2 février 2012

Ivan le terrible (1945) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Ivan Groznyy »

Ivan le terribleUltime œuvre d’Eisenstein, Ivan le terrible est un film en deux parties qui était prévu pour en comporter trois. Le décès du réalisateur a laissé l’œuvre à jamais inachevée. Bénéficiant à nouveau des faveurs du pouvoir après Alexandre Nevski (1938), Sergueï Eisenstein met en chantier une grande fresque destinée à exalter la nation alors face à la menace allemande. Objet de tous les soins d’Eisenstein que ce soit sur le plan de l’écriture, de la préparation ou encore du tournage, la première partie d’Ivan le terrible ne sortira qu’en janvier 1945. Bien reçue par le pouvoir, elle obtient le Prix Staline. La deuxième partie sera terminée un an plus tard mais sera vivement critiquée par les autorités culturelles. Eisenstein devra faire son autocritique et commencera à travailler sur les corrections, travail interrompu par sa mort. La seconde partie ne sortira en URSS qu’en 1958, soit bien après la mort de Staline.

Ivan le terribleLe thème du film est de faire revivre les années de pouvoir du tsar Ivan IV dit Le Terrible (XVIe siècle), le tsar qui rassembla et unifia toutes les terres de Russie. Mais Eisenstein s’écarte ouvertement des faits historiques, il crée une grande tragédie aux accents shakespeariens, un opéra visuel au service de son propos. Il exalte la grandeur : tout est vertical, démesuré à commencer par le tsar lui-même (Nicolai Tcherkassov, acteur déjà de grande taille, avait certainement plus que des talonnettes), les plafonds restent souvent hors de notre vue tellement ils sont élevés.

Ivan le terribleIvan le terrible est aussi une tragédie sur le pouvoir, sur la nécessaire intransigeance et l’isolement qui en découle, sur le doute qui s’insinue. Ivan a d’ailleurs plus à se défendre de ses proches que des ennemis de la nation. Ces éléments entraineront la condamnation officielle de la seconde partie. Il est plus que probable qu’Eisenstein ait voulu dépeindre Staline au travers d’Ivan, ou au moins a-t-il voulu mettre en garde contre les dérives du pouvoir d’un seul homme.

Ivan le terribleIvan le terrible est un film extrêmement abouti sur le plan visuel. Chaque plan était préparé, dessiné et Eisenstein ne filmait que lorsqu’il allait avoir exactement ce qu’il voulait. La beauté et la force des images est sans égal. Eisenstein n’a sans doute jamais été aussi loin dans ses plans de visages. Plus que les visages, ce sont les yeux… Dans aucun autre film, les yeux des personnages n’ont tant d’importance, il y a une incroyable force qui se dégage des yeux des personnages.

La première partie peut être jugée plus conventionnelle, il est d’ailleurs intéressant de noter qu’elle raconte plus. La seconde partie est plus forte, plus shakespearienne. Ivan le terribleLa couleur apparaît trente minutes avant la fin (grâce à une prise de guerre des russes : le stock de pellicules couleur d’une usine allemande Agfa). Nous avons alors un (hélas trop court) échantillon de l’utilisation de la couleur par Eisenstein. Il ne l’utilise pas pour montrer la réalité, non, il utilise la couleur comme un peintre : il peint ses scènes, les anime par la couleur, il utilise la couleur pour exprimer des sentiments.

Plus que tout film, Ivan le terrible est la fusion de toutes les composantes de l’art au service d’une idée, d’un propos. En ce sens, sa beauté n’a rien de formelle. C’est un film puissant, fascinant.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Nikolai Cherkasov, Lyudmila Tselikovskaya, Serafima Birman, Mikhail Nazvanov, Mikhail Zharov
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9 décembre 2011

La jeune fille au carton à chapeau (1927) de Boris Barnet

Titre original : « Devushka s korobkoy » (« Девушка с коробкой »)

