très beaux plans (vides) de transition, la photographie épurée, les plans graphiques, le déroulement très placide du récit avec de vastes ellipses impromptues et surtout cette grande douceur et cette sensation d’harmonie et de sérénité qui se dégagent de ses images. Ozu nous immerge totalement, nous avons l’impression de partager étroitement la vie de ces êtres, le choc purement cinéphilique étant renforcé par le choc culturel. Le fond du propos de Voyage à Tokyo est la déliquescence des liens familiaux du fait de la modernisation de la société japonaise. Le contraste de l’égoïsme des enfants avec la grande pudeur du père ou l’altruisme de la belle-fille viennent appuyer le propos. Ozu n’a besoin d’aucun effet dramatique pour cela. Comme les meilleurs films d’Ozu, Voyage à Tokyo donne l’impression de nous traverser et transformer un petit quelque chose au fond de nous.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Chishû Ryû, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sô Yamamura, Kuniko Miyake, Kyôko Kagawa, Eijirô Tôno
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site IMDB.

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Remarques :
* Voyage à Tokyo a été écrit par Yasujirô Ozu et Kôgo Noda, son fidèle collaborateur avec lequel il a écrit pratiquement tous ses films des années cinquante et soixante.

* Chishû Ryû est particulièrement bien vieilli car l’acteur a moins de cinquante ans lors du tournage. Il fait une prestation remarquable.

* Voyage à Tokyo n’est sorti en France qu’en 1978 (Etats-Unis : 1964)

(1) Regard caméra = l’acteur regarde en direction de la caméra. Très tôt dans l’histoire du cinéma s’est établie la convention que l’acteur ne doit jamais regarder la caméra. A noter, toutefois, que techniquement parlant dans les films d’Ozu, ce n’est pas exactement un regard caméra, les acteurs regardant très légèrement au dessus ou à côté de la caméra, mais l’impression pour le spectateur est (presque) la même que le regard caméra.

27 novembre 2012

Eté précoce (1951) de Yasujirô Ozu

Titre original : « Bakushû »
Autre titre français : « Début d’été »

Début d'étéDans une banlieue calme de Tokyo, trois générations de la famille Mamiya vivent sous le même toit. A 28 ans, Noriko est en âge de se marier. Le patron de la jeune femme propose de lui présenter un de ses amis, un beau parti. L’idée séduit la famille et tout particulièrement le frère de Noriko… Tourné deux ans après Printemps tardif, Été précoce se situe au même moment charnière de la vie d’une famille, le mariage de la fille. La situation est toutefois totalement différente car nous sommes ici face à une famille complète (1) qui ne repose pas sur une seule liaison forte (la relation père/fille de Printemps tardif) mais sur un entrelacs de liaisons entre les différents membres de la famille. Ceci permet à Ozu d’introduire de petites histoires qui, toutes ensemble, forgent l’histoire de cette famille. Le nœud central reste toutefois le mariage de la fille et Ozu oppose le mariage arrangé sans amour au mariage désiré. Une fois de plus, son héroïne est une jeune femme qui a une approche plutôt moderne, capable de résister à la pression familiale. Début d'été Sans bousculer les traditions, elle cherche à conserver son libre arbitre et à faire ses choix de vie. Un autre élément fort (et récurrent) introduit par Ozu est cette notion que le bonheur est tout près de nous et qu’il faut avoir la sagesse de savoir le voir. Sur le plan de la forme, on retrouve dans Été précoce tous les éléments qui font le style et le charme des films d’Ozu : régularité du tempo, plan fixes très graphiques, camera au ras du sol, harmonie et douceur.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Setsuko Hara, Chishû Ryû, Chikage Awashima, Kuniko Miyake, Ichirô Sugai, Chieko Higashiyama, Haruko Sugimura, Shûji Sano, Seiji Miyaguchi
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(1) Il faut toutefois noter la mention d’un troisième enfant qui n’est pas revenu de la guerre. Il est porté disparu, l’espoir d’un retour n’existe plus que très faiblement dans l’esprit de la mère. Si cet enfant manquant n’est que brièvement mentionné, Ozu introduit là un élément de fragilité : nous ne somme pas face à une famille idéale et solide mais une famille qui a déjà connu une déchirure, ce qui la rend plus proche de nous.

11 septembre 2012

Le vent de la plaine (1960) de John Huston

Titre original : « The Unforgiven »

