13 janvier 2025

La Porte de l’enfer (1953) de Teinosuke Kinugasa

Titre original : « Jigokumon »

La Porte de l'enfer (Jigokumon)En l’an 1159 au Japon, les luttes entre clans font rage. Celui du Minamoto tente de renverser le Taira au pouvoir. Afin de protéger la fuite de la princesse, une de ses dames de compagnie, Kesa,se porte volontaire pour être envoyée comme leurre sous la protection du valeureux guerrier Morito. Celui-ci tombe sous le charme de Kesa mais ignore qu’elle est déjà mariée…
La Porte de l’enfer est un film japonais de Teinosuke Kinugasa. Il en a cosigné le scénario avec son producteur, Masaichi Nagata (producteur habituel de Mizoguchi). Il s’agit de la libre adaptation d’une pièce de Kan Kikuchi, elle-même très librement inspirée du récit historique Gempei Seisuki. Le film est le premier film en couleurs japonais à avoir atteint l’occident et ces couleurs sont flamboyantes, tout en restant fondues. Le directeur de la photographie Kohei Sugiyama a utilisé un Eastmancolor modifié qui fait ressortir les couleurs vives. Certaines scènes ont des dominantes de couleurs (rouge et orange lors de la révolte, bleue durant la course de chevaux, des touches de rose dans les scènes de nuit). Les cadrages sont très travaillés avec souvent un ou plusieurs cadres dans le cadre. L’histoire reste très simple (et inexacte sur le plan historique) mais ce qui frappe nos yeux d’occidentaux est la violence des passions associé à la grande retenue des comportements et à une esthétique enchanteresse. La force du film est là. Palme d’or à Cannes 1954, sous la présidence de Jean Cocteau pour qui le film possédait « les plus belles couleurs du monde ». Le film fut moins bien reçu au Japon (1).
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Kazuo Hasegawa, Machiko Kyô, Isao Yamagata, Kôtarô Bandô, Koreya Senda, Tatsuya Ishiguro
Voir la fiche du film et la filmographie de Teinosuke Kinugasa sur le site IMDB.

(1) Lire à ce sujet un article intéressant qui souligne les différences de perception et avance que le film est fait (consciemment ou inconsciemment) pour un public occidental : Koichi Nakamura, June H. Nakamura et John Allyn, « Love and Death in the Japanese Cinema (3): Re-evaluation of Gate of Hell (Jigokumon) », Bulletin, Faculty of Arts, Tokyo Institute of Polytechnics, vol. 3,‎ 1997, p. 23-27.
>> De plus, il semble que les couleurs exubérantes de l’Eastmancolor soient moins attirantes aux yeux d’un japonais qui préférera souvent les couleurs pastels et fondues.
>> Enfin, certains critiques occidentaux s’étaient moqués à l’époque de leurs homologues japonais (qui avaient tous ignoré le film), sous-entendant que les critiques japonais étaient incapables de déceler les grands films de leur cinéma. Ce qui fut très mal perçu au Japon.

Kazuo Hasegawa et Machiko Kyô dans La Porte de l’enfer (Jigokumon) de Teinosuke Kinugasa.
Koreya Senda, ?, Kazuo Hasegawa, et Isao Yamataga dans La Porte de l’enfer (Jigokumon) de Teinosuke Kinugasa.
Isao Yamataga et Machiko Kyô dans La Porte de l’enfer (Jigokumon) de Teinosuke Kinugasa.

28 octobre 2013

Le héros sacrilège (1955) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Shin heike monogatari »

Le héros sacrilègeDans le Japon du XIIe siècle, le capitaine Tadamori rentre à Kyoto après avoir vaincu une révolte de pirates dans les mers de l’ouest. Les nobles de la cour empêchent l’empereur de le féliciter car il n’est qu’un samouraï. Ce mépris génère un fort ressentiment chez son fils Kiyomori… Avec Le héros sacrilège, Kenji Mizoguchi met en scène une période charnière de l’histoire du Japon, le moment où les nobles et les moines d’influence chinoise vont perdre leurs pouvoirs au profit des samouraïs, ouvrant ainsi une période de pouvoirs plutôt militaires qui va durer 7 siècles. Il est bien entendu possible de faire un parallèle avec le Japon des années cinquante qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était également en mutation, avec la bénédiction des américains. Dans les deux cas, une classe au pouvoir devait céder le pouvoir au peuple. Le héros sacrilège est donc une belle fresque historique, le second (et dernier) film en couleurs de Mizoguchi (1). Le film a été tourné avec des moyens assez importants comme l’attestent plusieurs scènes de grande ampleur avec de très nombreux figurants. Mizoguchi soigne la reconstitution, les décors, les costumes. Fait rarissime chez le cinéaste, la femme est ici vile et cupide, le héros est un homme. Ce fils va se construire en créant la rupture, bravant les interdits, refusant le joug de la caste des nobles ou des religieux. Outre la force du récit, l’autre point fort du film est sa beauté formelle. La mise en scène Mizoguchi appuie subtilement le propos, alternant plans séquences avec un montage plus heurté, jouant avec les couleurs pour renforcer des sentiments. Le héros sacrilège est certes un film inhabituel pour Mizoguchi (et il n’était probablement pas totalement enthousiasmé par le sujet) mais il n’en mérite pas moins de figurer parmi ses plus grandes réalisations.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Narutoshi Hayashi, Raizô Ichikawa, Tatsuya Ishiguro, Michiyo Kogure, Yoshiko Kuga, Eitarô Shindô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.
Voir les autres films de Kenji Mizoguchi chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Mizoguchi adapte le roman historique d’Eiji Yoshikawa, Shin heike monogatari, qui donnait une nouvelle version de cette montée au pouvoir du clan Taira (aussi nommé Heike) au XIIe siècle. L’écrivain réhabilitait le rôle de Kiyomori Taira qui était auparavant mal considéré dans la tradition populaire. Mizoguchi n’adapte que la moitié du roman, la seconde sera adaptée en 1956 par Teinosuke Kinugasa : Shin, Heike monogatari: Yoshinaka o meguru sannin no onna, film aujourd’hui perdu. Kinugasa avait déjà réalisé deux ans plus tôt, La Porte de l’enfer (1953), film récompensé par une Palme d’or à Cannes et qui traite de la même époque.

* Mizoguchi n’aime pas les scènes d’action et son scénariste, Yoshikata Yoda, raconte que le cinéaste l’a fait venir au moment de tourner la scène finale avec les palanquins, une scène avec laquelle il était très mal à l’aise et qu’il aurait préféré ne pas tourner.

* Le héros sacrilège a lancé la carrière du jeune acteur Raizô Ichikawa (qui n’a aucun lien de parenté avec le réalisateur Kon Ichikawa) qui est devenu un acteur très célèbre au Japon.

(1) Mizoguchi préférera revenir au noir au blanc pour son film suivant qui sera, hélas, son ultime réalisation.