11 février 2013

L’Exercice de l’État (2011) de Pierre Schöller

L'exercice de l'ÉtatL’Exercice de l’État nous propose une vision d’un monde que l’on connait finalement assez peu. Pierre Schöller nous montre non pas les petites manœuvres politiciennes, les luttes intestines mais plutôt une image plus réelle, plus quotidienne pourrait-on presque dire, de l’exercice du pouvoir : comment un ministre, doté de convictions et qui, à priori, désire rester intègre, va gérer un projet de réforme importante sur laquelle il va certainement devoir se rétracter et comment la réalité vient s’immiscer par ses évènements, ses imprévus. Assez intelligemment, Pierre Schöller a choisi un ministre de second plan (les transports) et s’arrange pour que le bord politique ne soit pas clairement évident. Il s’est documenté sur les mécanismes de décision, nous montrant bien comment le ministre travaille avec son chef de cabinet et ses proches conseillers. Cet aspect rend le film attrayant car il nous montre de l’intérieur un monde auquel nous n’avons accès. En revanche, le défaut de L’Exercice de l’État est sans doute de ne proposer que cela, la réflexion sur le pouvoir restant finalement assez limitée. La tension est bien créée, elle reste constante tout au long du film. Pierre Schöller fait preuve d’une belle maitrise de la mise en scène et l’interprétation d’Olivier Gourmet est parfaite ; il est soutenu par des seconds rôles fort bien tenus.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman, Laurent Stocker, Sylvain Deblé, Didier Bezace
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11 janvier 2013

Les vacances de Monsieur Hulot (1953) de Jacques Tati

Titre original : « Les vacances de Monsieur Hulot »

Les vacances de Monsieur HulotMonsieur Hulot arrive dans son automobile antique et pétaradante dans un petit hôtel en bord de mer. Son comportement inhabituel qui tranche avec celui des autres vacanciers va lui attirer une certaine antipathie… Second long métrage de Jacques Tati, Les vacances de Monsieur Hulot est le premier film où il met en scène Monsieur Hulot, personnage lunaire et un peu maladroit qui a gardé une âme d’enfant. Le film enchaîne les gags dans un style élégant et poétique. Basé sur une grande faculté d’observation, l’humour de Jacques Tati utilise souvent les objets ou les attitudes, avec beaucoup de naturel, sans jamais avoir besoin de forcer le trait. C’est un humour sans méchanceté mais qui égratigne au passage certains comportements sociaux ou certains travers de notre société. Il n’y a que très peu de paroles (1) et elles n’ont d’ailleurs que peu d’importance, Tati les utilisant comme des bruitages. Son humour ne vieillit pas, le film est même assez moderne ; en tous cas, certains gags restent dans nos esprits à tout jamais.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jacques Tati, Nathalie Pascaud, Lucien Fregis
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Remarques :
* Les vacances de Monsieur Hulot a été tourné à Saint-Marc-sur-Mer près de Saint-Nazaire. L’Hôtel de la Plage y existe toujours (racheté par une grande chaîne d’hôtels américaine).

* En 1963, Jacques Tati a réalisé un nouveau montage et retravaillé et enrichi la bande sonore. En 1978, il a ajouté une scène pour parodier le film de Steven Spielberg Les dents de la mer (la barque qui se plie en deux).
La version la plus courante aujourd’hui est celle de 1978. Le DVD paru en 2009 propose la version de 1978 et la version originale de 1953.

* Tout comme Mon Oncle, le film Les vacances de Monsieur Hulot a été transformé en roman par Jean-Claude Carrière avec des illustrations de Pierre Etaix (voir le livre).

(1) Monsieur Hulot ne dit qu’un mot de tout le film : « Hulot ».

