12 janvier 2017

La Terrasse (1980) de Ettore Scola

Titre original : « La terrazza »

La TerrasseUne réception sur La Terrasse d’un appartement romain où se retrouvent une vingtaine de personnes. Beaucoup travaillent dans le domaine de la culture. Nous suivons successivement cinq d’entre eux sur les jours qui suivent cette soirée… On ne pourra pas accuser Ettore Scola d’avoir choisi la facilité. Si La Terrasse se présente comme une comédie à sketches, le film est en réalité une profonde réflexion sur l’évolution d’une génération d’intellectuels qui sombre dans le désenchantement en avançant en âge. Et si Scola a réuni une belle brochette d’acteurs très connus, il les a utilisés à contre-emploi prenant ainsi le risque de désarçonner le public tout en se mettant à dos la critique n’appréciant guère ce miroir qu’il leur tend. Ses personnages sont en proie au doute sur ce qu’ils ont fait au cours de leur existence ce qui génère chez eux un fort sentiment d’insatisfaction. Des problèmes amoureux viennent se greffer, car trois de ces cinquantenaires sont mariés ou s’amourachent avec des femmes trentenaires, ce qui met encore plus en évidence leur âge au lieu de le gommer. Ettore Scola montre une grande perfection dans la mise en place de cet ensemble où les personnages se croisent et s’entrecroisent, grâce à la minutie du scénario qu’il a élaboré avec Age et Scarpelli, ces deux grands de la comédie. L’ensemble n’est d’ailleurs pas sans humour mais La Terrasse est avant tout remarquable par l’acuité et la profondeur de son observation et par la réflexion qu’il occasionne chez nous. Son propos est assez atemporel.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Jean-Louis Trintignant, Marcello Mastroianni, Stefania Sandrelli, Serge Reggiani, Marie Trintignant
Voir la fiche du film et la filmographie de Ettore Scola sur le site IMDB.

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Remarque :
De façon amusante, pour les cinq personnages principaux, trois acteurs sont nés la même année : Gassman, Tognazzi, Raggiani (1922, soit 58 ans), puis viennent Mastroianni (1924, 56 ans) et Trintignant (1930, 50 ans).

La Terrasse
Marcello Mastroianni, Jean-Louis Trintignant, Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman dans La Terrasse de Ettore Scola.

10 octobre 2016

Main basse sur la ville (1963) de Francesco Rosi

Titre original : « Le mani sulla città »

Main basse sur la villeNaples. Un entrepreneur immobilier, qui est aussi conseiller municipal, convainc le maire et ses adjoints de lui octroyer la construction d’un important chantier d’extension de la ville en leur faisant gagner de l’argent sur le prix des terrains. Parallèlement, un immeuble s’écroule dans un autre chantier du même entrepreneur faisant plusieurs victimes. L’opposition de gauche au conseil municipal exige une commission d’enquête… Avec Main basse sur la ville, Francesco Rosi dénonce la corruption des hommes politiques face à l’argent et étale au grand jour les rouages du jeu politique, du moins d’un style de jeu politique, celui dont la seule finalité est de conserver le pouvoir. Tout est permis, la morale traditionnelle ne semble plus avoir cours, « la seule faute est de perdre » dit l’un deux. Francesco Rosi et son scénariste, le napolitain Rafaele La Capria, se sont plongés dans les archives de la ville et ont assisté au conseil municipal qui est ici reproduit avec un grand réalisme. Le film peut paraître proche d’un documentaire, impression accentuée par le fait que toute psychologie des personnages a été évacuée (ce qui le distingue du cinéma politique américain) et que presque tous les acteurs sont des non-professionnels. Sans aucun manichéisme, Rosi parvient à insuffler une intensité dramatique à sa démonstration qui n’a rien perdu de son efficacité et dont le propos est hélas toujours assez actuel. Main basse sur la ville est incontestablement l’un des films les plus marquants du cinéma politique italien.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Rod Steiger, Salvo Randone
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Remarques :
* Rosi a visiblement utilisé des images réelles pour certaines scènes. C’est ainsi que l’on remarque le nom d’Aldo Moro sur des panneaux électoraux.
* Un plan est étonnant, celui où l’entrepreneur affairiste demande à son contradicteur « est-ce si condamnable de faire du profit quand on améliore les conditions de vie des gens ? » (dans la scène où Nottola fait visiter un logement neuf au conseiller De Vita). Ce qui est étonnant, c’est que Rosi a filmé Rod Steiger disant cette phrase en regard caméra, comme pour interpeller le spectateur, traduisant là ses propres interrogations.

