Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, une femme dont la vie sentimentale avait enflammé la presse à scandale vingt ans plus tôt en tombant amoureuse d’un garçon de treize ans… May December est un film américain réalisé par Todd Haynes. L’histoire est très librement inspirée par l’affaire Mary Kay Letourneau, survenue en 1997 aux Etats-Unis. Mais, l’affaire en elle-même n’est pas le sujet du film : il s’agit plutôt de la rencontre de deux femmes et la relation qui s’installe entre elles est complexe et ambigüe. Notre sympathie à l’un des deux personnages au début du film va peu à peu s’estomper pour se reporter sur l’autre personnage. L’histoire est habilement construite et cette relation est particulièrement originale et complexe. Excellente prestation de Julianne Moore (dirigée pour la cinquième fois par Todd Haynes) et de Natalie Portman. Elle: Lui :
Bella est une jeune suicidée ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché… Pauvres Créatures est un film fantastique américain réalisé par Yórgos Lánthimos d’après le roman du même nom d’Alasdair Gray paru en 1992. Le film mélange plusieurs genres et se veut ambitieux par son propos gentiment disruptif : c’est un récit d’émancipation féminine, qui aspire même à une dimension philosophique en opposant une sorte de physicalisme à une théologie primaire (son Docteur Frankenstein est appelé « God » par sa création… comme on le voit, l’auteur ne fait pas dans la dentelle pour montrer ses ambitions). L’atmosphère du début du film, non loin du film d’horreur, est assez glauque et nous met mal à l’aise. La suite reste assez glauque mais se montre plus avenante grâce à ses décors d’inspiration streampunk (rétrofuturiste). Hélas, l’ensemble est beaucoup trop long, assez racoleur et tape-à-l’œil avec un abus d’effets de caméra, un usage immodéré du grand angle et du fisheye, une indéniable complaisance dans des scènes « osées » inutiles et un jeu d’acteur souvent outrancier. Le film paraît finalement plus prétentieux qu’ambitieux, du genre « taillé pour les Oscars » (objectif partiellement atteint : un seul Oscar récolté). Elle: – Lui :
Le film relate la vie amoureuse d’une jeune barcelonaise de 22 ans, Julia, mère de deux enfants. Il est découpé en trois parties dont chacune porte le nom d’un homme: Oscar, Marcos et Àlex… Les Tournesols sauvages est un film espagnol coécrit et réalisé par Jaime Rosales. Le réalisateur catalan cinquantenaire dresse le portrait d’une jeune femme qui cherche à s’épanouir. Elle a besoin d’avoir un homme à ses côtés pour cela et nous suivons trois de ses essais successifs. Elle n’a pas vraiment la main heureuse, mais elle avance et progresse vers son but. L’histoire n’est pas des plus originales, il faut l’avouer, mais sait éveiller notre intérêt. L’atout principal du film est son actrice Anna Castillo qui fait une belle interprétation et parvient à rendre son personnage attachant. Elle: Lui :
Remarque : • La seconde partie (Marcos) se déroule à Mellila, minuscule enclave espagnole sur la côte nord du Maroc (dont personnellement j’ignorais l’existence). Voir sur Google Maps…
Titre original : « Nu astepta prea mult de la sfârsitul lumii »
Assistante indépendante de production, Angela parcourt la ville de Bucarest pour le casting d’une publicité sur la sécurité au travail commandée par une multinationale : elle doit aller filmer des accidentés du travail avant que le choix final ne soit fait et le tournage effectué. Elle en profite pour mettre en scène son avatar digital, un sombre crétin, dans de petites vidéos humoristiques… N’attendez pas trop de la fin du monde est un film roumain écrit et réalisé par Radu Jude. Le moins que l’on puisse dire est que ce film ne ressemble à aucun autre, « un collage chaotique » comme le définit son créateur. Son principal défaut est d’être un peu hermétique : on pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’une fable corrosive, prétexte à un défoulement tous azimuts mais le propos du réalisateur est plus que cela. Il a voulu dresser un parallèle entre le portrait d’une femme chauffeur de taxi sous la dictature communiste et celui d’une jeune femme désinhibée, elle aussi au volant d’une voiture, dans la société post-totalitaire d’aujourd’hui. Il a donc entremêlé un film de 1981 dans les scènes actuelles (avec des ralentis dont on ne voit pas le sens au premier abord mais il y en a bien un (1)). Il y a beaucoup d’humour, une vulgarité outrancière, et aussi hélas de sérieuses longueurs. La scène du tournage de la publicité vaut le détour, dans le genre humour absurde, un plan-séquence en caméra fixe de plus de 30 minutes assez ubuesque qui clôt le film. Pas banal… Elle: – Lui :
