5 août 2014

Dersou Ouzala (1975) de Akira Kurosawa

Titre original : « Dersu Uzala »

Dersou OuzalaEn 1902, le géographe militaire russe Vladimir Arseniev explore une région sauvage de la taïga sibérienne. Dans la forêt, il rencontre un vieux chasseur et lui propose de devenir son guide. L’homme s’appelle Dersu Uzala. Sa parfaite connaissance de la forêt va grandement aider l’explorateur et les deux hommes vont devenir amis… Après les échecs commerciaux de Barberousse et de Dodes’ka-den, Kurosawa s’était quelque peu retiré et il a fallu que les soviétiques lui propose cette adaptation pour qu’il retrouve l’envie. Dersou Ouzala décrit la rencontre entre deux hommes qu’à priori tout oppose. Citadin et scientifique, Arseniev reste toutefois très ouvert d’esprit et avide de connaissances face à l’instinctif Derzou, l’homme en communion avec la nature, qui la « sent », pour qui tous les animaux et même les objets sont des « gens ». Cette rencontre est à la fois un récit d’aventures, Dersou Ouzalaavec ses péripéties parfois assez intenses, et aussi une confrontation de deux conceptions de la place de l’homme dans la nature. La mise en scène de Kurosawa est d’un beau classicisme, sans précipitation, empreinte d’une certaine austérité (il serait plus exact de dire, sans ajout superfétatoire de lyrisme). Devant cette simplicité, on reste sous le charme.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Yuriy Solomin, Maksim Munzuk
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Remarques :
Dersou Ouzala* Le film est une coproduction de la japonaise Daiei et de la soviétique Mosfilm.
* Explorateur, géographe et ethnographe, Vladimir Arseniev est un officier-topographe de l’Armée impériale russe qui a exploré la Sibérie orientale au tout début du XXe siècle. Il a écrit deux livres :
Dersu Uzala (1907)
A travers l’Oussouri (1921)
( La Taïga de l’Oussouri – Mes expéditions avec le chasseur golde Derzou pour la traduction française parue chez Payot en 1939)
* La vallée de l’Oussouri, qu’explore Arseniev, est située dans la partie la plus orientale de la Sibérie. Longue de 900 kms, la rivière Oussouri forme sur une partie de son cours la frontière entre la Chine et la Russie. Elle jette ensuite dans le fleuve Amour.
* Les Goldes (ou Hezhen) désignent les populations vivant aux bords des fleuves Amour, Soungari et Oussouri. Le terme Hezhen est le plus général, Golde désignant plus particulièrement ceux qui vivent dans la partie russe.
* Dersu Uzala avait déjà été porté à l’écran en 1961 par Agasi Babayan, réalisateur soviétique d’origine arménienne, version très peu connue.

5 juin 2014

Saya Zamuraï (2010) de Hitoshi Matsumoto

Saya ZamuraïAprès la mort de sa femme lors d’une épidémie, un samouraï a perdu le goût du combat et erre sans but, suivi par sa fille de 10 ans. Il est capturé par un seigneur qui le condamne à mort à moins qu’il ne parvienne à faire sourire son jeune fils triste qui s’est muré dans un mutisme complet. Pour cela, il a droit à un essai quotidien pendant 30 jours… Saya Zamurai est une comédie loufoque, mais très sérieusement réalisée, sur le thème et l’univers des samouraïs. Hitoshi Matsumoto fait montre d’une belle inventivité dans l’humour. Ayant animé un show télévisé d’humour dans les années 80, il est certes aguerri à la problématique de trouver un gag par jour, comme son héros. Outre les trouvailles de pitreries et d’exploits les plus absurdes, l’humour repose aussi beaucoup sur les seconds rôles qui sont très soignés : il y a d’abord la petite fille, merveilleuse dans son rôle d’insatisfaite qui houspille son père et le pousse à se ressaisir, et également les deux gardes, un malin et grand benêt qui se prennent au jeu, et aussi trois personnages rencontrés qui ponctuent l’action de dialogues inattendus. La fin est assez surprenante et Matsumoto se livre alors à un étonnant jeu d’équilibriste entre le drame et la comédie.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Takaaki Nomi, Sea Kumada, Itsuji Itao, Tokio Emoto
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Remarques :
Saya Zamuraï est le troisième film de Hitoshi Matsumoto. Son premier, Big Man Japan (Dai Nipponjin), avait créé une certaine surprise à Cannes en 2007 car totalement inattendu et inclassable : il s’agit d’un homme qui se transforme en géant pour aller affronter des créatures géantes, un mélange étrange de films de monstres et de documentaire, véritable OVNI du cinéma mais qui m’a paru bien moins convaincant que celui-ci.