Main basse sur la ville
Rod Steiger dans Main basse sur la ville de Francesco Rosi.

16 janvier 2015

Tempête à Washington (1962) de Otto Preminger

Titre original : « Advise and Consent »

Tempête à WashingtonLe président des Etats-Unis a décidé de nommer Robert Leffingwell au poste de Secrétaire d’État (soit le chef du département chargé des Affaires étrangères). Ce choix doit être ratifié par le Sénat mais l’affaire s’annonce difficile car les prises de positions de Leffingwell en faveur de la paix ne font pas l’unanimité à l’intérieur même de son parti…
Tempête à Washington est l’adaptation d’un copieux roman d’Allen Drury, correspondant du New York Times à Washington qui a reçu le Prix Pulitzer. Inspiré de personnages réels (le président étant basé sur Franklin Roosevelt), l’histoire décrit les basses manoeuvres qui sont monnaie courante à Washington. Bien qu’il s’attaque plus aux hommes qu’aux institutions et qu’il se révèle être finalement à la gloire de la démocratie à l’américaine, le film fut parfois critiqué à sa sortie pour la mauvaise image qu’il donnait des Etats-Unis (1). Le tour de force de Preminger est d’une part de réussir à nous intéresser sur un sujet à priori rébarbatif mais surtout de montrer une maitrise totale et parfaite de la mise en scène malgré le très grand nombre de personnages.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Henry Fonda, Walter Pidgeon, Charles Laughton, Gene Tierney, Burgess Meredith, Franchot Tone, Lew Ayres
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Remarques :
* Le film reçut l’aide du gouvernement qui donna l’autorisation de filmer à l’intérieur du Capitole.
* Dans son autobiographie, Otto Preminger mentionne un article, à l’époque paru dans Le Monde, qui vantait la liberté d’expression aux Etats-Unis, affirmant qu’un tel film n’aurait pas être tourné en France car le gouvernement français était intouchable (Otto Preminger Autobiographie JC Lattès 1981 p. 173).
* Tempête à Washington est de dernier film de Charles Laughton. Déjà très affaibli par son cancer pendant le tournage, il décédera quelques mois plus tard.
* Tempête à Washington marque le retour à l’écran de Gene Tierney après une longue dépression nerveuse.

(1) Ces critiques font penser à celles que reçut  Mr. Smith au sénat (1939) de Frank Capra. Les deux films sont d’ailleurs assez proches dans l’esprit.

Tempête à Washington (1962) de Otto PremingerCharles Laughton et Walter Pidgeon en pleine joute verbale au Sénat dans Tempête à Washington d’Otto Preminger.

21 octobre 2014

Mr. Smith au sénat (1939) de Frank Capra

Titre original : « Mr. Smith Goes to Washington »