La jeune fille au carton à chapeau (Film muet de 61 mn) Natasha est une jeune fille pétillante qui vit à la campagne avec son grand-père. Ils fabriquent des chapeaux qu’elle va vendre à Moscou. Dans la capitale, elle tombe sur un étudiant sans le sou et décide de lui venir en aide… A 25 ans, Boris Barnet reçoit une commande du gouvernement soviétique pour promouvoir la vente de bons d’un emprunt d’état assortie d’une loterie. La jeune fille au carton à chapeau est ainsi son premier long métrage. C’est une comédie légère qui met habilement en relief certains travers de la nature humaine et qui glorifie la jeunesse.Anna Sten Anna Sten est vraiment adorable, éclatante de vie, parfois mutine mais toujours pleine de générosité et de sincérité. Elle a une présence folle à l’écran et illumine toutes les scènes où elle est présente. L’actrice a failli ensuite faire une grande carrière (1). La jeune fille au carton à chapeau est un film très amusant, avec un ton et une légèreté que l’on n’associe pas forcément avec le cinéma soviétique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Anna Sten, Vladimir Fogel, Ivan Koval-Samborsky
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Remarques :
(1) Anna Sten se fera remarquer quatre ans plus tard dans Les Frères Karamasoff des allemands Erich Engels et Fyodor Otsep. En voyant le film, Samuel Goldwyn s’empressera de lui faire signer un contrat, espérant avoir découvert une nouvelle Greta Garbo ou une nouvelle Marlene Dietrich. Son agent lui retournera le contrat signé sans préciser qu’elle ne parle pas un mot d’anglais. A grands renforts de publicité, Goldwyn lui fera prendre des cours de diction et tourner trois films… qui seront trois flops. L’affaire devenant la risée d’Hollywood, il se séparera d’elle et l’actrice restera ensuite cantonnée à des rôles mineurs.

20 septembre 2011

Selon la Loi (1926) de Lev Kulechov

Titre original : « Po zakonu »
Autre titre : « Dura Lex »

Po zakonuAu Yukon, un groupe cosmopolite de cinq chercheurs d’or exploite un petit filon. L’un d’eux, un irlandais d’habitude plutôt jovial, abat soudainement deux membres du groupe avant d’être maitrisé et ligoté. Par respect de la Loi, le couple épargné désire qu’il soit jugé… Selon la loi est adapté d’une nouvelle de Jack London « L’imprévu ». Ce n’est toutefois pas un film d’aventures. Il s’agit d’un huis clos psychologique qui met en relief le dilemme moral de ce couple qui se retrouve avec le sort d’un meurtrier entre leurs mains. Koulechov est l’un des grands créateurs du cinéma soviétique. Alors qu’il n’avait que 20 ans, il a étudié et développé des théories sur l’importance et la force du montage (1). Dans Selon la loi, il parvient ainsi à donner une grande intensité au jeu des acteurs qui semblent vraiment vivre leurs scènes. C’est assez étonnant. Il donne beaucoup d’importance aux objets qui bénéficient des mêmes attentions de montage que les acteurs. Il épure au maximum l’histoire, les personnages ne sont guère décrits en profondeur, pour se concentrer sur la force des sentiments. Koulechov reçut une réprimande pour l’absence de contenu idéologique. (film muet)
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Aleksandra Khokhlova, Sergei Komarov, Vladimir Fogel
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Remarques :
(1) Sa démonstration la plus célèbre pour montrer l’importance du montage a été d’utiliser un même plan de l’acteur Mosjoukine pour générer des sentiments différents : en enchaînant avec l’image d’un enfant, on lisait sur le visage de l’acteur de la tendresse ; en enchaînant avec l’image d’une femme dans un cercueil, on lisait de la tristesse, avec l’image d’un bol de soupe, on lisait l’appétit etc.

