14 décembre 2014

Le Jardin des délices (1970) de Carlos Saura

Titre original : « El jardín de las delicias »

Le jardin des délicesA la suite d’un accident, un industriel se retrouve handicapé et amnésique. Sa famille s’efforce de lui faire retrouver la mémoire pour qu’il donne le nom de la banque suisse où il a déposé de grandes sommes d’argent ou encore la combinaison du coffre dans sa chambre. Pour cela, ils n’hésitent pas à recréer certaines scènes de sa vie passée… Le Jardin des délices est un film à plusieurs niveaux de lecture. Tourné sous la dictature du général Franco et de sa censure, la signification de cette allégorie est nécessairement masquée. Il peut se voir comme une simple fable sur la cupidité où Carlos Saura manie l’humour et le cocasse à la manière d’un Buñuel, mais il est truffé de références politiques et historiques (1), cette famille très franquiste symbolisant le régime. Cette comédie noire apparaît alors comme une charge contre la répression qui sclérose les esprits.
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: José Luis López Vázquez, Luchy Soto, Francisco Pierrá, Charo Soriano
Voir la fiche du film et la filmographie de Carlos Saura sur le site IMDB.
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Remarques :
* Pour certains, le personnage du paralytique serait Franco lui-même. Il serait étonnant que ce fut l’intention de Carlos Saura car il y a une empathie du spectateur avec cette personne. Cette empathie est suscitée dès le début du film : nous le voyons réduit à l’impuissance, sans expression, vulnérable, aussi innocent qu’un enfant.
* La signification du titre ne paraît pas immédiate. Il s’agit certainement d’une référence au célèbre tableau de Jérôme Bosch et l’étonnante dernière scène du film peut certainement en être vue comme une interprétation appliquée à l’Espagne de Franco.

(1) Les références historiques sont loin d’être évidentes à moins de connaitre parfaitement l’histoire de l’Espagne. Par exemple, l’accident automobile serait une référence à Juan March Ordinas, banquier au passé trouble et financier du général Franco en 1936, qui trouva la mort en 1962 dans un accident de voiture.

Le Jardin des délices de Carlos Saura
José Luis López Vázquez est un industriel amnésique dans Le Jardin des délices de Carlos Saura.

Homonymes :
Le jardin des délices (Il giardino delle delizie) de l’italien de Silvano Agosti (1967)
Le jardin des délices (Ogród rozkoszy ziemskich) du polonais Lech Majewski (2004)
et aussi
Le jardin des délices de Jérôme Bosch, court-métrage de Jean Eustache (1980).

25 février 2014

La Perla (1947) de Emilio Fernández

Autre titre (USA) : The Pearl

La perlaDu fait de mauvaises conditions maritimes qui durent depuis de nombreux jours, les habitants d’un petit village de la côte mexicaine ne peuvent sortir pêcher les huîtres et n’ont presque plus rien à manger. Aussi, quand le très jeune fils de Quino se fait piquer par un scorpion, le docteur blanc de la ville proche ne veut même pas les recevoir. Peu après, lorsque le temps devient meilleur, Quino pêche une huître avec une superbe et grosse perle… Production mexicaine financée pour moitié par la RKO, La Perla est adapté d’un court roman de John Steinbeck qui intervint comme conseiller sur le tournage (1). Il s’agit d’une fable puissante sur la cupidité. Ce qui frappe en premier est la beauté onirique des images que l’on doit à Gabriel Figueroa (directeur de la photographie qui a également travaillé pour John Ford, John Huston et Luis Buñuel, entre autres). L’image est baignée de lumière, presque surexposée, sans noirs profonds même dans les scènes de nuit. Cette lumière omniprésente apporte une atmosphère céleste à cette fable, la femme de Quino prenant assez souvent l’allure d’une vierge (avec l’enfant c’est encore plus flagrant), et le climat ainsi créé place le récit hors du temps permettant ainsi de mieux mettre en évidence les caractères. L’histoire est simple mais puissante. Outre la peinture très forte de la cupidité et de la perversion, le propos met l’accent sur le clivage social entre les blancs et les indiens et laisse deviner le rôle social de l’espérance. Comme toujours avec Steinbeck, le propos est donc très riche, à la fois social et philosophique. La perla est un superbe exemple de la force du cinéma mexicain de cette période parfois appelée « l’âge d’or du cinéma mexicain ».
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Pedro Armendáriz, María Elena Marqués, Charles Rooner
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Remarques :
* Deux versions ont été tournées : l’une en espagnol et l’autre en anglais. La Perle fut ainsi le premier film mexicain en langue anglaise à être distribué aux Etats-Unis. La version en anglais fut distribuée sous le titre The Pearl.
* Le roman de Steinbeck n’est sorti qu’après la sortie du film.
* Emilio Fernández est l’un des cinéastes mexicains les plus importants. Il a tourné plus de 40 films, essentiellement dans les années quarante et cinquante ; il a également été acteur, notamment dans La Horde sauvage de Sam Peckinpah (1969).

