23 juin 2020

La Fille du bois maudit (1936) de Henry Hathaway

Titre original : « The Trail of the Lonesome Pine »

La Fille du bois maudit (The Trail of the Lonesome Pine)Dans les montagnes de l’est du Kentucky, à la fin du XIXe siècle, deux familles voisines se font la guerre depuis toujours pour des raisons oubliées. Un jour arrive un ingénieur pour construire une voie ferrée. Il trouve intelligemment une conciliation avec les deux clans mais c’est un homme instruit qui amène avec lui les mœurs de la ville…
Basé sur un roman de John Fox Jr., The Trail of the Lonesome Pine (il est préférable d’oublier le titre français aussi inapproprié qu’un peu ridicule) est à mi-chemin entre le western et le mélodrame. Il s’inscrit dans l’histoire du cinéma comme étant le premier film en Technicolor trichrome tourné en extérieurs (1). Henry Hattaway met à l’épreuve cette innovation en pratiquant des mouvements difficiles (du fait de la corpulence des caméras) et en explorant toutes ses possibilités et limites en termes de profondeur de champ. Le rendu des couleurs est excellent, mettant en valeur les tons automnaux des décors naturels de forêt (2). L’histoire montre, de façon un peu caricaturale, l’arrivée de la civilisation dans les contrées reculées et l’ouverture vers l’éducation. Pour sa quatrième apparition sur les écrans, et pour la première fois dans un film de premier plan, Henry Fonda donne beaucoup de présence et de force à son personnage obtus et parvient à le rendre, non pas sympathique, mais assez charismatique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sylvia Sidney, Fred MacMurray, Henry Fonda, Fred Stone, Nigel Bruce
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(1) Le procédé utilisé dans les années 20 était le Technicolor bichrome (rouge et vert). Le premier film utilisant le Technicolor trichrome (rouge, vert, bleu) a été un film d’animation de 8 minutes des studios Walt Disney, Des arbres et des fleurs (Flowers and Trees, 1932), issu des Silly Symphonies. Le premier long métrage fut Becky Sharp de Rouben Mamoulian et Lowell Sherman (1935) tourné en studios. Le suivant, The Trail of the Lonesome Pine, est ainsi le premier à être tourné en extérieurs.
(2) En outre, les accessoiristes et costumiers n’étant pas encore habitués à travailler en couleurs, beaucoup d’objets sont dans différentes teintes de bruns et de gris ce qui était habituel lorsque l’on travaillait en noir et blanc.

La Fille du bois maudit (The Trail of the Lonesome Pine)Henry Fonda (à gauche), Sylvia Sidney et Fred MacMurray (à droite)
dans La Fille du bois maudit (The Trail of the Lonesome Pine) de Henry Hathaway.

Remarque :
Le roman de John Fox avait déjà été porté trois fois à l’époque du muet (films perdus) :
The Trail of the Lonesome Pine (1914) réalisé par Frank L. Dear
La Piste du pin solitaire (The Trail of the Lonesome Pine, 1916) réalisé par Cecil B. DeMille, avec Charlotte Walker et Theodore Roberts
De la haine à l’amour (The Trail of the Lonesome Pine, 1923) réalisé par Charles Maigne, avec Mary Miles Minter et Antonio Moreno

23 janvier 2016

Furie (1936) de Fritz Lang

Titre original : « Fury »

FurieEn route pour rejoindre sa fiancée, Joe Wilson est arrêté sur une route secondaire. A cause d’un détail, il est soupçonné de faire partie d’un gang qui a enlevé une petit fille. Rapidement, la petite ville est en émoi, excitée par quelques meneurs qui accusent les autorités de protéger un meurtrier. Une foule hystérique attaque la prison et la brûle… Fury est le premier film américain de Fritz Lang. Le cinéaste allemand avait été appelé à Hollywood par David Selznick pour faire un remake de Docteur Mabuse mais le projet n’avait abouti. C’est le jeune (27 ans) producteur Joseph L. Mankiewicz (qui fut producteur avant d’être réalisateur) qui a insisté auprès de Louis B. Mayer pour que la réalisation de Fury lui soit confiée. L’histoire s’inspire d’un authentique fait divers, un lynchage en Caroline du Nord, un sujet qui fut difficile à faire accepter. Le tournage fut tout aussi difficile, le très exigeant Fritz Lang ayant un peu du mal à se plier aux règles syndicales américaines, Spencer Tracy prenant souvent le parti des techniciens et des acteurs contre lui. Le résultat n’en est pas moins un film d’une belle puissance, qui aborde de façon frontale deux thèmes forts : d’une part la violence collective de la foule, l’effet d’entrainement, le populisme, l’absence d’intelligence des mouvements de foule et d’autre part le désir de vengeance qui transforme ici la victime en bête sauvage. Le film fut très bien reçu par la critique mais n’eut, on s’en doute, que peu de succès auprès du public. Il met, en effet, en relief certains défauts du comportement humain. Toutefois, le film n’est en aucune façon austère et la mise en scène est parfaitement maitrisée.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Sylvia Sidney, Spencer Tracy, Walter Abel, Bruce Cabot, Walter Brennan
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Fury
Sylvia Sidney et Spencer Tracy dans Furie de Fritz Lang.