12 mars 2014

L’ivresse de l’argent (2012) de Im Sang-soo

Titre original : « Do-nui mat »

L'ivresse de l'argentLe jeune Joo Young-Jak est le secrétaire particulier de la famille la plus riche et la plus puissante de Séoul. Il est ainsi mêlé aux affaires privées de ses membres… Avec L’ivresse de l’argent, Im Sang-soo se livre à une peinture qui se veut mordante de la caste des ultrariches coréens. De leurs affaires, on ne sait que peu de choses si ce n’est qu’ils franchissent allègrement les limites de la légalité. Ce qui intéresse plus le réalisateur ce sont les rapports de pouvoir qui se sont immiscés à l’intérieur même de cette famille. Il avait le dessein d’en faire une tragédie shakespearienne et il n’y parvient que partiellement. Le plus remarquable de L’ivresse de l’argent reste la mise en scène très stylée, l’utilisation des décors glacés de l’immense demeure et de son mobilier, le sens du détail. Revers de la médaille : l’image est tellement policée qu’elle en perd toute authenticité et l’ensemble devient quelque peu artificiel. L’ivresse de l’argent reste plaisant à regarder mais Im Sang-soo aspirait certainement à plus que cela…
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Kim Kang-woo, Yun-shik Baek, Yun Yeo-jeong, Hyo-jin Kim
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27 décembre 2013

The Grandmaster (2013) de Wong Kar-wai

Titre original : « Yi dai zong shi »

The GrandmasterDans la Chine de 1936, Ip Man est un maitre de kung-fu qui reste invaincu. Lors d’un affrontement avec des maîtres du nord, il fait la connaissance de Gong Er, fille de grand maitre et experte dans l’art des 64 mains… The Grandmaster est librement adapté de la vie de Ip Man, ce maitre chinois des arts martiaux qui est connu pour avoir été le professeur de Bruce Lee et dont la vie semble beaucoup inspirer les cinéastes ces derniers temps. Hormis Ip Man, les autres personnages sont fictifs. Wong Kar-wai a tenu à réaliser un grand film sur le kung-fu, très authentique dans ses combats et sa philosophie. Hélas, l’ensemble est un peu confus et peine à nous captiver vraiment. Le cinéaste a surtout soigné l’esthétisme avec des images façonnées à l’extrême, ciselées, avec une grande utilisation de très gros plans et de ralentis à vitesse variable. Les teintes ocres sont omniprésentes et les intempéries (pluie, neige) viennent rajouter une touche esthétique supplémentaire. Techniquement parlant, l’image est parfaite, sans le moindre défaut (si ce n’est une image parfois saccadée). The Grandmaster est surtout un spectacle, un ensemble sans doute raffiné mais un peu ennuyeux tout de même. Tony Leung fait montre d’une belle présence à l’écran.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Tony Leung Chiu Wai, Ziyi Zhang, Chang Chen
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Autres films sur la vie de Ip Man :
Ip Man (Yip Man) de Wilson Yip (2008)
Ip Man 2 (Yip Man) de Wilson Yip (2010)
Ip Man, la legende est née (Yip Man chinchyun) de Harman Yau (2010)

17 décembre 2013

Captive (2012) de Brillante Mendoza

CaptiveSur l’île de Palawan aux Philippines, un commando armé du groupe Abu Sayyaf kidnappe une vingtaine de touristes avec, parmi eux, une française (Isabelle Huppert), travailleuse bénévole dans une ONG… Captive s’inspire de faits réels, une prise d’otage qui a eu lieu en 2001. Brillante Mendoza s’est attaché à mettre en scène ces évènements de la façon la plus réaliste possible, à tel point que nous sommes parfois proche du documentaire. Le point de vue qu’il nous fait partager est celui des otages mais pas seulement. Il parvient à bien rendre le désarroi d’être balloté par des évènements dont on ne comprend pas toute la logique et à restituer l’extrême confusion des scènes de combats, filmés caméra à l’épaule avec un montage chaotique. Le récit suit le déroulement réel avec cette interminable fuite dans la jungle où les rapports de force finissent par évoluer sans toutefois se modifier profondément. Avec le temps (le périple dura plus d’un an) peut apparaitre une certaine compassion qui va, de façon assez subtile, rapprocher dans une certaine mesure les otages de leurs geôliers. Le fameux syndrome de Stockholm. Mendoza s’attache finalement plus à décrire ces rapports humains sans chercher à adopter une ligne politique tranchée et son film, Captive, possède une force indéniable.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Isabelle Huppert, Rustica Carpio, Maria Isabel Lopez, Raymond Bagatsing, Ronnie Lazaro
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16 décembre 2013

