5 février 2015

Le Fil du rasoir (1946) de Edmund Goulding

Titre original : « The Razor’s Edge »

Le fil du rasoirAnnées 1920. Profondément marqué d’avoir vu à la guerre un de ses camarades mourir devant lui, le jeune Larry Darrell ne peut se résoudre à suivre le chemin tout tracé qui s’ouvre devant lui : un mariage dans la bonne société avec Isabel qui l’aime plus que tout et une confortable carrière dans la finance. Il sent qu’il doit d’abord trouver quel sens donner à sa vie… Le Fil du rasoir est un film de producteur, en l’occurrence Darryl F. Zanuck qui s’est pris de passion pour le roman de Somerset Maugham écrit en 1944. Commencé avec George Cukor, que Zanuck exclut rapidement à la suite de dissensions, le film sera finalement réalisé par Edmund Goulding avec un budget important, 89 décors différents et plus de trois mois de tournage. Vu aujourd’hui, on peut trouver des défauts à ce grand  mélodrame, regretter par exemple la présence de certains clichés, mais si l’on dépasse ces apparences, Le fil du rasoir apparaît comme un film qui sort du lot par son propos : aspirations métaphysiques et mysticisme oriental, sujets bien peu photogéniques au demeurant, n’étaient guère courants à cette époque. Le cinéma hollywoodien s’étant en grande partie bâti sur l’exposition du rêve américain, les films qui proposent une alternative au matérialisme en tant que source unique du bonheur ou de l’accomplissement de soi, ne sont pas légion. Tyrone Power, lui aussi de retour de guerre (la Seconde), montre une belle conviction dans cette recherche de la sérénité, un chemin que le sage dit être « aussi étroit que le fil d’un rasoir ». Le personnage de Gene Tierney, égoïste et matérialiste, est sans doute un peu trop typé. Clifton Webb est parfait, dans un rôle de personnage mondain snob qu’il a si souvent interprété. Le film est indéniablement un peu trop long (2 h 25) mais sans aller jusqu’à générer l’ennui. Le Fil du rasoir fut un grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Tyrone Power, Gene Tierney, John Payne, Anne Baxter, Clifton Webb, Herbert Marshall, Lucile Watson
Voir la fiche du film et la filmographie de Edmund Goulding sur le site IMDB.
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Remarques :
* Edmund Goulding avait pour méthode de faire répéter très longuement ses acteurs avant de filmer en longs plans-séquences avec de beaux mouvements de caméra. Il utilisait assez peu les gros plans sur les acteurs.
* Anne Baxter reçut l’Oscar du meilleur second rôle pour ce film.
* Remake :
Le Fil du rasoir (The Razor’s Edge) de John Byrum (1984) avec Bill Murray.

Le fil du rasoir
(de g. à d.) Herbert Marshall, Clifton Webb (assis), Gene Tierney, Anne Baxter (assise) et Tyrone Power dans Le Fil du rasoir (20th Century Fox, 1946).

4 février 2015

Amator (1979) de Krzysztof Kieslowski

AmatorUn employé achète une caméra pour filmer sa fille qui vient de naître. Quand son patron apprend cela, il lui demande de filmer un évènement de son entreprise. C’est le début d’une passion… L’Amateur (parfois titré Le Profane) fait partie des premiers longs métrages du polonais Krzysztof Kieslowski qui livre un peu de lui-même dans ce récit. Comme il a pu l’être lui-même, son héros est gagné par une passion dévorante du cinéma qui phagocyte peu à peu sa vie personnelle et lui donne un regard nouveau sur le monde qui l’entoure. Il apprivoise son langage, le cadrage, le montage. Il va aussi découvrir son pouvoir, sa fonction au sein d’une société, la force du documentaire, sa portée politique, avec comme inévitable corollaire (du moins en pays communiste comme l’était la Pologne), la censure. L’Amateur est ainsi une belle réflexion sur le rôle du cinéma, sur l’implication de l’artiste dans son art et ses interrogations, tout cela presque sans en avoir l’air car Kieslowski reste très près de son personnage.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jerzy Stuhr, Malgorzata Zabkowska, Stefan Czyzewski
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Remarque :
* Le réalisateur Krzysztof Zanussi (l’un des grands représentants de la Nouvelle Vague polonaise et par ailleurs ami dans la vraie vie de Kieslowski) interprète lui-même son propre rôle.