Fury
L’image la plus célèbre de Furie de Fritz Lang : Specer Tracy regardant avec effroi par la fenêtre de sa prison une foule venue pour le lyncher.

Homonyme :
Furie (The Fury) de Brian de Palma (1978) avec Kirk Douglas, John Cassavetes.

28 mai 2015

Agent secret (1936) de Alfred Hitchcock

Titre original : « Sabotage »
Titre U.S.A. : « The Woman Alone »

Agent secretLondres est soudainement plongé dans le noir à la suite d’un acte de sabotage de la centrale électrique. Un enquêteur de Scotland Yard surveille le directeur d’un cinéma… Sabotage (Agent secret) est adapté du roman de Joseph Conrad The Secret Agent, titre qui ne pouvait pas être utilisé puisque Hitchcock venait d’achever un autre film portant ce titre. Bien qu’il ait été très mal reçu à l’époque, c’est un très bon film où le cinéaste s’attache à créer un suspense qui se révèle assez fort. Comme le film précédent d’Hitchcock, Sabotage est handicapé par le choix des acteurs : John Loder en policier est assez terne (Hitchcock voulait Robert Donat qui n’a pu se libérer), Oscar Homolka est trop sympathique et le couple qu’il forme avec Sylvia Sydney n’est pas crédible. Mais ce n’est pas à cause de l’interprétation si le film a été si mal reçu. [Attention, la suite de ce commentaire va révéler un point important, arrêtez-ici votre lecture si vous comptez regarder le film prochainement.] Ce que le public n’a pas pardonné au cinéaste, c’est de faire mourir le jeune garçon après avoir construit un suspense très fort autour de lui : « C’est une très grave erreur de ma part » analyse le cinéaste a posteriori (1). Il s’agissait pourtant d’un élément très réaliste et c’est, bien entendu, une réaction très naïve de la part du public de vouloir que les personnages qu’il a pris en affection soient toujours sauvés in extremis. Toujours est-il que cela a scellé le destin du film. Une autre scène très forte est celle du repas : Sylvia Sydney, Oskar Homolka et… le couteau. Là, c’est du grand art, et accessoirement un superbe exemple de la manipulation du cinéma car cette scène, par sa construction, son montage et surtout la formidable utilisation d’un objet, le couteau, transforme finalement un meurtre en demi-suicide… Sabotage est donc un film intéressant à plus d’un titre.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sylvia Sidney, Oskar Homolka, John Loder
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Sabotage d'Alfred Hitchcock
Sylvia Sydney dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock

Remarques :
* En visionnant Sabotage aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser aux attentats de Londres de 2005 où une bombe a explosé de façon similaire dans un bus. A noter que dans le film d’Hitchcock, les motivations ne sont pas clairement identifiées : les commanditaires des attentats veulent déstabiliser la société par la peur mais le cinéaste ne les rattache à aucun mouvement politique.

* Cameo d’Alfred Hitchcock (difficile à repérer et incertain) : Juste au moment où la lumière revient (8’50), au premier plan de l’attroupement devant le cinéma, Hitchcock passe très rapidement au premier plan en regardant en l’air. (Nota : Le cameo listé par Wikipédia français ne correspond à aucune scène de la version que j’ai vue)

* Ne pas confondre :
Secret Agent (titre français : Quatre de l’espionnage) d’Alfred Hitchcock (UK 1936)
Sabotage (titre français : Agent secret) d’Alfred Hitchcock (UK 1936)
Saboteur (Titre français : Cinquième colonne) d’Alfred Hitchcock (USA 1942)

Sabotage d'Alfred Hitchcock
Desmond Tester, le jeune garçon dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock

(1) « Il y a une très grave erreur de ma part : le petit garçon qui porte la bombe. Quand un personnage promène une bombe sans le savoir comme un simple paquet, vous créez par rapport au public un très fort suspense. Tout au long de ce trajet, le personnage du garçon est devenu beaucoup trop sympathique pour le public qui, ensuite, ne m’a pas pardonné de le faire mourir lorsque la bombe explose. » (Hitchcock / Truffaut, Ramsay 1983, p. 88)
Lorsque Hitchcock parle ensuite d’une variante possible, François Truffaut a une remarque intéressante : « C’est très délicat de faire mourir un enfant dans un film ; on frôle l’abus de pouvoir du cinéma. » Hitchcock approuve.