3 juillet 2011

¡Que Viva Mexico! (1932) de Sergueï Eisenstein

¡Que viva Mexico!Lui :
Invité par la Paramount aux Etats Unis fin 1929, Eisenstein ne parvient pas à faire accepter un projet par les financiers du studio. Chaplin le met en relation avec l’écrivain Upton Sinclair qui accepte de le soutenir. Eisenstein choisit de faire un film sur le Mexique qu’il sillonne avec son chef-opérateur Edouard Tissé et son assistant Grigori Alexandrov. Hélas, le projet n’ira pas à son terme, Upton Sinclair ayant décidé de se retirer tout en conservant les parties déjà tournées. Eisenstein ayant perdu la propriété de ses rushes, ce n’est qu’en 1979 qu’Alexandrov réalisera une version « la plus proche possible de ce que voulait Eisenstein ». Ainsi monté, ¡Que Viva México! apparaît comme un mélange subtil de fiction et de documentaire qui replace le Mexique d’aujourd’hui dans la force de son Histoire. On peut supposer que les parties rituelles, un peu longues, auraient certainement été montées plus courtes si le film avait été complètement tourné. Ces parties opposent la vie et la mort, mort qui revient sous différentes formes dans les rites et les coutumes. Les images sont superbes. Mais c’est l’épisode « Maguey » qui est le plus remarquable, une histoire assez simple mais remarquablement mis en images. Il y a, dans cet épisode, une puissance et une force qui évoquent les plus grands films d’Eisenstein. Il ne fait nul doute que ¡Que Viva México! aurait été un très grand film s’il avait été achevé et monté par Eisenstein.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Martín Hernández, Félix Balderas
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Remarques :
Montage d’Alexandrov de 1979 en 4 parties :
Prologue : relie le Mexique d’aujourd’hui à son histoire, notamment la civilisation Maya. Eisenstein met en parallèle les têtes sculptées de divinités et des visages de mexicains vivants.
1. Sanduga : montre les rites actuels du mariage à Tehuantepec.
2. Fiesta : rites de célébration de la Vierge de Guadalupe suivi d’une corrida. Etude de la transcription du christianisme au Mexique.
3. Maguey : met en scène une histoire tragique se déroulant dans une hacienda sous la dictature de Porfirio Díaz. Le maitre des lieux viole et séquestre la fiancée d’un jeune péon qui organise sa vengeance.
4. Soldadera (non tourné) devait mettre en scène le soulèvement de 1910, prélude à la Révolution mexicaine, avec une mise en avant des femmes et plus généralement du peuple, tentant ainsi de faire un rapprochement avec la Révolution soviétique.
* Epilogue : montre la célébration du Jour des morts, légèrement satirique.

Utilisation des rushes de ¡Que Viva México! :
Thunder over Mexico (1933, 72 mn) montage produit par les américains Sol Lesser et Upton Sinclair, il s’agit essentiellement de l’épisode Maguey.
Kermesse funèbre (1933, 20 mn) montage produit par l’américain Sol Lesser, il s’agit des autres parties, montées comme un documentaire avec un commentaire.
Time in the sun (1939, 55 mn) montage respectueux fait par Marie Seton, journaliste britannique qui a rencontré Eisenstein et écrit sur lui.
Eisenstein’s mexican project (1954, 320mn) montage par Jay Leyda, ancien élève d’Eisenstein : mise bout à bout des rushes.
¡Que Viva México! (1979, 90 mn) montage fait par Grigori Alexandrov.

Pour en savoir plus :
– un bonne analyse sur Kinoglaz.fr,
– un article de Chris Meir (en anglais) replaçant le film dans sa dimension ethnographique faisant un rapprochement avec le Tabu de Murnau,
– et aussi un (long) article de Gabrielle Murray (en anglais) sur le symbolisme du film et l’utilisation des icones.