Le vent de la plaineLa famille Zachary vit isolée dans les grandes plaines de l’Ouest : la mère, ses trois fils dont l’aîné est le chef de famille, et Rachel qui a été recueillie bébé et adoptée. Apparaît un mystérieux et fantomatique cavalier qui prétend connaître une vérité cachée et prédit que justice sera faite… Adaptation d’un roman d’Alan Le May (également auteur de La prisonnière du désert adapté par John Ford et dont le thème est assez proche), Le vent de la plaine est un film qui a connu un tournage difficile du fait d’accidents, de mésententes et d’un environnement hostile. De plus, le premier montage fut amputé de nombreuses scènes par les producteurs. John Houston juge sévèrement le résultat. Et pourtant, Le vent de la plaine reste un beau film, intéressant par les thèmes qu’il aborde (le poids du passé, la conscience, le racisme, la cohésion sociale, …)(1) et servi par une belle mise en scène, Le vent de la plaine précise et même inventive, qui sait tirer profit de la beauté des décors naturels(2). Les personnages forts sont nombreux et Audrey Hepburn étonnamment dans le ton, sa juvénilité et son charme sont tous à fait dans le personnage, même si l’actrice montre ses limites dans les scènes les plus dramatiques.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Burt Lancaster, Audrey Hepburn, Audie Murphy, John Saxon, Charles Bickford, Lillian Gish, Albert Salmi, Joseph Wiseman
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(1) De façon surprenante, Le vent de la plaine fut à sa sortie jugé comme étant raciste envers les indiens par la critique alors que le propos est tout à fait (et de façon évidente) contraire.
(2) Le film a tété tourné au Mexique, dans le désert de Guadiana près de Durango.

3 août 2012

L’arbre aux sabots (1978) de Ermanno Olmi

Titre original : « L’albero degli zoccoli »

L'arbre aux sabotsLa vie d’une ferme lombarde à la fin du XIXe siècle, où vivent cinq familles de paysans sur des terres appartenant à un notable… L’arbre aux sabots est un film unique en son genre. Avec pour acteurs de simples paysans de la région de Bergame (1), filmant en 16 mm entièrement en lumière naturelle, Ermanno Olmi nous immerge dans un monde presque oublié. Les trois heures passent très rapidement. Sur l’espace de quatre saisons, nous assistons et partageons les évènements mais aussi le quotidien de cette vie très rurale. Le travail accompli par Ermanno Olmi est remarquable, la vérité de son regard force l’admiration. Il a su éviter tout spectaculaire et toute facilité pour rester dans la simplicité. Contrairement au 1900 de Bertolucci, L’arbre aux sabots ne porte pas de message politique. Beaucoup ont voulu en trouver un, déceler sous le récit quelque poison idéologique pernicieusement entrelacé… mais il n’en est rien. Le propos d’Ermanno Olmi est plus philosophique (2), il questionne sur le sens profond de la vie : en nous montrant les ancrages de cette société rurale (nature, famille, religion), il nous propose une réflexion sur les ancrages de la nôtre mais sans pour cela prôner un retour à d’anciennes valeurs. L’arbre aux sabots est ainsi un film d’une très grande portée.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs:
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L'arbre aux sabots(1) Bergame est situé en Lombardie à environ 50 km au nord-est de Milan. Ermanno Olmi est originaire de cette région. Le dialecte parlé dans le film, le bergamesque, est celui de ses grands-parents.  

(2) Dans un interview pour le journal Il Tempo, Olmi décrit ainsi le but de son film L’arbre aux sabots : « Certainement pas par nostalgie d’un monde désormais impossible à proposer, mais par besoin de nous confronter à nouveau avec une réalité que nous avons mise de côté trop hâtivement, sans rien décider de ce qu’il fallait conserver en vue d’une réalité différente mais qui n’est pas sans présenter des exigences semblables au plan spirituel et humain. »

29 juillet 2012

Melancholia (2011) de Lars von Trier

MelancholiaAlors qu’une gigantesque planète menace la Terre, Justine se marie sans entrain et tente de montrer bonne figure lors de la réception compassée organisée dans la somptueuse demeure de sa sœur… Le prologue de Mélancholia, montrant la Terre se pulvériser contre la planète géante, ne laisse aucun espoir. Ce prologue esthétisant est très beau avec une utilisation originale des ralentis et une atmosphère irréelle puissante. La scène du grand choc est superbe. Ensuite, hélas, nous devons supporter pendant une bonne heure une réception de mariage passablement insupportable (où l’on se dit que l’apocalypse aurait pu avoir le bon goût d’arriver avant la réception plutôt qu’après). La réception révèlera de grandes tensions entre les membres de la famille, ce qui nous rappelle Festen à ceci près que le propos est ici étonnamment vide. Mis à part deux ou trois personnages très typés et symboliquement chargés (le beau-frère = rationalité et matérialisme, le patron = cynisme), les autres sont assez inconsistants. Ce vide est encore plus apparent dans la seconde partie où Charlotte Gainsbourg n’exprime quasiment qu’un seul sentiment en boucle. Mis à part les habituels désagréments de la caméra à l’épaule et du montage stressé, l’image est très belle, avec des éclairages très travaillés. Toujours très près de ses personnages, Lars von Trier multiplie les plans sur le visage Kisten Dunst dont la beauté crée un fort contraste avec son tourment intérieur : la fin du monde, elle (Justine) la souhaite, tout porte d’ailleurs à penser que le film ne se déroule que dans sa tête… Joli mais ennuyeux.
Elle:
Lui : 1 étoile

Acteurs: Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Charlotte Rampling, John Hurt, Stellan Skarsgård, Udo Kier
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Melancholia