Sabotage d'Alfred Hitchcock
Oskar Homolka et Sylvia Sydney dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock avec (hors champ)… le couteau.

14 mars 2015

Rue sans issue (1937) de William Wyler

Titre original : Dead End

Dead EndDans le New York des années trente, une rue en cul-de-sac qui se termine sur le fleuve voit un immeuble de standing s’immiscer dans le quartier très pauvre. Une bande de gamins qui traîne toute la journée dans la rue, un architecte sans emploi dont deux femmes sont amoureuses, l’une riche, l’autre pauvre, un gangster qui est revenu dans le quartier pour voir sa mère et son ancien grand amour, tels sont les personnages de cette rue sans issue… Les origines théâtrales de Dead End sont clairement visibles dans cette production de Samuel Goldwyn : le petit nombre de lieux, l’atmosphère de studio, la manière de poser les dialogues les mettent en évidence. La pièce a d’ailleurs été transposée pratiquement sans adaptation. L’ensemble peut sembler un peu artificiel et le jeu de certains acteurs trop affecté. Ce n’est toutefois pas le cas de la bande des Dead End Kids qui jouent grand naturel. Les personnages sont vraiment très typés et le scénario joue de manière un peu exagérée sur les contrastes. Humphrey Bogart est l’élément le plus remarquable de ce film : son personnage est le plus complexe et il parvient parfaitement à le restituer à l’écran. Après La Forêt pétrifiée de l’année précédente, c’est le film qui contribuera à asseoir son personnage de gangster en cette fin des années trente. Dead End sera un très grand succès. Il bénéficie encore aujourd’hui d’une excellente réputation, sans doute un peu excessive.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Sylvia Sidney, Joel McCrea, Humphrey Bogart, Wendy Barrie, Claire Trevor, Allen Jenkins
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Dead End de William Wyler
Joel McCrea, Allen Jenkins et Humphrey Bogart dans Dead End de William Wyler

Remarques :
Dead End* Dead End est adapté d’une pièce à succès de Sidney Kingsley.
* Pour des raisons de censure, le nom de la profession de Francey n’est jamais prononcé. On la devine bien. En revanche, ce que nos yeux modernes comprennent moins, ce sont les marques qu’elle montre à son ancien amant horrifié : ce sont les marques de la syphilis (dont le nom n’est également pas prononcé).
* Toujours à propos de Francey : bien que sa présence à l’écran ne totalise que cinq minutes, Claire Trevor a été nominée pour l’Oscar du meilleur second rôle… Eût-elle gagné, cela aurait certainement constitué un record (un « supporting role » avec dix lignes de texte…)
* Dead End voit la première apparition du groupe d’adolescents qui se sont appelés les Dead End Kids. Ils jouaient les mêmes rôles dans la pièce. Samuel Goldwyn s’est empressé de se débarrasser de cette bande trop turbulente pour les revendre à la Warner. Ils apparaitront ensemble dans six films (soit sept en tout avec celui-ci) et ils feront ensuite une longue carrière  d’acteur, le plus souvent ensemble (sous le nom East Side Kids puis Bowery Boys) mais aussi séparément parfois. La légende propagée par les studios qui affirmait que les Dead End Kids avaient été découverts dans la rue, était bien évidemment fausse… Parmi les six, Billy Halop, Bobby Jordan, Huntz Hall, Leo Gorcey, Gabriel Dell, Bernard Punsly, seul le dernier était un débutant, les autres étaient déjà des acteurs confirmés. Punsly n’a d’ailleurs jamais été totalement intégré dans la bande et c’est le seul qui n’ait pas eu de longue carrière.

Les Dead End Kids dans Dead End de William Wyler
Les Dead End Kids dans Dead End de William Wyler.
(de g. à dr.) Bobby Jordan, Billy Halop, Huntz Hall, Gabriel Dell et Leo Gorcey.