Mr. Smith au sénatResponsable d’un groupe de boy-scouts, le jeune et idéaliste Jefferson Smith est choisi par le gouverneur de son état pour remplacer un sénateur décédé. Il ne sait pas que s’il a été choisi, c’est parce qu’il donne l’apparence d’être facilement contrôlable et qu’il ne pas gêner une importante malversation en-cours… Mr. Smith au sénat est considéré par beaucoup comme étant le meilleur film de Frank Capra ; c’est un film à la gloire de la démocratie américaine qui fut interdit dans plusieurs dictatures, un film qui a suscité des vocations politiques (1) en montrant comment un homme seul et ordinaire, naïf mais sincère, peut mettre à terre les plus puissants quand ils sont corrompus. On peut cependant trouver l’ensemble très manichéen, bourré d’archétypes et regretter que le scénario soit finalement peu développé : il s’attache surtout à susciter la sympathie envers le héros qui est particulièrement malmené et ridiculisé par ses pairs. Mais quoi qu’il en soit, le film a eu un impact considérable. Mr. Smith au sénat est l’archétype du film fédérateur, habité et porté par le souffle de grands idéaux. Plus encore, il nous montre un exemple à suivre. James Stewart, avec son image d’homme ordinaire, était bien l’acteur idéal pour le rôle. Sa prestation est un peu inégale, il surjoue son personnage la plupart du temps mais sa prestation finale est impressionnante (2). Mr. Smith au sénat est en tous cas un film intéressant à voir et à analyser.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Jean Arthur, James Stewart, Claude Rains, Edward Arnold
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Remarques :
* Dans un premier temps, le film avait été mal accueilli par la presse (qui n’est pas toujours montrée à son avantage) et aussi par certains hommes politiques. Des voix se sont élevées pour souligner que le film risquait de donner une mauvaise image de la démocratie américaine. Il est vrai qu’il y a deux choses dans le film : d’une part, le fait que cette démocratie permet à quelques hommes puissants de contrôler journaux et politique et de les utiliser à des fins pas toujours avouables, et d’autre part, le fait qu’elle donne la possibilité à n’importe quel quidam de détruire leur pouvoir excessif. Dans la perception du film par le public, c’est ce deuxième aspect qui a prévalu. Peu importe que Jefferson Smith n’y parvienne qu’à la suite d’un concours de circonstances bien peu crédible, le fait qu’il puise sa volonté et sa droiture dans les paroles des pères de la démocratie balaye tout.

* Originellement, le film comportait une scène finale où le sénateur Smith rentrait chez lui pour être ovationné. Toute cette scène fut coupée après projection à un public-test mais on peut en voir des extraits dans la bande annonce du film.

(1) Frank Capra a dit avoir reçu beaucoup de lettres de personnes qui, inspirés par le film, avaient choisi d’entrer en politique.
(2) Pour obtenir la voix cassée de la scène finale

Mr. Smith au sénat (Mr. Smith Goes to Washington)James Stewart et Jean Arthur dans Mr. Smith au sénat (Mr. Smith Goes to Washington) de Frank Capra.

11 mai 2014

Ma femme est une sorcière (1942) de René Clair

Titre original : « I Married a Witch »

Ma femme est une sorcièreA la veille d’une élection importante, un politicien ambitieux voit sa vie bouleversée par l’irruption d’une jeune femme qui s’est mis en tête de le séduire. Celle-ci est ni plus ni moins que la réincarnation d’une sorcière brûlée vive 270 ans plus tôt par le lointain ancêtre puritain du politicien… I Married a Witch est adapté d’un roman de Thorne Smith dont la série des Topper venait d’être l’objet de trois longs métrages (1). Cette histoire de sorcière facétieuse avait tout pour plaire à René Clair qui était alors aux Etats Unis. Il parvient parfaitement à mêler humour et fantastique et réalise une comédie amusante et légère qui met joliment en valeur Veronica Lake. L’année 1942 fut très favorable à l’actrice : avec ce film et les deux films noirs This Gun for Hire et The Glass Key, elle devint une star et sa coiffure fut adoptée par bon nombre de femmes américaines (2). Remarquablement bien écrit, I Married a Witch est un film très amusant et plein de fraîcheur.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Fredric March, Veronica Lake, Susan Hayward, Cecil Kellaway
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Remarques :
Ma femme est une sorcière * Dans un arrangement absolument unique dans l’histoire du cinéma, United Artists, qui était en manque de productions, a acheté 21 films à Paramount. I Married a Witch est le premier d’entre eux. The Crystall Ball d’Elliott Nugent (1943) et Young and Willing d’Edward Griffith (1943) sont les deux autres longs métrages d’importance (le reste se compose de 5 Harry Sherman, westerns de série B entre 1942 et 1944 et de 13 Hopalong Cassidy, westerns moyens métrages, entre 1942 et 1948).