1 juillet 2011

Le bonheur (1935) de Aleksandr Medvedkin

Titre original : « Schastye »

Le bonheurLui :
Un film étonnant qui mêle burlesque, rêverie et surréalisme. Avec sa femme et son beau-père, un paysan russe très pauvre observe son riche voisin, un koulak (paysan indépendant) s’empiffrer alors qu’ils n’ont rien à manger. Sa femme le met dehors en le disant de ne revenir que lorsqu’il aura trouvé le bonheur… Medvedkin connait particulièrement le monde rural pour avoir dirigé le Ciné-Train en 1932 : avec une petite équipe, il a sillonné le pays, filmant ici et là et organisant des séances de projection. L’optique était d’aider la population rurale à surmonter les difficultés et à vanter les mérites des kolkhozes. Deux ans plus tard, il réalise Le bonheur, film atypique, qui mêle burlesque, rêverie et surréalisme, un film qui évoque aussi bien Luis Buñuel que l’humour slapstick des premiers Chaplin ou Keaton. Montrant beaucoup d’inventivité, il crée des situations totalement inattendues, surprenantes, hilarantes. On y voit par exemple un cheval blanc à pois qui se met en grève ou une petite grange pleine de farine qui se déplace toute seule (portée par des voleurs). C’est surtout la cupidité des hommes qui est fustigée, c’est elle qui crée les situations les plus aberrantes. Le bonheur L’individualisme, la paresse sont également ridiculisés. On peut aussi y voir une critique des institutions, l’église, l’armée et bien entendu le tsar. Personne n’est épargné. Le bonheur est un film qui foisonne de thèmes, d’idées et d’images, un peu brouillon parfois ; c’est un film assez unique en son genre. La censure soviétique, ne parvenant pas bien à cerner le propos, préféra retirer le film de la circulation. Il a été redécouvert par Chris Marker dans les années soixante-dix. (Film muet de 64 mn)
Note : 4 étoiles

Acteurs: Pyotr Zinovyev, Yelena Yegorova, Nikolai Cherkasov
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Homonymes :
Le Bonheur de Marcel L’Herbier (1935) avec Gaby Morlay et Charles Boyer
Le Bonheur d’Agnès Varda (1965) avec Jean-Claude Drouot

20 avril 2011

La ligne générale (1929) de Sergueï Eisenstein

Autre titre : « L’ancien et le nouveau »
Titre original : « Staroye i novoye » ( « Старое и новое » )

La ligne généraleLui :
(Film muet) L’écriture du scénario a été entreprise par Eisenstein et Grigori Alexandrov juste après le Cuirassé Potemkine. Il s’agissait d’illustrer la ligne générale du parti en termes de développement rural : Boukharine prônait la mécanisation des campagnes et l’enrichissement des paysans. Interrompu pour tourner Octobre, l’écriture du scénario reprit en 1928 alors que la ligne avait déjà changé : Staline faisait le ménage autour de lui et Boukharine était écarté (1). La nouvelle ligne était alors d’exalter la collectivisation. Eisenstein dût donc insérer la présentation d’un kolkhoze ultramoderne (c’est presque un spot publicitaire plaqué en milieu de film) et fustiger l’individualisme des koulaks (paysans indépendants). Le titre dût être changé pour « L’ancien et le nouveau ».
La ligne généraleBien qu’il soit ainsi né sous de sombres auspices, La ligne générale est un merveilleux film. Il est difficile de ne pas tomber sous le charme de la beauté des images que nous offre Eisenstein, avec ces merveilleux gros plans (même très gros plans) de visages si expressifs, bien que statiques. Il utilise aussi très bien la nature et ses grandes étendues et, bien entendu, les plans de machines sont comme toujours merveilleusement réussis. Eisenstein se livre même à certaines expérimentations, non seulement dans les images telles celles de rêve, mais aussi dans le contenu. Les connotations sexuelles sont très marquées comme dans cette scène très célèbre de l’écrémeuse où les paysans ont un plaisir extatique voire orgastique en admirant le premier fonctionnement d’une écrémeuse mécanique. La ligne générale La scène de la vache livrée au taureau est assez surprenante également… L’humour peut être très fort, comme dans cette satire mordante de la bureaucratie. Le film comporte un personnage central, celui de la paysanne Marfa, rôle pour lequel Eisenstein eut bien du mal à trouver un interprète ; il faillit prendre une comédienne professionnelle avant de trouver une paysanne illettrée parfaite. Le montage est lui aussi remarquable : bien plus que dans ses précédents films, Eisenstein joue avec l’enchaînement des plans pour créer une tension (2). La ligne générale est bien l’un des plus beaux films d’Eisenstein.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Marfa Lapkina, Konstantin Vasilyev
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Remarques :
(1) Révolutionnaire bolchévique dès 1905, Nikolaï Boukharine est l’un des grands esprits des premières années du communisme. Brillant théoricien, il faisait partie de l’aile droite du parti. Il a aidé Staline à se débarrasser de l’aile gauche du parti après la mort de Lénine, devenant ainsi l’homme fort aux côtés de Staline. Lorsque celui-ci fait un virage à gauche en 1928, il se débarrasse cette fois de l’aile droite et Boukharine est exclu. Après une autocritique, il sera brièvement réhabilité au milieu des années trente avant d’être arrêté puis exécuté.
(2) La scène de la procession religieuse pour provoquer la pluie est différente du reste du film : c’est une scène plus traditionnelle car elle repose sur un jeu théâtral et elle est montée de façon classique. Il est intéressant de constater à quel point elle paraît plus fade que le reste du film, et même un peu ennuyeuse.