23 mars 2012

Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009) de Christophe Honoré

Non ma fille, tu n'iras pas danserSéparée de son mari, Léna a bien du mal à trouver son équilibre malgré sa relation très fusionnelle avec ses deux enfants. Sa mère, sa sœur et même son ex-mari tentent de l’aider mais Léna refuse que l’on pense pour elle, que l’on choisisse à sa place ce qui est bon pour elle… Non ma fille, tu n’iras pas danser est donc un portrait de femme fragilisée en butte à son entourage proche. Si le début du film nous fait ressentir une inévitable empathie pour Léna face à cette famille qui tente de régimenter sa vie, son aptitude à choisir les mauvaises solutions et sa totale incohérence finissent par la rendre plutôt agaçante. On se détache alors de l’histoire. L’intermède de la légende bretonne au milieu du film parait assez inutile (une jeune fille qui avait placé la barre si haute pour se marier qu’elle dut convoler avec le Diable en personne) et certaines personnages, telle la sœur de Léna, semblent assez mal définis.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr, Louis Garrel
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13 février 2012

Rio Grande (1950) de John Ford

Rio GrandeAu lendemain de la Guerre de Sécession, le lieutenant-colonel Kirby Yorke commande un fort tout près du fleuve Rio Grande. Régulièrement, ils essuient des raids des indiens qui vont ensuite se réfugier au-delà de la frontière mexicaine. Un jour, parmi les nouvelles recrues, se trouve son jeune fils qu’il n’a pas vu depuis 15 ans. Peu après, sa mère arrive pour le rechercher… Rio Grande est le troisième film de la fameuse trilogie de John Ford sur la cavalerie (1). C’est aussi le moins fort des trois. Le réalisateur montre ici certains de ses sentiments ou même croyances. Tout le film est basé sur un antagonisme que l’on retrouve souvent dans ses films : la famille contre l’armée, le cœur contre le devoir. Cet antagonisme prolonge celui Nord/Sud, tout aussi récurrent chez John Ford. S’il fait preuve de sensibilité et de limpidité, il n’échappe pas à certains excès sentimentalistes. Il expose aussi ses convictions religieuses comme dans cette scène très symbolique où les soldats retranchés dans une église tirent pour ses défendre à travers une ouverture en forme de croix. Pour la seconde fois, John Ford fait jouer quelques superbes morceaux par le groupe Sons of the Pioneers (2). Si Rio Grande paraît moins fort que les deux autres films sur la cavalerie, il comporte néanmoins plusieurs très belles scènes.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: John Wayne, Maureen O’Hara, Ben Johnson, Harry Carey Jr., Victor McLaglen
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(1) Trilogie sur la cavalerie par John Ford :
Le Massacre de Fort Apache (Fort Apache) (1948)
La Charge Héroïque (She wore a yellow ribbon) (1949)
Rio Grande (1951)

(2) Sons of the Pioneers est un groupe de musique, très populaire à partir du milieu des années trente, spécialisé dans la musique western que l’on peut aussi appeler « les chansons de cowboys ». L’un des membres a pris le nom de Roy Rogers et tourné sous ce nom une bonne centaine de films de cowboy. Le morceau le plus célèbre de Sons of the Pioneers est probablement Tumbling Tumbleweeds, morceau qui a eu récemment une nouvelle notoriété avec le film des Frères Coen The Big Lebowski. Le groupe est toujours actif aujourd’hui! John Ford les avaient déjà utilisés dans Wagon Master (1950) mais sans les montrer à l’écran comme ici.

6 février 2012

Cinq pièces faciles (1970) de Bob Rafelson

Titre original : « Five Easy Pieces »

Cinq pièces facilesCinq pièces faciles est un film important du cinéma indépendant américain. Bob Rafelson nous montre un jeune trentenaire, issu d’une famille bourgeoise artiste, en rupture avec son milieu. Après avoir quitté le domicile familial, il a fait toutes sortes de métiers. Au début du film, on le voit au Texas, travaillant sur des puits de pétrole et vivant avec une jeune serveuse. Il va ensuite retourner chez lui après avoir appris que son père est très malade… Aujourd’hui Cinq pièces faciles est souvent décrit comme un film sur l’opposition de deux classes sociales mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque : le propos est bien plus sur le refus d’une voie, d’un schéma pré-tracé et imposé la famille. Le personnage joué par Jack Nicholson n’a que faire de changer de classe sociale ou pas. Il ne sait pas d’ailleurs ce qu’il cherche ; il sait par contre ce qu’il refuse. Analyser sa position comme étant égoïste ou suffisante est faire fausse route. Il s’aperçoit simplement que tous ceux qu’il rencontre ne lui apportent pas de réponse, que ce soit son copain de chantier, sa petite amie bimbo, la lesbienne nihiliste ou encore les intellos amis de la famille. A noter que pour symboliser la rigidité du cadre familial, Bob Rafelson les affuble d’une infirmité : son père est paralysé et muet, le dialogue étant ainsi définitivement impossible, le frère violoniste a une minerve. Jack Nicholson donne au film toute sa force par son charisme, ses excès de hargne. Le scénario a été écrit pour lui. Easy Rider et Cinq pièces faciles sont les deux films qui ont vraiment révélé l’acteur.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jack Nicholson, Karen Black, Susan Anspach, Billy Green Bush, Lois Smith
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