29 octobre 2013

La Rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi

Titre original : « Akasen chitai »

La rue de la honteDans une maison de tolérance du quartier des plaisirs de Tokyo, cinq femmes se vendent aux passants alors qu’une loi limitant la prostitution est sur le point d’être votée… Sept ans après Les Femmes de la nuit, Mizoguchi nous montre l’univers de la vie des prostituées des années cinquante dans Akasen chitai, littéralement « Le Quartier de la ligne rouge » (1). Sous influence américaine, le Japon est alors sur le point de légiférer pour limiter la prostitution (ce sera fait quelques mois après la sortie du film). Mizoguchi nous montre les motivations de ces cinq femmes, comment la prostitution peut être le moyen de survivre, d’échapper à une situation difficile, tout en étant un piège dont on ne peut s’extraire. L’argent est à la base de toutes les situations. Comme dans tous ses autres films, le propos de Mizoguchi n’est jamais moralisateur : il ne porte pas de jugement, ne donne pas de solution miracle, son propos est essentiellement humaniste. Il montre aussi qu’une loi ne peut tout résoudre. S’il est revenu au noir et blanc après deux films historiques en couleurs, le cinéaste semble adopter un style différent. Son montage est plus nerveux, il abandonne le plan-séquence et choisit une musique électronique très moderne, presque expérimentale. Ces éléments viennent appuyer le sentiment que c’est un regard nouveau qu’il porte sur ce monde qui a bien changé. La Rue de la honte a connu un très grand succès, ce fut le plus grand succès de Mizoguchi des années cinquante.
Elle: 4 étoiles
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Machiko Kyô, Ayako Wakao, Michiyo Kogure, Aiko Mimasu, Kenji Sugawara, Yasuko Kawakami, Eitarô Shindô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.

Voir les autres films de Kenji Mizoguchi chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* La Rue de la honte est le dernier film de Kenzi Mizoguchi. Déjà très malade pendant le tournage, il mourra d’une leucémie cinq mois après la sortie, en août 1956, alors qu’il travaillait sur son film suivant, Saikaku Ihara, Une histoire d’Osaka.

* On remarquera que le générique qui ouvre La rue de la honte (1956) rappelle celui des Femmes de la nuit (1948) : un lent panoramique sur la ville de Tokyo. Mais alors que celui des Femmes de la Nuit nous montrait une ville dévastée par les bombardements, le panoramique de La Rue de la honte nous laisse voir un Tokyo encore convalescent mais déjà bien reconstruit. Ce panoramique sur le quartier de Yoshiwara, au nord de la ville, s’achève sur l’imposant temple Honzan Higashihongan-ji qui émerge seul d’une mer de petits bâtiments.

* Seulement deux ans séparent La Rue de la honte de Une femme dont on parle mais le monde de la prostitution y est décrit bien différemment. Ici, il n’est plus question d’être entre deux mondes, les geishas et leur raffinement ont laissé la place aux prostituées « modernes » qui racolent de façon quelque peu insistante.

* Les américains pressaient le gouvernement japonais à réguler la prostitution non seulement pour des questions morales mais aussi parce que le nombre de maladies vénériennes chez les soldats américains des forces d’occupation était à un niveau alarmant.

Remake :
Rue de la joie (Akasen tamanoi: Nukeraremasu) de Tatsumi Kumashiro (1974)

(1) La ligne rouge dont il est question est celle qui délimite le quartier des plaisirs sur la carte de Tokyo. Le titre a été traduit de façon approximative en anglais, Red Light District pour l’Angleterre et, pire encore, Street of Shame (= rue de la honte) aux USA. Ce dernier titre nous prouve, si besoin est, que les distributeurs cherchent rarement à respecter le propos des auteurs : en effet, le plus est remarquable dans le film est le fait que Mizoguchi sait nous montrer la vie et les motivations de ces prostituées sans porter de jugement moral.

Une réflexion sur « La Rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi »

  1. UN CHANT DU CYGNE
    Alors qu’on vient même de découvrir à Paris avec LA VIE D’ O’HARU FEMME GALANTE il y a deux ans en 54 le premier film du cinéaste montré à l’Occident, on apprend le décès du réalisateur emporté par une leucémie a 58 ans quelques semaines après le tournage en 56 de ce qui sera donc son dernier film LA RUE DE LA HONTE tourné et sorti la même année au Japon et que seul en France le studio de l’Etoile programmera le 25/10/57 sans trop de succès puisque les chiffres d’entrées ne seront même pas comptabilisés.
    On apprend qu’il aurait prolifiquement réalisé pas loin d’une centaine de films dont une cinquantaine de muets à jamais perdus!
    LA RUE DE LA HONTE offre une autre particularité, celle d’être le premier film japonais reçu à nous parler du Japon contemporain puisque le récit du film se déroule, ainsi qu’un carton du générique nous le mentionne, l’année de sa réalisation : Tokyo 1956, quartier des plaisirs de …au moment où la répression de la prostitution bat son plein.
    Mizoguchi s’est toujours passionné à l’univers des prostituées, où il a en quelque sorte grandi, il quitte l’école a treize ans, a vécu avec des geishas, connait bien ce milieu, et sa passion des femmes le conduisait à être dit-on régulièrement humilié par elles, ce qui n’est pas sans être explicite sur son oeuvre.
    En fait, de ce Japon contemporain, reçu par le prisme d’un scénario en huis clos tourné intégralement en studio et se déroulant dans le bordel et la rue où il se trouve de jour comme de nuit, on n’aura pas d’autres images, hormis le générique pivotant raconté par notre hôte Lui.
    On est obligé de prendre, par la mort du cinéaste, ce film comme une sorte de somme, ultime contemplation sur ce monde « flottant des plaisirs » de la prostitution tel qu’il se consomme à la moitié du vingtième siècle où l’on racole sec dans la rue, où l’argent circule dans presque tous les plans, où la réalité sociale documentaire flirte avec la fiction du mélodrame.
    Donc un bordel offrant prétexte à une étude d’une galerie de portraits de femmes.

    Très souvent, et on l’observera en découvrant ses autres films, la réalisation de Mizoguchi emprunte au théâtre et dans plusieurs films on assiste à des extraits de représentations de Nô, Kabuki, Bunraku, quand ce ne sont pas directement les personnages qui y sont liés (nombreux films sur la création artistique qu’elle soit intellectuelle ou physique, théâtre, musique, peinture, littérature, emprunts pas uniquement japonais). Nous sommes spectateurs devant une scène. Il faut dire que la maison japonaise se prête à ce miroir avec leurs planchers de bois et nattes, leurs cloisons coulissantes séparées offrant chaque fois un nouveau décor, nouvelle perspective sur un autre dedans tout comme sur un extérieur lointain ou un jardin intérieur,le déplacement des protagonistes d’espace en espace, les jeux d’ouvertures sur les différentes lumières et profondeurs de champ offertes en continu à travers les plans séquences, et très rarement de gros plans, cet usage par trop cinématographique conduisant à une rupture ou un arrêt selon la grammaire (que l’on peut contester) du cinéaste qu’il appliquera toujours.

    Ses films alors se mirent à sortir à dose homéopathiques dans le plus grand désordre chronologique, et aujourd’hui encore nous ne connaissons pas l’intégralité de son oeuvre.On découvrira ses autres films se déroulant dans les milieux de la prostitution situés dans des passés multiples. Tous les scénarios, la plupart du temps adaptés de romans, du plus simpliste au plus complexe auront été prétexte à analyser et dénoncer, avec violence et cruauté mais aussi avec une grande sensibilité, la misérable condition de la femme japonaise à travers le temps et les âges

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