Le Garde du corps (1961) de Akira Kurosawa

Titre original : « Yôjinbô »

Le garde du corpsUn rônin (samouraï sans maitre) arrive dans un village où deux clans s’affrontent durement pour des questions de pouvoir et d’argent. Il compte tirer profit de cette lutte en vendant ses services au plus offrant… Le Garde du corps a été écrit par Kurosawa lui-même avec l’aide de Ryûzô Kikushima. Archétype des films de sabre (chanbara), le film est assez remarquable avec une belle opposition entre les scènes d’action, toujours très brèves, et la force de l’esprit. La mise en scène de cette rivalité entre deux clans est également très picturale, Kurosawa jouant sur les attentes, les oppositions par des plans très travaillés ; ce style de scénarisation de l’affrontement a largement inspiré les westerns italiens, on peut même parler de plagiat pour Sergio Leone (1). Le Garde du corps met en relief les travers de l’âme humaine, en premier lieu la cupidité et la bassesse. Le héros est loin d’être parfait ce qui permet à Kurosawa d’éviter de tomber de tomber dans une certaine simplification et donne une indéniable profondeur à l’ensemble.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Toshirô Mifune, Tatsuya Nakadai, Yôko Tsukasa, Isuzu Yamada, Daisuke Katô, Seizaburô Kawazu, Takashi Shimura, Eijirô Tôno
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Remarque :
* La musique est assez surprenante. Kurosawa a dit à Masaru Sato qu’il était totalement libre d’écrire la musique qu’il désirait tant que ce n’était pas la musique habituelle des films historiques de samouraï. Masaru Sato s’est inspiré de la musique d’Henry Mancini qu’il admire tout particulièrement. Le résultat est… étonnant.

Remakes :
Pour une poignée de dollars (1964) de Sergio Leone
Django de Sergio Corbucci (1966) avec Franco Nero
Dernier recours (Last man standing) de Walter Hill (1996) avec Bruce Willis
Inferno de John G. Avildsen (1999) avec Jean-Claude Van Damme
Bonne chance Slevin (Lucky number Slevin) de Paul McGuigan (2006)  avec  Josh Hartnett et Bruce Willis
Sukiyaki Western Django de Takashi Miike (2007).

(1) Lorsque le film Pour une poignée de dollars de Sergio Leone est sorti, la Toho a intenté un procès aux producteurs qui avaient passé sous silence le fait que ce soit une reprise de Yôjinbô. Le pillage étant manifeste, la Toho gagna facilement son procès.

12 décembre 2013

In Another Country (2012) de Hong Sang-soo

Titre original : « Da-reun na-ra-e-seo »

In Another CountryCoincée dans une station balnéaire coréenne presque vide hors-saison, une jeune femme écrit trois histoires mettant en scène le personnage d’une femme française qui vient seule y passer quelques jours… Ecrit et réalisé par Hong Sang-soo, tourné avec une équipe réduite dans une atmosphère presque intimiste, In Another Country est un film assez original, qui peut dérouter certes mais qui ne manque pas d’attrait. Sa simplicité (apparente) et la proximité avec les personnages le rendent assez séduisant. Sa construction le rend même assez remarquable car, dans ces trois variations, une femme bien différente (à chaque fois interprétée par Isabelle Huppert) rencontre les même personnes, se rend dans les mêmes lieux. En plus, Hong Sang-soo introduit quelques fausses pistes, de faux départs, variation dans les variations. Le point commun entre ces trois femmes est d’être un peu une âme flottante, en transition. Hong Sang-soo s’attache principalement à décrire les relations qui se nouent entre les personnes, dans un contexte éphémère. C’est en ce sens que la comparaison avec Rohmer a parfois été évoquée. In Another Country ne manque donc pas d’attrait.
Elle: 5 étoiles
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Isabelle Huppert, Yu Jun-Sang, Yu-mi Jeong
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29 octobre 2013

La Rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Akasen chitai »

