14 février 2022

Les Fleurs de Shanghai (1998) de Hou Hsiao-hsien

Titre original : « Hai shang hua »

Les fleurs de Shanghai (Hai shang hua)Dans le Shanghai de la fin du XIXe siècle, les « maisons de fleurs » sont des maisons closes de luxe. Comme ses amis, Wang, un fonctionnaire aisé, vient y chercher la compagnie de courtisanes. Il fréquente ainsi depuis quatre ans Rubis qui n’a pas d’autres clients. Mais depuis peu, il a également une liaison avec Jasmin dans une autre maison. Rubis vient de l’apprendre…
Les fleurs de Shanghai est un film taïwanais réalisé par Hou Hsiao-hsien, écrit par sa scénariste habituelle, la romancière Chu Tien-wen. Précisons d’emblée qu’il n’est jamais question de sexe, le récit se concentre sur les rapports entre les personnages. Au début, les rapports entre Wang et ses maitresses ont certaines similitudes avec ceux d’un couple classique mais le pouvoir de l’argent se montre de plus en plus important à mesure que la situation évolue. L’enfermement des jeunes femmes est bien perceptible. Les discussions sont feutrées même lorsque les sentiments bouillonnent. Seuls les repas (très arrosés) avec quelques amis sont plus animés. Wang ne sait quelle maitresse il doit préférer (et épouser), ne pouvant décrypter les intentions de chacune. Tout se déroule en intérieur, dans deux maisons closes et même dans deux pièces seulement. Le film est bâti sur de longs plans-séquences séparés par d’ostensibles fondus au noir, l’éclairage est tamisé, le rythme est assez lent, les mouvements de caméra sont amples et d’une grande douceur. L’ensemble pourra paraître un peu long mais reste vraiment remarquable.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Tony Leung Chiu-Wai, Michiko Hada, Michelle Reis, Carina Lau, Jack Kao
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Les fleurs de Shanghai (Hai shang hua)Tony Leung Chiu-Wai et Michiko Hada dans Les fleurs de Shanghai (Hai shang hua) de Hou Hsiao-hsien.

20 octobre 2014

L’Opinion publique (1923) de Charles Chaplin

Titre original : « A Woman of Paris: A Drama of Fate »

L'opinion publiqueDans un petit village de France, Marie Saint-Clair désire fuir un père tyrannique pour se rendre à Paris avec Jean, son fiancé. Ce dernier lui ayant fait faux bond, c’est seule qu’elle doit se chercher une nouvelle vie. Un an plus tard, elle mène une vie de courtisane mondaine…
Aspirant à plus de liberté créative que ne lui offrait son personnage de vagabond, Charles Chaplin écrit et réalise L’Opinion publique, son deuxième long métrage, un film assez atypique dans sa filmographie. C’est un film dramatique, dans lequel il n’apparait pas (1)(2), sans ressort comique (3). Il a tourné cette histoire de triangle amoureux quasi tchékhovien sans scénario formel et sa mise en scène est à la fois sobre, d’une simplicité limpide et assez moderne dans son approche. Le film est remarquable d’équilibre, l’intensité dramatique est forte, sans effet trop appuyé et surtout bien contrebalancée par la folle insouciance des personnages. Premier film de Chaplin pour les Artistes Associés dont il est l’un des quatre fondateurs, L’opinion publique fut un échec commercial, le public n’acceptant ce changement de registre et son absence à l’écran. Chaplin était en quelque sorte prisonnier de son personnage. Il ne renouvellera pas l’expérience. (film muet)
Elle: 3 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Edna Purviance, Carl Miller, Adolphe Menjou
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Remarques :
* Le premier titre prévu pour le film était Destiny, puis Public Opinion ce qui explique le titre français.