Amator de Krzysztof Kieslowski
Jerzy Stuhr est le cinéaste amateur dans le film L’Amateur de Kieslowski. Il utilise ici une caméra 8mm Quartz 2 de fabrication russe. Derrière lui se tient Malgorzata Zabkowska.

Amator de Krzysztof Kieslowski
Vers la fin du film, la seconde caméra qu’il utilise est la légendaire Krasnogorsk K3, caméra 16mm à visée reflex de fabrication russe avec zoom Meteor (une caméra que Kieslowski a lui-même utilisée à ses débuts… mais pas pour L’Amateur qui est tourné en 35mm).
En savoir plus sur cette caméra

3 février 2015

Anna et les loups (1972) de Carlos Saura

Titre original : « Ana y los lobos »

Ana y los lobosAnna, une jeune institutrice étrangère, trouve un emploi de gouvernante dans une riche famille espagnole. Elle doit composer avec les trois frères qui régissent la maison… Pour tous ses films, Carlos Saura a été en prise avec la censure franquiste et doit user d’allégories pour parler des forces qui paralysent l’Espagne. Dans Anna et les loups, cette allégorie est plus immédiate que dans ses films précédents et c’est peut-être pour cette raison qu’il a du attendre un an pour que son scénario soit accepté et avoir l’autorisation de tourner. Les trois frères frustrés sont les loups, ils représentent l’armée, la religion et le sexe, les trois grandes forces oppressives du pays ; la grand-mère à demi-paralysée symbolise l’Espagne franquiste et la jeune Anna la nouvelle génération. Cette dernière tente de jouer un rôle sans comprendre tous les rouages ; on ne sait très bien qui complote avec qui. Les tabous sont forts, sclérosants. Carlos Saura trouve un équilibre parfait entre un certain mal à l’aise et un humour insolite, le cinéaste montrant là une certaine filiation avec Buñuel. La fin est-elle réelle ou un cauchemar éveillé ? Les acteurs ont tous le ton juste ; Geraldine Chaplin trouve là l’un de ses plus beaux rôles. Anna et les Loups apparaît comme l’un des films les plus aboutis de Carlos Saura.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Geraldine Chaplin, Fernando Fernán Gómez, José María Prada, José Vivó, Rafaela Aparicio
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Anna et les loups (1972) de Carlos Saura
Geraldine Chaplin et José María Prada dans Anna et les loups de Carlos Saura.

2 février 2015

Moana (1926) de Robert Flaherty

MoanaLe succès mondial de Nanook of the North permit à Robert Flaherty et à sa femme Frances d’aller passer deux années entières dans l’archipel des Samoa en plein Pacifique. Grâce à la petite fille du chef Seumanutafa, qui fut ami intime de Robert Louis Stevenson, ils vont pouvoir partager l’existence des Polynésiens qui vivent là en pleine harmonie avec la nature, à l’écart de toute civilisation moderne. Après le grand nord de Nanouk, ces îles prennent l’apparence d’un véritable paradis terrestre avec ses scènes de cueillette, de pêche et de chasse. Moana nous en montre tous les aspects, ce qui est très intéressant. Toute la fin du film est consacrée au rite de passage d’un jeune samoan au statut d’Homme, partie qui il faut bien l’avouer paraît un peu longue, même si le caractère ethnologique de la démarche des époux Flaherty y est très nette (1). Roman Moana Le montage est travaillé, assez remarquable, et le cinéaste utilise parfaitement les gros plans pour nous placer près des corps. Contrairement à son prédécesseur, Moana n’eut pas les faveurs du public. L’une des explications que l’on peut avancer pour expliquer cet insuccès est l’absence de danger apparent ou de tension. Moana de Robert Flaherty est néanmoins un très beau film que nous pouvons voir aujourd’hui dans une version restaurée et (fort bien) sonorisée en 1980 par Monica Flaherty, sa fille, qui a accompagné le tournage… âgée de trois ans. C’est l’un des films fondateurs du genre documentaire.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs:
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(1) Il semblerait que ce rite était tombé en désuétude et qu’il n’ait été ravivé que pour le film.