La rue de la honteDans une maison de tolérance du quartier des plaisirs de Tokyo, cinq femmes se vendent aux passants alors qu’une loi limitant la prostitution est sur le point d’être votée… Sept ans après Les Femmes de la nuit, Mizoguchi nous montre l’univers de la vie des prostituées des années cinquante dans Akasen chitai, littéralement « Le Quartier de la ligne rouge » (1). Sous influence américaine, le Japon est alors sur le point de légiférer pour limiter la prostitution (ce sera fait quelques mois après la sortie du film). Mizoguchi nous montre les motivations de ces cinq femmes, comment la prostitution peut être le moyen de survivre, d’échapper à une situation difficile, tout en étant un piège dont on ne peut s’extraire. L’argent est à la base de toutes les situations. Comme dans tous ses autres films, le propos de Mizoguchi n’est jamais moralisateur : il ne porte pas de jugement, ne donne pas de solution miracle, son propos est essentiellement humaniste. Il montre aussi qu’une loi ne peut tout résoudre. S’il est revenu au noir et blanc après deux films historiques en couleurs, le cinéaste semble adopter un style différent. Son montage est plus nerveux, il abandonne le plan-séquence et choisit une musique électronique très moderne, presque expérimentale. Ces éléments viennent appuyer le sentiment que c’est un regard nouveau qu’il porte sur ce monde qui a bien changé. La Rue de la honte a connu un très grand succès, ce fut le plus grand succès de Mizoguchi des années cinquante.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Ayako Wakao, Michiyo Kogure, Aiko Mimasu, Kenji Sugawara, Yasuko Kawakami, Eitarô Shindô
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Remarques :
* La Rue de la honte est le dernier film de Kenzi Mizoguchi. Déjà très malade pendant le tournage, il mourra d’une leucémie cinq mois après la sortie, en août 1956, alors qu’il travaillait sur son film suivant, Saikaku Ihara, Une histoire d’Osaka.

* On remarquera que le générique qui ouvre La rue de la honte (1956) rappelle celui des Femmes de la nuit (1948) : un lent panoramique sur la ville de Tokyo. Mais alors que celui des Femmes de la Nuit nous montrait une ville dévastée par les bombardements, le panoramique de La Rue de la honte nous laisse voir un Tokyo encore convalescent mais déjà bien reconstruit. Ce panoramique sur le quartier de Yoshiwara, au nord de la ville, s’achève sur l’imposant temple Honzan Higashihongan-ji qui émerge seul d’une mer de petits bâtiments.

* Seulement deux ans séparent La Rue de la honte de Une femme dont on parle mais le monde de la prostitution y est décrit bien différemment. Ici, il n’est plus question d’être entre deux mondes, les geishas et leur raffinement ont laissé la place aux prostituées « modernes » qui racolent de façon quelque peu insistante.

* Les américains pressaient le gouvernement japonais à réguler la prostitution non seulement pour des questions morales mais aussi parce que le nombre de maladies vénériennes chez les soldats américains des forces d’occupation était à un niveau alarmant.

Remake :
Rue de la joie (Akasen tamanoi: Nukeraremasu) de Tatsumi Kumashiro (1974)

(1) La ligne rouge dont il est question est celle qui délimite le quartier des plaisirs sur la carte de Tokyo. Le titre a été traduit de façon approximative en anglais, Red Light District pour l’Angleterre et, pire encore, Street of Shame (= rue de la honte) aux USA. Ce dernier titre nous prouve, si besoin est, que les distributeurs cherchent rarement à respecter le propos des auteurs : en effet, le plus est remarquable dans le film est le fait que Mizoguchi sait nous montrer la vie et les motivations de ces prostituées sans porter de jugement moral.

28 octobre 2013

Le héros sacrilège (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Shin heike monogatari »