* Le film avait une préface qui éclaire bien la vision de Chaplin :
« L’humanité est composée, non de héros et de traitres, mais simplement d’hommes et de femmes. Et les passions qui les agitent, bonnes ou mauvaises, c’est la nature qui les leur a données. Ils errent dans l’aveuglement. L’ignorant condamne leurs fautes, le sage les prend en pitié. »
A propos de cette dernière phrase, on pourra remarquer que tout jugement moral est effectivement absent du film.

* La scène qui fut la plus remarquée est celle de l’arrivée du train en gare : le train n’apparait pas à l’image, nous ne voyons que les lumières des wagons (c’est un train de nuit) qui se déplacent sur le mur de la gare alors que la caméra reste centrée sur Edna Purviance qui s’apprête à monter dans le train. Cette façon de placer l’action hors champ était inhabituelle dans le cinéma de l’époque (et rappelons qu’il n’y a pas de bruitages de train non plus puisqu’il s’agit d’un film muet).

* Deux fins ont été tournées : celle que l’on connait (le croisement anonyme) destinée au public américain et une autre, moins morale, pour le public européen : Marie revient vers Pierre après le suicide de Jean.

* Dans l’esprit de Chaplin, A Woman of Paris devait donner un nouvel élan à la carrière d’Edna Purviance en lui ouvrant la possibilité de rôles dramatiques car lui-même ne désirait plus la faire apparaitre dans ses films. Ce ne fut pas le cas mais Chaplin ne l’abandonna pas pour autant car il continua à donner un salaire à l’actrice jusqu’à la fin de ses jours.

* En revanche, le film fut un tremplin pour la carrière d’Adolphe Menjou (américain de naissance, français par son père et irlandais par sa mère) et il continuera à exceller dans ces rôles de playboy mondain, hédoniste et jouisseur.

(1) En réalité, Chaplin apparaît à l’écran quelques secondes en porteur à la gare mais il est impossible de le reconnaitre.
(2) Il faudra attendre 1967 et La Comtesse de Hong Kong, son dernier film, pour voir un autre film de Chaplin dans lequel il ne joue pas.
(3) Au registre de l’humour, il faut quand même citer la scène où la femme jette son collier par la fenêtre pour montrer son détachement des choses matérielles à son amant… avant de se précipiter dans la rue pour l’arracher des mains d’un vagabond qui venait de le ramasser. Et, touche sublime, après quelques pas, elle fait demi-tour et revient donner une pièce au vagabond.

L'Opinion publique (A Woman of Paris: A Drama of Fate)Carl Miller et Edna Purviance dans L’Opinion publique (A Woman of Paris: A Drama of Fate) de Charles Chaplin.

28 octobre 2013

Le héros sacrilège (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Shin heike monogatari »

Le héros sacrilègeDans le Japon du XIIe siècle, le capitaine Tadamori rentre à Kyoto après avoir vaincu une révolte de pirates dans les mers de l’ouest. Les nobles de la cour empêchent l’empereur de le féliciter car il n’est qu’un samouraï. Ce mépris génère un fort ressentiment chez son fils Kiyomori… Avec Le héros sacrilège, Kenji Mizoguchi met en scène une période charnière de l’histoire du Japon, le moment où les nobles et les moines d’influence chinoise vont perdre leurs pouvoirs au profit des samouraïs, ouvrant ainsi une période de pouvoirs plutôt militaires qui va durer 7 siècles. Il est bien entendu possible de faire un parallèle avec le Japon des années cinquante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était également en mutation, avec la bénédiction des américains. Dans les deux cas, une classe au pouvoir devait céder le pouvoir au peuple. Le héros sacrilège est donc une belle fresque historique, le second (et dernier) film en couleurs de Mizoguchi (1). Le film a été tourné avec des moyens assez importants comme l’attestent plusieurs scènes de grande ampleur avec de très nombreux figurants. Mizoguchi soigne la reconstitution, les décors, les costumes. Fait rarissime chez le cinéaste, la femme est ici vile et cupide, le héros est un homme. Ce fils va se construire en créant la rupture, bravant les interdits, refusant le joug de la caste des nobles ou des religieux. Outre la force du récit, l’autre point fort du film est sa beauté formelle. La mise en scène Mizoguchi appuie subtilement le propos, alternant plans séquences avec un montage plus heurté, jouant avec les couleurs pour renforcer des sentiments. Le héros sacrilège est certes un film inhabituel pour Mizoguchi (et il n’était probablement pas totalement enthousiasmé par le sujet) mais il n’en mérite pas moins de figurer parmi ses plus grandes réalisations.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Narutoshi Hayashi, Raizô Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
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Remarques :
* Mizoguchi adapte le roman historique d’Eiji Yoshikawa, Shin heike monogatari, qui donnait une nouvelle version de cette montée au pouvoir du clan Taira (aussi nommé Heike) au XIIe siècle. L’écrivain réhabilitait le rôle de Kiyomori Taira qui était auparavant mal considéré dans la tradition populaire. Mizoguchi n’adapte que la moitié du roman, la seconde sera adaptée en 1956 par Teinosuke Kinugasa : Shin, Heike monogatari: Yoshinaka o meguru sannin no onna, film aujourd’hui perdu. Kinugasa avait déjà réalisé deux ans plus tôt, La Porte de l’enfer (1953), film récompensé par une Palme d’or à Cannes et qui traite de la même époque.