[mise à jour du 19/09/2016]
Le film ressort le 26 septembre 2016 en version restaurée, aux Editions Lobster (Serge Bromberg) ce qui laisse augurer une très haute qualité.

9 novembre 2010

Le pré de Béjine (1937) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Bezhin lug » (Бежин луг)

Le pré de Béjine Lui :
(Diaporama muet de 35 mn) Le pré de Béjine est l’un des « films perdus » les plus étudiés de l’histoire du cinéma. Alors en disgrâce auprès des autorités soviétiques, Eisenstein ne l’a même jamais totalement terminé, sa production ayant été stoppée par le ministre du cinéma Choumiatski qui le jugeait trop poétique et chargé de métaphores religieuses (1). Il ordonna de détruire le film (selon la version officielle, les négatifs du film auraient été détruits dans un bombardement pendant la guerre) mais la femme d’Eisenstein, Pera Atasheva, en a sauvé des fragments, quelques images de nombreux plans importants (2). Le pré de Béjine Une série d’images fixes est donc tout ce qui nous reste du Pré de Béjine, c’est peu mais elles permettent de nous en faire une idée assez précise. L’histoire est celle d’un jeune garçon tué par son père opposé à la collectivisation des terres. C’est donc l’opposition entre la vieille Russie, accrochée au passé, avec la nouvelle nation soviétique, entreprenante et courageuse. L’enfant est blond, droit et pur, symbole d’un pays porteur d’avenir. Le Pré de Béjine est l’un des rares films d’Eisenstein comportant un héros de premier plan. Plusieurs scènes du film paraissent très fortes : le jeune Stepok qui parvient à calmer les paysans prêts au lynchage, l’incendie du dépot de carburants, l’appropriation d’une église et de son contenu par les villageois pour en faire une maison du peuple, le père tuant son fils qui protégeait la récolte, … Les maigres restes du film nous laissent supposer que le Pré de Béjine aurait été l’un des très grands films d’Eisenstein.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Viktor Kartashov, Nikolai Khmelyov
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(1) Quand Choumiatski sera lui-même arrêté (soupçonné d’être un espion anglais) et exécuté quelques mois plus tard, l’arrêt de la production du Pré de Béjine sera l’un des chefs d’accusation à sa charge. Il faut préciser qu’entre temps, Eisenstein était revenu en grâce après son « autocritique » publique.
(2) Il n’est pas impossible qu’il s’agisse de chutes de montage, les premières images des plans lors de leur mise bout à bout. La reconstitution principale du film a été faite en 1964/65 par le réalisateur Sergueï Ioutkevitch avec l’aide d’un élève d’Eisenstein, Naum Kleiman. Une musique de Prokofiev et une introduction (du professeur Rostislav Yourenev de la Cinémathèque de l’U.R.S.S.) ont été alors ajoutées.