20 novembre 2012

Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard

Pierrot le fouFerdinand quitte sans regret sa femme et sa vie bourgeoise ennuyeuse pour suivre Marianne qui est poursuivie par des malfrats à cause de son frère. Ils se retrouvent ainsi dans le sud de la France… En fait, la trame vaguement policière de Pierrot le fou est assez secondaire. Le film de Jean-Luc Godard est plus un collage de réflexions et d’émotions sur la vie, sur nos aspirations, nos rêves. Il transforme cette cavale en une déambulation poétique et y insuffle une grande liberté. Les références et citations sont nombreuses et très variées, de Rimbaud aux Pieds Nickelés en passant par Velasquez, Renoir ou encore Shakespeare. La liberté de ton est aussi très présente par la forme, Godard s’affranchissant de toutes les règles (ruptures de rythme, faux raccords). C’est un cinéma en totale liberté, qui foisonne d’idées et de réflexions, un véritable cinéma de création. La photographie de Raoul Coutard est très belle ; avec des couleurs qui participent au propos (bleu = liberté, rouge = violence, blanc/jaune = pureté). A sa sortie, Pierrot le fou fut interdit au moins de 18 ans pour « anarchisme intellectuel et moral ».
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jean-Paul Belmondo, Anna Karina
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Remarques :
* Aragon a écrit un beau texte très louangeur sur Pierrot le fou, intitulé Qu’est ce que l’art, Jean-Luc Godard ? Lire le texte intégral

* Bien que non créditées au générique, on remarque les apparitions de Samuel Fuller (l’américain de la soirée bourgeoise), Raymond Devos (« est-ce que vous m’aimeeez ? »), Jean-Pierre Léaud (dans le cinéma). A noter que la Princesse Aïcha Abadie (scène sur le bateau au quai), Reine du Liban en exil, est un personnage tout à fait réel ; elle interprète ici son propre personnage.

* A propos du titre : Pierrot le fou est le surnom de Pierre Loutrel, meurtrier de grand chemin, qui fut membre de la Gestapo française avant de rallier la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, puis ennemi public à la tête du Gang des tractions avant. Et bien entendu, Pierrot est aussi le personnage lunaire de la Commedia dell’arte. C’est certainement cette ambivalence qui a guidé Godard dans son choix de titre.

Pierrot le fou
Jean-Paul Belmondo et Anna Karina dans Pierrot le fou. Cette iconique image a servi d’affiche pour le festival de Cannes 2018. A noter que ce n’est pas vraiment une photo extraite du film puisque ce fameux baiser est vu d’assez loin.

14 novembre 2012

Mon oncle (1958) de Jacques Tati

Mon oncleMr Hulot habite dans une petite maison à étages dans un vieux quartier populaire. Sa sœur est mariée à un industriel et tous deux vivent dans une maison ultramoderne remplie de gadgets. Ils confient parfois leur jeune fils à Hulot… En plus d’être un film burlesque et poétique, Mon oncle de Jacques Tati est une vraie réflexion sur le monde moderne. Deux univers se font face : celui de Hulot, modeste, vieillot, biscornu mais plein de vie et celui de sa belle-sœur, bourgeois, moderne, aseptisé, fonctionnel mais vide. Ces deux univers ne s’interpénètrent pas, seuls l’enfant et le chien passent de l’un à l’autre car ils s’ennuient dans leur monde sans fantaisie. Jacques Tati ne cherche pas à prôner l’ancien sur le moderne, il déplore la déshumanisation et l’excès d’organisation : « Je ne crois pas que les lignes géométriques rendent les gens aimables. »(1) En 1958, ce type de regard sur notre société était peu répandu car le modernisme était alors très recherché. L’humour est constant tout au long du film, Tati fait une fois de plus preuve d’un formidable sens de l’observation, aussi bien sur les comportements que sur les objets. Ce qui assez étonnant, c’est de voir à quel point son film n’a pas vieilli : cette réflexion sur les intérieurs épurés et vides pourrait être la même aujourd’hui. Et plus généralement, quelle est cette « qualité de vie » à laquelle on aspire ? Cela prouve que le propos de Jacques Tati est bien universel et explique pourquoi Mon oncle fait partie des films que l’on n’oublie jamais.
Elle: 5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jacques Tati, Jean-Pierre Zola, Adrienne Servantie
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(1) Jacques Tati : « Ce qui me gêne, ce n’est pas qu’on construise des immeubles neufs, il en faut, mais des casernes. Je n’aime pas être mobilisé, je n’aime pas la mécanisation. J’ai défendu le petit quartier, le coin tranquille contre les autoroutes, les aérodromes, l’organisation, une forme de la vie moderne, car je ne crois pas que les lignes géométriques rendent les gens aimables. »
Et aussi : « J’entends revaloriser la gentillesse, par une défense de l’individu dans une optique finalement optimiste. »