(1) Pour plus de détails à ce sujet, lire la fiche de l’American Film Institute

16 décembre 2013

Le Garde du corps (1961) de Akira Kurosawa

Titre original : « Yôjinbô »

Le garde du corpsUn rônin (samouraï sans maitre) arrive dans un village où deux clans s’affrontent durement pour des questions de pouvoir et d’argent. Il compte tirer profit de cette lutte en vendant ses services au plus offrant… Le Garde du corps a été écrit par Kurosawa lui-même avec l’aide de Ryûzô Kikushima. Archétype des films de sabre (chanbara), le film est assez remarquable avec une belle opposition entre les scènes d’action, toujours très brèves, et la force de l’esprit. La mise en scène de cette rivalité entre deux clans est également très picturale, Kurosawa jouant sur les attentes, les oppositions par des plans très travaillés ; ce style de scénarisation de l’affrontement a largement inspiré les westerns italiens, on peut même parler de plagiat pour Sergio Leone (1). Le Garde du corps met en relief les travers de l’âme humaine, en premier lieu la cupidité et la bassesse. Le héros est loin d’être parfait ce qui permet à Kurosawa d’éviter de tomber de tomber dans une certaine simplification et donne une indéniable profondeur à l’ensemble.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Toshirô Mifune, Tatsuya Nakadai, Yôko Tsukasa, Isuzu Yamada, Daisuke Katô, Seizaburô Kawazu, Takashi Shimura, Eijirô Tôno
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Remarque :
* La musique est assez surprenante. Kurosawa a dit à Masaru Sato qu’il était totalement libre d’écrire la musique qu’il désirait tant que ce n’était pas la musique habituelle des films historiques de samouraï. Masaru Sato s’est inspiré de la musique d’Henry Mancini qu’il admire tout particulièrement. Le résultat est… étonnant.

Remakes :
Pour une poignée de dollars (1964) de Sergio Leone
Django de Sergio Corbucci (1966) avec Franco Nero
Dernier recours (Last man standing) de Walter Hill (1996) avec Bruce Willis
Inferno de John G. Avildsen (1999) avec Jean-Claude Van Damme
Bonne chance Slevin (Lucky number Slevin) de Paul McGuigan (2006)  avec  Josh Hartnett et Bruce Willis
Sukiyaki Western Django de Takashi Miike (2007).

(1) Lorsque le film Pour une poignée de dollars de Sergio Leone est sorti, la Toho a intenté un procès aux producteurs qui avaient passé sous silence le fait que ce soit une reprise de Yôjinbô. Le pillage étant manifeste, la Toho gagna facilement son procès.

21 octobre 2013

Les Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Ugetsu monogatari »