Le héros sacrilègeDans le Japon du XIIe siècle, le capitaine Tadamori rentre à Kyoto après avoir vaincu une révolte de pirates dans les mers de l’ouest. Les nobles de la cour empêchent l’empereur de le féliciter car il n’est qu’un samouraï. Ce mépris génère un fort ressentiment chez son fils Kiyomori… Avec Le héros sacrilège, Kenji Mizoguchi met en scène une période charnière de l’histoire du Japon, le moment où les nobles et les moines d’influence chinoise vont perdre leurs pouvoirs au profit des samouraïs, ouvrant ainsi une période de pouvoirs plutôt militaires qui va durer 7 siècles. Il est bien entendu possible de faire un parallèle avec le Japon des années cinquante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était également en mutation, avec la bénédiction des américains. Dans les deux cas, une classe au pouvoir devait céder le pouvoir au peuple. Le héros sacrilège est donc une belle fresque historique, le second (et dernier) film en couleurs de Mizoguchi (1). Le film a été tourné avec des moyens assez importants comme l’attestent plusieurs scènes de grande ampleur avec de très nombreux figurants. Mizoguchi soigne la reconstitution, les décors, les costumes. Fait rarissime chez le cinéaste, la femme est ici vile et cupide, le héros est un homme. Ce fils va se construire en créant la rupture, bravant les interdits, refusant le joug de la caste des nobles ou des religieux. Outre la force du récit, l’autre point fort du film est sa beauté formelle. La mise en scène Mizoguchi appuie subtilement le propos, alternant plans séquences avec un montage plus heurté, jouant avec les couleurs pour renforcer des sentiments. Le héros sacrilège est certes un film inhabituel pour Mizoguchi (et il n’était probablement pas totalement enthousiasmé par le sujet) mais il n’en mérite pas moins de figurer parmi ses plus grandes réalisations.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Narutoshi Hayashi, Raizô Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
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Remarques :
* Mizoguchi adapte le roman historique d’Eiji Yoshikawa, Shin heike monogatari, qui donnait une nouvelle version de cette montée au pouvoir du clan Taira (aussi nommé Heike) au XIIe siècle. L’écrivain réhabilitait le rôle de Kiyomori Taira qui était auparavant mal considéré dans la tradition populaire. Mizoguchi n’adapte que la moitié du roman, la seconde sera adaptée en 1956 par Teinosuke Kinugasa : Shin, Heike monogatari: Yoshinaka o meguru sannin no onna, film aujourd’hui perdu. Kinugasa avait déjà réalisé deux ans plus tôt, La Porte de l’enfer (1953), film récompensé par une Palme d’or à Cannes et qui traite de la même époque.

* Mizoguchi n’aime pas les scènes d’action et son scénariste, Yoshikata Yoda, raconte que le cinéaste l’a fait venir au moment de tourner la scène finale avec les palanquins, une scène avec laquelle il était très mal à l’aise et qu’il aurait préféré ne pas tourner.

* Le héros sacrilège a lancé la carrière du jeune acteur Raizô Ichikawa (qui n’a aucun lien de parenté avec le réalisateur Kon Ichikawa) qui est devenu un acteur très célèbre au Japon.

(1) Mizoguchi préférera revenir au noir au blanc pour son film suivant qui sera, hélas, son ultime réalisation.

26 octobre 2013

L’impératrice Yang Kwei-Fei (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Yôkihi »

L'impératrice Yang Kwei-FeiDans la Chine du VIIIe siècle, l’empereur Hiuan-Tsong est inconsolable depuis la mort de l’impératrice, seule la musique lui donne quelque joie. On lui présente une jeune fille d’origines simples qui lui ressemble. D’abord réticent, l’empereur est rapidement charmé par sa fraîcheur et sa sincérité… Basé sur une légende très connue en Chine et même au Japon, L’impératrice Yang Kwei-Fei est le premier film de Mizoguchi en couleurs. Les décors et les somptueux costumes, richement reconstitués, profitent pleinement de ce passage à la couleur. Le film est esthétiquement très beau et le fait d’avoir choisi une histoire se déroulant en Chine permet de jouer avec les tons pastel. Il ne faut pas vraiment chercher à faire une lecture politique ou historique du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est plus l’histoire d’un amour très pur de deux êtres entourés par des personnages dévorés d’ambition ou mûs par des intérêts égoïstes (1). Le personnage de Yang Kwei-Fei est presque virginal, totalement désintéressé, un modèle de vertu qui ira jusqu’au sacrifice suprême (2). Mizoguchi reforme ici le couple de Rashômon, Machiko Kyô et Masayuki Mori, qui ont tous deux une belle présence à l’écran. Si le déroulement de l’histoire n’est pas le point fort du film, L’impératrice Yang Kwei-Fei est très beau et comporte de superbes scènes (la fête populaire, les vergers en fleurs, l’exécution finale).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Masayuki Mori, Sô Yamamura, Eitarô Shindô, Eitarô Ozawa
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Remarques :
* Le titre peut se traduire par « La première concubine ». En effet, contrairement à ce que laisse croire la traduction hâtive du titre en français (et également en anglais), Yang Kwei-Fei ne fut jamais impératrice mais seulement première concubine.
* L’impératrice Yang Kwei-Fei est une coproduction entre la japonaise Daiei et la chinoise Shaw Brothers basée à Hong Kong.

(1) Sur ce point, on peut rapprocher L’impératrice Yang Kwei-Fei du film précédent de Mizoguchi Les Amants crucifiés.

(2) Le sacrifice de la femme par suicide (ou, comme ici, par mort acceptée) est un thème que l’on retrouve dans de nombreux films de Mizoguchi.