13 novembre 2012

À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard

À bout de souffleA Marseille, un jeune voyou vole une voiture pour rentrer à Paris. En route, il tue un gendarme qui le poursuivait. A Paris, il cherche à convaincre une jeune fille d’aller en Italie avec lui… Plus que tout autre, À bout de souffle est le film emblématique de l’éclosion de la Nouvelle Vague. Quand il est sorti, il ne ressemblait à aucun autre film fait avant lui, cassant presque tous les codes habituels du cinéma : ruptures de montage (jump cut), dialogues en partie improvisés ou écrits à la dernière minute, digressions et citations, tournage en lumière naturelle (grain important), caméra à l’épaule, extérieurs en décors naturels. Avec son premier long métrage, Jean-Luc Godard ouvre les portes vers une plus grande liberté, vers un cinéma sans interdit, vers une plus grande jeunesse. Polar mélancolique, au ton légèrement insolent, À bout de souffle a créé des images fortes qui font toujours partie aujourd’hui des images les plus célèbres du septième art : Jean Seberg vendant le New York Herald Tribune sur les Champs Elysées, la désinvolture de Belmondo, le chapeau en arrière, la scène finale…
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Jean Seberg, Jean-Paul Belmondo, Daniel Boulanger
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Remarques :
* On remarquera une petite apparition de Jean-Luc Godard (l’homme qui reconnait Belmondo d’après la photo parue dans le journal et qui le dénonce à deux agents de police). On reconnait également la voix de Godard dans les questions posées lors de la conférence de presse de l’écrivain (interprété par Jean-Pierre Melville).

* Godard dédie À bout de souffle à Monogram Pictures. Ces studios hollywoodiens ont produit de nombreux films à petits budget dans les années trente et quarante avant d’être absorbé par Allied Artists en 1953.

* Pour un avis opposé, on peut lire par exemple ce qu’en dit Jacques Lourcelles, toujours très critique envers la Nouvelle Vague. Pour lui, À bout de souffle « symbolise l’entrée du cinéma dans l’ère de la perte de son innocence et de sa magie naturelle. » (Dictionnaire du cinéma, 1992)

Remake :
Breathless ( À Bout de Souffle Made in USA) de Jim McBride (1983) avec Richard Gere et Valérie Kaprisky.

10 novembre 2012

Mauvaise graine (1934) de Billy Wilder & Alexander Esway

Mauvaise grainePour le forcer à travailler, un père coupe les vivres à son fils oisif. Hélas, celui-ci préfère se tourner vers le banditisme et s’accoquine avec une bande de voleurs de voitures assez bien organisée… Après avoir écrit de nombreux scénarios pour les autres, Billy Wilder réalise son premier film Mauvaise graine. Il le fait à Paris, ayant fui l’Allemagne nazie. Il cosigne la mise en scène avec le hongrois Alexandre Esway, exilé de fraîche date lui aussi. Le budget très réduit les force à tourner beaucoup en décors naturels, dans les rues de Paris (1). Cela donne un ton très véridique au film, presque documentaire. Mais le plus remarquable, dans ce premier film, est le sens du rythme (le sujet aidant car il y est beaucoup question de temps et de vitesse) et aussi la façon d’apporter des touches de burlesque pour soulager la tension. Ces deux éléments préfigurent ses futures réalisations américaines. Car Mauvaise graine est l’unique film de Billy Wilder réalisé en France : le cinéaste quittera Paris peu après pour aller à Hollywood où il ne dirigera son deuxième film que huit ans plus tard.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Danielle Darrieux, Pierre Mingand, Raymond Galle, Paul Escoffier
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Remarque :
Danielle Darrieux n’a que 17 ans quand elle tourne dans Mauvaise graine. Elle commençait alors à avoir des rôles de premier plan.