* Le site IMDB souligne qu’aucune sorcière ne fut jamais brûlée aux Etats-Unis. Cette méthode d’exécution des sorcières était spécifique à l’Europe. Aux Etats Unis, les sorcières de Salem furent pendues.

(1) Topper (Le couple invisible) de Norman Z. McLeod (1937) avec Cary Grant ,
Topper Takes a Trip (Fantômes en croisière) de Norman Z. McLeod (1938) avec Roland Young,
Topper Returns (Le Retour de Topper) de Roy Del Ruth (1941) avec Roland Young.

(2) La coiffure de Veronica Lake, de longs cheveux blonds ondulés avec une boucle qui recouvre la partie droite du front et parfois l’oeil droit (coiffure surnommée « Peekaboo »), a été instanténément adoptée par d’innombrables jeunes femmes. Cela posa un sérieux problème car, en cette période de guerre, les femmes travaillaient souvent dans les usines d’armements où cette coiffure occasionnait des accidents. On ne cessa de demander à Veronica Lake de changer de coiffure, ce qu’elle ne fit que bien plus tard et ce qui accéléra sans doute sa perte de popularité.

22 août 2013

Doux oiseau de jeunesse (1962) de Richard Brooks

Titre original : « Sweet Bird of Youth »

Doux oiseau de jeunesseParti depuis quelques années pour réussir, l’ex-barman Chance Wayne revient dans sa ville natale au volant d’une superbe Cadillac décapotable. Il est accompagné d’une ancienne star de cinéma alcoolique qu’il a pris en charge. S’il revient, c’est pour voir son ancien amour Heavenly mais le père de la jeune fille, un politicien conservateur qui dirige la ville, ne voit pas ce retour d’un bon oeil… Quatre ans après La Chatte sur un toit brûlant, Richard Brooks adapte une autre pièce de Tennessee Williams à l’écran, Doux oiseau de jeunesse. Elia Kazan l’avait montée à Broadway avec succès et Brooks en reprend quatre acteurs principaux (1). Comme souvent avec Tennessee Williams, il s’agit d’un drame qui va sonder les tréfonds de l’âme humaine. Ici, tout tourne autour de la soif de réussite et de l’absence de mixité sociale. Chance Wayne (quel nom !) mise sur son physique pour avoir, lui aussi, sa chance et obtenir un raccourci vers le haut de la hiérarchie sociale et, par là même, vers son ancien amour. Paul Newman paraît être l’interprète idéal pour exprimer toutes les facettes de ce personnage finalement plein de naïveté. Il avait de plus l’avantage de bien connaitre le rôle. Il faut excuser la fin en happy end, qui paraît plaquée et même un peu idiote, nécessaire pour que le film passe la censure (2). Doux oiseau de jeunesse connut un grand succès.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Paul Newman, Geraldine Page, Shirley Knight, Ed Begley, Rip Torn, Mildred Dunnock, Madeleine Sherwood
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(1) Paul Newman, Geraldine Page, Madeleine Sherwood (Miss Lucy) and Rip Torn (le fils) tenaient le même rôle dans la pièce à Broadway qui fut jouée 375 fois à partir de mars 1959.
(2) Dans la pièce originale, la fin est assez dure : ce que l’on craint que le fils puisse faire à un certain moment (sur le capot de la voiture), il le fait vraiment. Et il n’y a pas de départ ensuite.