Les contes de la lune vague après la pluieDans le Japon du XVIe siècle secoué par des guerres civiles, deux villageois se séparent de leur femme : l’un est potier et désire profiter de la guerre pour vendre ses poteries à la ville et devenir riche, l’autre est paysan et rêve de devenir un grand samouraï… Les Contes de la lune vague après la pluie s’inspire de plusieurs histoires écrites en 1776 par Ueda Akinari dans ses Contes de pluie et de lune (Ugetsu monogatari), un grand classique de la littérature japonaise. Nous suivons le parcours de deux hommes aiguillonnés par l’attrait de la richesse ou des honneurs au point de les aveugler et de causer leur perte. La guerre agit comme un catalyseur : la guerre semble offrir des opportunités (de gloire et/ou de richesse) mais en réalité elle n’apporte qu’exactions, famine et destruction. Le film fustige ainsi autant la guerre que la cupidité. Les Contes paraît moins centré sur le destin de la femme que les films précédents de Mizoguchi : ici, même si la femme est la raison d’être des rêves des grandeurs de l’homme et si elle est la première à en subir les funestes conséquences, c’est l’homme que nous suivons et qui est montré comme une victime. Les contes de la lune vague après la pluie Une grande partie du charme des Contes de la lune vague après la pluie vient de la réunion de deux mondes : le réel et le surnaturel s’entremêlent subtilement par l’esthétisme de la mise en scène, par la délicatesse des mouvements de caméra (notamment ses fameux travelings latéraux), par la beauté de certaines scènes (le lac, le temple, etc.). Tous ces éléments contribuent à nous envelopper d’une atmosphère unique, entre songe et réalité. Depuis 60 ans, Les Contes de la lune vague après la pluie est le film le plus connu de Mizoguchi. Il nous enthousiasme toujours autant aujourd’hui, il fait partie de ces films sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Mitsuko Mito, Kinuyo Tanaka, Masayuki Mori, Eitarô Ozawa
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Remarques :
Les contes de la lune vague après la pluie* Les Contes de pluie et de lune de Ueda Akinari est un recueil de neuf contes fantastiques : Shiramine, Le Rendez-vous aux chrysanthèmes, La Maison dans les roseaux, Carpes telles qu’en songe…, Buppôsô, Le Chaudron de Kibitsu, L’Impure Passion d’un serpent, Le Capuchon bleu, Controverse sur la misère et la fortune.
* Un conte de Guy de Maupassant a également été source d’inspiration pour l’écriture du scénario.
* (Attention ce qui suit dévoile en partie la fin du film)
Kenji Mizoguchi n’a pu tourner la fin qu’il désirait. Le scénario prévoyait que Tobei, samouraï indûment glorieux, profite durablement des honneurs et de sa nouvelle vie tandis que Genjiro ne rentrait pas dans son village et ne se repentait à aucun moment. Mizoguchi désirait ainsi montrer à quel point l’homme et la société étaient perverties. Les studios Daiei refusèrent cette fin trop noire et imposèrent un dénouement plus moralisateur. Mizoguchi en fut assez affecté et critiqua profondément son film quelque temps après sa sortie dans une interview.
* Le film remporta le Lion d’argent à Venise de 1953 (cette année-là, il n’y eut pas de Lion d’or) et devint ainsi l’un des rares films japonais à être largement connus en Occident dans le sillage de Rashômon de Kurosawa.
* A sa sortie au Japon, le film fut assez peu remarqué. Ce n’est qu’après l’excellent accueil reçu en Occident qu’il fut mieux considéré en son pays.

* Les Contes de la lune vague après la pluie est plus précisément tiré de deux des neuf contes du recueil d’Ueda Akinari : La Maison dans les roseaux,et L’Impure Passion d’un serpent.
La Maison dans les roseaux relate l’histoire d’un commerçant qui laisse sa femme dans son village pour aller faire des affaires à la ville. La guerre civile l’empêche de revenir et ensuite ses revers de fortune l’en éloignent encore plus. Ce n’est que sept plus tard qu’il revient dans son village mais c’est le fantôme de sa défunte femme qui l’accueille.
L’Impure Passion d’un serpent raconte comment le dernier fils d’un important pêcheur fait la rencontre d’une très belle jeune femme. Il se rend chez elle et elle lui fait don d’un sabre de samouraï qui s’avère être un sabre dérobé dans un monastère. Lorsque le fils revient à la maison de la jeune femme, la demeure est délabrée et envahie par la verdure. Il réalise qu’il a été victime d’un démon et se rend dans sa famille éloignée. Partout où il va, il rencontre la même jeune femme qui tente de l’attirer et qui, une fois démasquée, reprend une forme de serpent. Le fils ne parvient à se débarrasser de ce sortilège qu’avec l’aide d’un grand prêtre.