(1) Le film intégré est un long-métrage roumain de 1981, Angela merge mai departe, réalisé par Lucian Bratu. Il met en scène une femme chauffeur de taxi et son quotidien sous la dictature communiste. « En y regardant de plus près, j’ai découvert que ce film regorgeait d’éléments subversifs, lancés comme des bouteilles à la mer. Par exemple, il est tourné dans les beaux quartiers de Bucarest. Mais comme on est aussi dans du cinéma direct, on y voit parfois brièvement des choses qui ne devraient pas y figurer: des pauvres aux vêtements miteux qui attendent le bus, des gens qui font la queue pour de la nourriture, des murs délabrés, etc. Ce sont de brefs instants, quelques secondes maximum. […] C’est pourquoi j’ai ralenti ces moments qui ont échappé à la censure, pour les rendre visibles aux spectateurs d’aujourd’hui et permettre leur analyse. »
Remarque : * Le réalisateur de séries Z Uwe Boll fait une petite apparition dans son propre rôle. Souvent qualifié de « nouvel Ed Wood », il a tourné de nombreux films. En 2008, une pétition sur internet a été lancée pour le supplier d’arrêter le cinéma. Elle a obtenu plus de trois cent mille signatures (dixit Wikipédia). Le fait qu’il ait boxé des critiques est apparemment véridique, tout comme sa phrase : « Un poing dans la gueule, c’est le meilleur moyen d’aimer mes films! »
Antonia, dite Toni, élève ses cinq enfants adolescents. Elle a connu vingt ans plus tôt une certaine notoriété comme chanteuse et chante encore parfois le soir pour arrondir ses fins de mois. Mais, alors que ses deux ainés s’apprêtent à suivre leur voie, elle s’interroge sur sa vie et commence à avoir envie de lui donner une autre orientation… Toni, en famille est un film français écrit, réalisé et monté par Nathan Ambrosioni, jeune réalisateur qui signe ainsi son second long métrage après Les Drapeaux de papier (2018). Il est un peu surprenant qu’un réalisateur de 24 ans veuille dresser le portrait d’une femme de 42 ans. Dire qu’il y parvient serait excessif car l’ensemble manque vraiment de profondeur. Il est très difficile de croire au personnage principal et les enfants ressemblent à une galerie de clichés. Le scénario ne nous livre que peu de choses, abusant de l’effet scénaristique de donner la clé d’une scène, d’un comportement ou d’une réplique, que bien plus tard. L’ensemble manque d’étoffe et beaucoup de scènes paraissent inutiles. Le film a été très bien reçu par la critique qui a salué l’émergence d’un nouveau cinéaste. Elle: Lui :
Après dix-huit années de vie commune, Jean vient d’annoncer à Nadine qu’il la quitte. D’avord dévastée par le chagrin, reprend courage, aidée par son fils de 17 ans… La Femme de Jean est un film français écrit et réalisé par Yannick Bellon, son second long métrage. Il s’inscrit dans une époque où le féminisme s’affirmait de plus en plus, parfois avec une hostilité marquée envers les hommes. Rien de tel ici. Yannick Bellon (qui, rappelons-le, est une femme, son vrai prénom est Marie-Annick) se concentre sur un personnage de femme qui va se reconstruire, commencer à exister par elle-même au lieu d’être « la femme de… ». Elle reprend confiance en elle. C’est donc d’une renaissance dont il est question. Le sujet peut sembler rebattu à nos yeux actuels mais il ne l’était pas à l’époque à sa sortie. Le seul petit reproche que l’on pourrait faire est que tout se déroule de façon idéale, notamment le fils (joué par le jeune Hippolyte Girardot qui fait ses débuts à l’écran) est parfait, il l’encourage quand elle est trop timorée. Mais l’idée est de montrer la voie, un bel exemple du cinéma « comment vivre ? ». L’approche de Yannick Bellon est délicate, porteuse d’idées positives qui poussent à évoluer. La réalisatrice aborde aussi le thème du temps (1), le temps qui passe et qui détruit mais qui permet aussi de reconstruire (car il détruit aussi le négatif). Belle interprétation de France Lambiotte, actrice non professionnelle. Elle: – Lui :
Kobe, 1941. Yusaku, dirigeant d’une entreprise internationale d’import-export, vit avec sa femme Satoko et tente de vivre en s’éloignant des tensions grandissantes de la Guerre entre le Japon et les pays occidentaux. Leur couple commence à être bouleversé quand Yusaku attire les soupçons de sa femme ainsi que des autorités locales… Les Amants sacrifiés(1) est un film japonais réalisé par Kiyoshi Kurosawa (qui, rappelons-le, n’a aucun lien de parenté avec Akira Kurosawa). S’écartant de son registre habituel, l’épouvante, il en a coécrit le scénario avec le cinéaste Ryūsuke Hamaguchi (réalisateur de plusieurs très beaux films dont le remarqué Drive my car). Contrairement à ce que le titre français laisserait supposer, il s’agit surtout d’un portrait de femme en butte à l’énigme de comprendre son mari et aussi son époque. Le récit offre la vision de la guerre à travers les yeux d’une femme plutôt idéaliste et éprise de liberté, qui s’interroge sur les fondements de ce conflit. Politique et sentiments se heurtent en elle mais elle doit prendre des décisions. Le récit offre également une réflexion sur le thème de la trahison. La réalisation de Kiyoshi Kurosawa est précise et élégante. Elle: – Lui :
(1) A noter que la proximité phonétique du titre avec celui du très beau film de Mizoguchi (Les Amants crucifiés, 1954) n’existe qu’en français, elle a donc été créée par les distributeurs français. La traduction du titre original serait « La femme d’un espion », titre bien plus approprié repris dans toutes les autres langues (« Wife of a spy » en anglais).
Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement, ils sont emportés par la passion. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, elle s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux… L’amour et les forêts est un film français réalisé par Valérie Donzelli, sorti en 2023. Le scénario est écrit par Audrey Diwan (réalisatrice de L’Évènement) et Valérie Donzelli, d’après le roman d’Éric Reinhardt publié en 2014. L’histoire commence comme un conte de fées mais peu à peu le séducteur change de visage et enferme son épousée dans une relation possessive. Le glissement progressif vers l’oppression est bien mis en scène avec notamment cette façon inimaginable dont le bourreau parvient à se poser en victime. L’atmosphère devient de plus en plus angoissante. Virginie Efira est parfaite, elle parvient à exprimer ce qu’elle ressent sans artifice de jeu, il n’y a aucun excès mélodramatique. Melvin Poupaud campe un personnage de plus en plus monstrueux, lui aussi sans excès. Particulièrement bien dosé, L’amour et les forêts se montre aussi très puissant. Elle: Lui :
Chef d’un orchestre symphonique berlinois de premier plan, Lydia Tár est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle… Tár est un drame psychologique américano-allemand écrit et réalisé par Todd Field. Il s’agit du troisième long métrage de cet ancien acteur, le précédent (Little Children) datant de 2006. Il est étonnamment réussi pour quelqu’un qui tourne si peu. Il en a écrit le scénario spécialement pour Cate Blanchett et ne tarit pas de louanges sur l’actrice. Il est vrai qu’elle accomplit une performance extraordinaire, donnant une crédibilité inouïe à son personnage. Elle est de tous les plans et son jeu est puissant, montrant une grande présence à l’écran. C’est un film assez complexe, que l’on peut aborder sous plusieurs angles. Dès les premières minutes, nous sommes happés par un long mais passionnant interview de la chef d’orchestre qui nous plonge dans un univers de passion pour la musique. Le récit nous montre aussi la solitude des positions de pouvoir. Il met en relief la misogynie du milieu de la musique classique (1) et dresse le portrait d’une femme très libre. Enfin, l’histoire a ses mystères, des évènements inexpliqués qui créent une atmosphère étrange, parfois à la limite du surnaturel. La mise en scène est précise. L’ensemble est intelligent et brillant. Un film passionnant qui sort des sentiers battus du cinéma américain. Elle: Lui :
Voir les autres films de Todd Field chroniqués sur ce blog…
Remarque : Les musiciens jouent réellement, même Kate Blanchett. Sophie Kauer est une jeune violoncelliste, qui n’avait aucune expérience d’actrice.
(1) A propos des femmes chefs d’orchestre, le réalisateur précise : « Le monde de la musique classique austro-allemand est figé dans le passé. Il suffit de regarder les orchestres majeurs. À ce jour, pas un seul n’a de femme chef d’orchestre à sa tête. À ce titre, notre film est un conte de fées. »
Tout va mal pour Bettie, une restauratrice bretonne, veuve portant élégamment la soixantaine : elle vient d’apprendre que l’homme qu’elle aime épouse une autre femme plus jeune et son restaurant est en difficulté. Au lendemain de ces mauvaises nouvelles, elle quitte soudainement le restaurant sous le prétexte d’aller acheter des cigarettes, puis décide de faire une balade afin de retrouver ses esprits… Elle s’en va est un film français réalisé par Emmanuelle Bercot. Elle en a écrit le scénario avec Jérôme Tonnerre (ancien voisin de François Truffaut). Écrit pour Catherine Deneuve, il dresse un portrait de femme sous des facettes multiples. L’angle le plus approfondi est toutefois celui de la famille, avec des relations compliquées, distendues, chargées de rancœurs et de mal-être. Mais il y aussi des rencontres, qui sont assez inattendues à défaut d’être plaisantes, et aussi chargées de clichés sur la « France profonde ». Catherine Deneuve est parfaite dans ce rôle assez difficile, capable de passer rapidement du rire aux larmes, imposant son personnage à l’écran. Emmanuelle Bercot fait jouer son propre fils qui montre un talent certain. En revanche, la chanteuse Camille ne semble pas bien à sa place en tant qu’actrice. Elle: Lui :