Moana de Robert Flaherty

1 février 2015

Nanouk l’Esquimau (1922) de Robert Flaherty

Titre original : « Nanook of the North »

Nanouk l'Esquimau(Film muet) Nanouk l’Esquimau fait partie des films fondateurs de l’art cinématographique : si Robert Flaherty n’a pas « inventé » le documentaire, il lui a certainement donné ses titres de noblesse. Plusieurs tentatives précédentes ratées lui ont permis d’affiner sa démarche : avec ce film, il désire éviter tout folklore ou exotisme pour nous montrer cette famille d’Inuits comme des êtres humains, avec leurs aspirations et leur culture. Une approche très ethnologique donc. Pour atteindre son but, Flaherty n’hésite pas à recréer les situations où Nanouk et sa famille jouent leur propre rôle avec beaucoup de naturel (seule une scène, celle du gramophone, laisse transpirer une certaine artificialité). Il filme des kilomètres de pellicule, qu’il développe sur place et montre à ses « acteurs ». Au montage, il n’en gardera qu’un dixième environ. Même un siècle plus tard, le résultat est assez passionnant, nous laissant souvent ébahis face à l’ingéniosité déployée par l’homme pour survivre dans un environnement si hostile. Nous sommes également assez émerveillé par la vision de cette nature inviolée avec laquelle l’homme paraît être en communion. La construction de l’igloo d’un soir, la chasse au morse, la chasse au phoque et son dépeçage immédiat et même le réveil de toute la famille sont des scènes étonnantes. Flaherty prend le temps de bien expliquer la raison de chaque comportement. Le succès de Nanouk l’Esquimau fut très important et son influence sur l’émergence d’un certain style documentaire fut considérable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs:
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Remarques :
* La méthode de Flaherty peut être opposée à celle de Dziga Vertov (le cinéma-oeil) pour qui la personne filmée devait ignorer la présence de la caméra.

* Pour les scènes à l’intérieur de l’igloo et avoir suffisamment de recul pour placer sa caméra, Flaherty proposa à Nanouk de construire « le plus grand igloo jamais construit ». Ils mirent plusieurs jours à y parvenir après de nombreux écroulements.

* Le succès du film fut tel que les chocolats glacés, récemment apparus (l’inventeur américain avait déposé son brevet sous le nom d’eskimo-pie quelques mois avant la sortie du film), furent appelés des nanouks en Allemagne, URSS et Europe centrale. En France, Gervais avait déposé la marque Esquimau. Le film accompagna leur rapide popularité.

* Le film a été financé par le fourreur français Revillon (ce qui explique certainement la présence de cette longue scène au début du film où Nanouk apporte ses peaux à vendre à la ville).

* Nanouk n’a rien su de sa popularité mondiale car il est mort de faim peu après le tournage, lors d’une de ses longues expéditions de chasse en forêt, avant même la sortie du film.

* Un documentaire de 65 minutes Saumialuk, le grand gaucher (c’est le surnom de Flaherty donné par les Esquimaux qui le voyaient toujours tourner la manivelle de la main gauche) a été réalisé en 1987 par Sébastien Régnier et Claude Massot qui sont partis sur les traces de Flaherty plus de soixante ans après.

Nanouk l'Esquimau (1922) de Robert J. Flaherty
Nanouk l’Esquimau

Nanouk l'Esquimau (1922) de Robert J. Flaherty
Nyla, la femme de Nanouk, et leur plus jeune fils.