* Mizoguchi n’aime pas les scènes d’action et son scénariste, Yoshikata Yoda, raconte que le cinéaste l’a fait venir au moment de tourner la scène finale avec les palanquins, une scène avec laquelle il était très mal à l’aise et qu’il aurait préféré ne pas tourner.

* Le héros sacrilège a lancé la carrière du jeune acteur Raizô Ichikawa (qui n’a aucun lien de parenté avec le réalisateur Kon Ichikawa) qui est devenu un acteur très célèbre au Japon.

(1) Mizoguchi préférera revenir au noir au blanc pour son film suivant qui sera, hélas, son ultime réalisation.

1 octobre 2012

Double suicide à Amijima (1969) de Masahiro Shinoda

Titre original : « Shinjû: Ten no amijima »

Shinjû: Ten no amijimaLe marchand Jihei entretient une relation avec une courtisane à qui il promet de la racheter sans pouvoir tenir sa promesse… Après avoir fondé sa propre maison de production, Masahiro Shinoda, libre de toute contrainte, met en scène un film qui bouscule les codes du cinéma. Double suicide à Amijima est l’adaptation d’une pièce de Monzaemon Chikamatsu écrite pour le bunraku (théâtre de marionnettes traditionnel) et c’est dans la forme que son film est expérimental : Shinoda va au-delà du théâtre filmé puisqu’il conserve les kurokos (manipulateurs au visage voilé de noir) qui évoluent silencieusement autour des acteurs comme pour les guider ou pour veiller à l’accomplissement de leur destin. Shinoda est l’un deux puisqu’il se met en scène en début de film où, après avoir discuté au téléphone avec un scénariste de la scène finale, il enfile son voile noir. Il conserve aussi le noyau de l’intrigue, sans chercher à l’adapter au cinéma, une trame très classique. Double suicide à Amijima est un film en dehors des normes, assez déstabilisant pour un spectateur occidental peu coutumier du bunraku.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Kichiemon Nakamura, Shima Iwashita
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10 septembre 2012