10 juin 2013

Goupi Mains rouges (1943) de Jacques Becker

Goupi mains rougesAppelé par sa famille, un parisien rejoint la ferme familiale du clan des Goupi. Le jour même de son arrivée, Goupi Tisane, une vieille fille autoritaire qui régentait la famille, est retrouvée assassinée… Tourné pendant l’Occupation, Goupi Mains rouges est l’adaptation d’un roman de Pierre Very. Contrairement à la propagande pétainiste de l’époque qui glorifiait le monde paysan nourricier, ce portrait d’une famille rurale qui forme un clan opaque et règle elle-même ses affaires n’est nullement édulcoré : la cupidité est ici le principal moteur des comportements et méfiance et médisance sont omniprésentes. Goupi Mains rouges est le deuxième film de Jacques Becker qui montre ici beaucoup de maitrise dans la mise en scène, il insuffle beaucoup de vie dans cette histoire au point que l’intrigue policière passe un peu au second plan. Fernand Ledoux est parfait, comme bien souvent, mais le personnage le plus remarquablement interprété est celui de Goupi Tonkin par Robert Le Vigan. Le film eut beaucoup de succès à l’époque grâce à sa qualité bien entendu mais aussi parce qu’il permettait à une population urbaine, lassée de voir certains paysans sembler s’enrichir au marché noir, de prendre en quelque sorte une revanche. Goupi Mains rouges fait partie des films les plus remarquables tournés sous l’Occupation.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Georges Rollin, Robert Le Vigan
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16 avril 2013

La chatte sur un toit brûlant (1958) de Richard Brooks

Titre original : « Cat on a Hot Tin Roof »

La chatte sur un toit brûlantDans une prospère plantation du Mississippi, on fête le soixante-cinquième anniversaire du patriarche, Big Daddy, qui est sur le point de mourir d’un cancer. Le couple de son fils, Brick, est en pleine crise. Il repousse constamment sa jolie femme Maggie et tente de noyer son dégoût dans l’alcool… La chatte sur un toit brûlant est une pièce de Tennessee Williams qui remporta un grand succès à Broadway sous la direction d’Elia Kazan. Mais c’est pourtant Richard Brooks qui l’adaptera au grand écran (1) avec un couple d’acteurs très photogéniques : Elizabeth Taylor et Paul Newman. Hollywood oblige, toute référence à l’homosexualité de Brick a été gommée mais il reste toute la puissance et l’intensité qui sont propres aux pièces de Tennessee Williams. La frustration, la cupidité, le mensonge, la culpabilité nourrissent l’atmosphère surchauffée de ce drame familial qui débouche sur des réflexions plus profondes sur la vie ou la mort. La chatte sur un toit brûlantTous les rôles sont magnifiquement tenus à commencer bien entendu par le tout jeune (et très beau) Paul Newman et une Elizabeth Taylor dont la sensualité a de quoi réveiller un mort (2). Burl Ives, de son côté, exprime une force peu commune. Oui, finalement, malgré toutes les concessions faites lors de l’adaptation, La chatte sur un toit brûlant conserve bien toute sa puissance.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Elizabeth Taylor, Paul Newman, Burl Ives, Jack Carson, Judith Anderson, Madeleine Sherwood
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Remarques :
* Burl Ives (Big Daddy) et Madeleine Sherwood (Mae) tenaient déjà le même rôle dans la pièce jouée à Broadway sous la direction d’Elia Kazan ; Ben Gazzara interprétait Brick et Barbara Bel Geddes était Maggie.
* Le film était prévu pour être tourné en noir et blanc mais Richard Brooks insista pour tourner en couleurs afin de profiter des yeux bleus de Paul Newman et ceux d’Elizabeth Taylor, couleur violette. Les couleurs sont d’ailleurs superbes.

(1) Elia Kazan était en désaccord avec Tennessee Williams à propos de certaines modifications nécessaires selon lui. La situation se reproduira avec Doux oiseau de jeunesse (Sweet Bird of Youth) dont la pièce sera montée à Broadway par Elia Kazan pour être ensuite portée à l’écran en 1962 par Richard Brooks (avec… Paul Newman dans le rôle principal).
(2) On pourra remarquer que toute cette sensualité dégagée par l’actrice, loin de nous détourner de l’action, intensifie le drame car elle amplifie l’importance du refus de Brick.