(1) Noël Simsolo, dans son livre sur Billy Wilder, souligne fort justement les similitudes de la façon qu’a Billy Wilder de filmer Paris avec celle des cinéastes de la (future) Nouvelle Vague.

13 avril 2012

Blanc comme neige (2010) de Christophe Blanc

Blanc comme neigeA la tête d’une concession de vente de voitures de luxe, Maxime voit sa vie basculer lorsque son associé meurt assassiné. Il se retrouve alors en prise directe avec une petite bande de malfrats qui semblent vouloir lui demander des comptes… Blanc comme neige est un film noir à la française. La première scène dans la neige et l’enchainement de catastrophes et de mauvais plans font penser à Fargo des Frères Coen mais le film de Christophe Blanc n’en a pas hélas les qualités. Son problème principal réside certainement au niveau du scénario : il est truffé d’incohérences et, dans son ensemble, l’histoire n’est guère passionnante. La mise en scène est plus convaincante, Christophe Blanc contrôle très bien son film et certaines scènes sont très réussies. L’interprétation est parfaite. Ces deux éléments sauvent le film.
Elle:
Lui : 2 étoiles

Acteurs: François Cluzet, Olivier Gourmet, Jonathan Zaccaï, Bouli Lanners, Louise Bourgoin
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Homonyme :
Blanc comme neige de André Berthomieu (1948) avec Bourvil.

5 janvier 2012

Macadam à deux voies (1971) de Monte Hellman

Titre original : « Two-Lane Blacktop »

Macadam à deux voiesAu volant d’une vieille Chevrolet au moteur surgonflé, un conducteur et son ami mécanicien traversent les Etats-Unis. Peu loquaces, ils sont passionnés par leur machine et participent à des courses sauvages pour gagner un peu d’argent. Ils font la rencontre d’un quarantenaire affabulateur au volant d’une Pontiac GTO neuve et décident que le premier arrivé à Washington DC gagnera la voiture de l’autre… Macadam à deux voies est un film hors-normes. Ce n’est pas franchement un film sur une course à travers les Etats-Unis, même si les voitures y tiennent une grande place. C’est plutôt un road-movie, étrangement taciturne, curieux mais finalement attirant. Les deux acteurs principaux ne sont pas des acteurs : le conducteur est interprété par le chanteur James Taylor et son mécanicien par Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys. Ils n’ont (heureusement) que peu de textes mais il se dégage de leurs personnages quelque chose d’assez indéfinissable qui les rend attachants. Ces quatre personnages (une jeune fille s’invite de la partie) sont sans attache, engagés avec détermination dans une fuite en avant sans but, comme hors du temps, hors du monde. Tourné avec un bon budget, Two-Lane Blacktop fut un fiasco à l’époque, déroutant public et critiques. Il n’est ressorti que récemment et avec le recul, il apparaît comme un certain reflet de la société du début des années soixante-dix, soulignant un certain manque de but après avoir acquis une nouvelle liberté. En tous cas, la fin du film est à classer parmi les plus étranges de l’Histoire du cinéma…
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: James Taylor, Warren Oates, Laurie Bird, Dennis Wilson
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Remarques :
* Macadam à deux voies est le seul long métrage tourné par James Taylor et par Dennis Wilson.
* Après Macadam à deux voies, Laurie Bird n’a tourné que deux longs métrages, dont Annie Hall de Woody Allen où elle joue la petite amie du personnage joué par Paul Simon (Tony Lacey). Elle était alors dans la vraie vie la petite amie d’Art Garfunkel. Elle s’est suicidée deux ans plus tard à l’âge de 25 ans. Art Garfunkel lui a dédicacé son album Scissors Cut.
* On remarquera la présence d’Harry Dean Stanton dans un petit rôle d’auto-stoppeur entreprenant.
* La ressortie du film en DVD aurait été bloquée pendant un certain temps à cause d’un problème de droits sur une musique des Doors qui passe en arrière-plan.