Eva (1962) de Joseph Losey

EvaA Venise, Tyvian, un écrivain gallois dont le livre vient d’être porté au cinéma, rencontre la belle et secrète Eva, une courtisane qui collectionne les hommes. L’attirance qu’il éprouve se transforme rapidement en passion… Adapté d’un roman noir de James Hadley Chase, Eva se déroule dans la jet-set et rappelle en ce sens La Dolce Vita de Fellini. Jeanne Moreau est ici merveilleuse, d’une beauté envoutante, mystérieuse et vénéneuse. Tout le film repose sur elle. Losey maintient une certaine distance vis-à-vis de ses personnages et même une certaine froideur comme pour mieux nous placer en observateur. Sa mise en scène est travaillée avec des mouvements de camera qui semblent envelopper Jeanne Moreau (superbe scène où elle explore la chambre inconnue sur un fond sonore de Billie Holiday) et une superbe photographie. Diversement apprécié, Eva est un film doté d’une grande force par sa sensualité tumultueuse et son atmosphère troublante.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Jeanne Moreau, Stanley Baker, Virna Lisi, James Villiers
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Remarque :
Eva de Joseph Losey fait partie des films mutilés : le film monté par Losey durait 2h35 et le film n’a été projeté qu’une seule fois sous cette forme à Cinecitta en 1962. Les producteurs ont ensuite réduit le film à 2h10. Mal accueilli par la critique, les producteurs ont à nouveau supprimé des scènes pour arriver à la version de 116mn et refait le doublage de Virna Lisi avec une voix américaine.

17 mars 2012

Meurtre à Yoshiwara (1960) de Tomu Uchida

Titre original : « Yoto monogatari: Hana no Yoshiwara hyaku-nin giri »

Meurtre à YoshiwaraPatron d’un atelier de tissage prospère, Jirozaemon voudrait se marier mais une vilaine tâche de naissance sur le côté droit de son visage effraie toutes les femmes rencontrées. Pour lui changer les idées, son plus gros client l’emmène à Yoshiwara, quartier de Edo (aujourd’hui Tokyo), dans une maison de plaisirs. Toutes les geishas refusent sa compagnie sauf Tsuru, une ancienne taularde. Il va dépenser sans compter pour son apprentissage de courtisane… Tomu Uchida adapte ici une pièce du théâtre traditionnel japonais qui oppose la bonté à la cupidité et à l’égoïsme. C’est un mélodrame rendu puissant par le traitement du réalisateur et une interprétation très juste. L’image est étonnamment belle, un superbe cinémascope en couleurs, le format large étant particulièrement bien exploité par le réalisateur : beaucoup de plans sont de toute beauté. Le film a aussi un côté presque documentaire car il nous montre à la fois certains rites sociaux dans le commerce et surtout le fonctionnement du quartier des geishas, avec ses codes et ses tensions. Meurtre à Yoshiwara est un très beau film doté d’un final superbe.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Chiezo Kataoka, Yaeko Mizutani, Isao Kimura
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18 décembre 2011

Lola Montès (1955) de Max Ophüls

Lola MontèsSous un chapiteau géant, un cirque reconstitue la vie scandaleuse de Lola Montès avec la présence de la comtesse en personne, en pleine déchéance, livrée en pâture au public… Le dernier film de Max Ophuls a divisé dès sa sortie et continue de diviser aujourd’hui. Max Ophuls a fait des choix audacieux : désirant dénoncer la glorification du spectacle dans notre société, il donne à son film une structure étonnante en le construisant autour d’un spectacle de cirque méprisable et odieux. Sur ce plan, il a réussi puisque c’est effectivement absolument insupportable. Il nous reste donc les flashbacks sur la vie de Lola Montès où le réalisateur nous livre une image parfaite, rehaussée de couleurs superbes avec une maîtrise remarquable de la caméra. Hélas, l’histoire ne captive guère, Martine Carol n’est à aucun moment le personnage de grande courtisane qu’elle devrait être, sensation accentuée par un doublage / postsynchronisation qui nivelle son jeu et celui des autres acteurs (défaut inhérent aux superproductions européennes). Après une sortie catastrophique, le film avait été mutilé par les producteurs. Il faut saluer le travail de la Cinémathèque Française qui a restauré magnifiquement ce film pour le ressortir fin 2008 dans une version la plus proche possible de celle que désirait le réalisateur.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: Martine Carol, Peter Ustinov, Anton Walbrook, Paulette Dubost, Oskar Werner, Will Quadflieg
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Remarques :
>> Voir le site particulièrement intéressant créé par la Cinémathèque Française pour la ressortie de Lola Montès : http://lolamontes.cinematheque.fr/