8 novembre 2010

Octobre (1928) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Oktyabr »

OctobreLui :
(Film muet) Octobre, le troisième film de Sergueï Eisenstein, a été tourné au pas de charge : pour être prêt pour le jour du 10e anniversaire de la Révolution de 1917, il lui a fallu tourner en 6 mois ce qui aurait dû en nécessiter 18. Il eut cependant tous les moyens pour honorer cette commande du gouvernement soviétique : 11000 figurants, le Palais d’Hiver pour lui seul et Leningrad fut même plongé dans le noir certains jours afin qu’il puisse avoir toute l’électricité pour ses projecteurs. Le film raconte les évènements de 1917 à Saint-Pétersbourg (Leningrad) qui aboutissent à la prise du Palais d’Hiver et au renversement du gouvernement provisoire. Eisenstein ne voulait aucun acteur professionnel ; Maxime Strauch raconte comment il a été écumer les bars et les asiles pour trouver des « types ». Par rapport au Cuirassé Potemkine, Eisenstein utilise toutefois beaucoup moins les gros plans de visages et laisse une bonne place aux plans larges. Ce qui est remarquable, c’est le mouvement qu’il parvient à donner à ses plans larges, notamment dans la première partie sur les manifestations de juillet. L’impression de mouvement est forte et constante : non seulement, le montage est très rapide, une succession de plans très courts, mais encore ses mouvements de foule sont particulièrement spectaculaires car ils semblent composés d’une multitude de sous-mouvements (par exemple, la dispersion de la manifestation, le départ des troupes, etc…) Octobre Mais le point le plus original d’Octobre reste l’utilisation d’images d’objets ou de séquences pour créer des métaphores (1). Ce point lui valut d’être mal compris du public et le film fut moins bien reçu que Potemkine. Le film eut aussi pour effet de contribuer à faire évoluer (ou, devrait-on plutôt dire, régresser) la vision des dirigeants soviétiques sur le cinéma : fait pour les masses, il devra éviter de chercher l’esthétisme et rester à l’écart de tout intellectualisme. Cette perte de liberté sera fatale. Octobre reste un film passionnant à regarder aujourd’hui, pour la force, le mouvement et l’esthétisme de ses images.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Vladimir Popov, Vasili Nikandrov
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Remarques :
* Le film a par la suite été sonorisé (ajout d’effets sonores) par Grigori Alexandrov, coscénariste et assistant-réalisateur. La musique a été composée par Chostakovitch. Le film est ressorti dans cette version en 1966.
* L’autre film commandé par le gouvernement soviétique pour le 10e anniversaire de la Révolution d’Octobre est La fin de Saint-Pétersbourg (1927) de Vsevolod Poudovkine. Il est bien entendu passionnant de comparer les deux films, puisqu’ils traitent du même sujet.
* Pour leur scénario, Eisenstein et Alexandrov ont pris comme base de départ le livre de l’américain John Reed Dix jours qui ébranlèrent le monde.

(1) Eisenstein utilise des associations d’images pour faire passer une idée, forme que l’on a nommée « le montage intellectuel ». Par exemple, pour montrer que Kerensky cumulait tous les postes du gouvernement provisoire, il le montre plusieurs fois gravissant le même escalier du palais en énumérant ses différentes fonctions. Ou encore, pour montrer son caractère orgueilleux, il entrecoupe plusieurs fois un plan de Kerensky avec une statue de paon.
(2) La première version montrée le 7 novembre 1927 pour le 10e anniversaire de la Révolution durait 140 minutes environ (3800m). A cette époque, Staline commençait à écarter Trotsky pour accaparer tous les pouvoirs et donc Eisenstein dut opérer de nombreuses coupes de scènes où apparaissait Trotsky (toutefois, Stéphane Bouquet souligne dans son livre sur Eisenstein que l’on n’a pas de preuve absolue sur ce point). Les versions les plus connues actuellement oscillent entre 95 mn (USA) et 99/104 mn (Europe). Le site internet IMDB mentionne l’existence d’une version restaurée en 2007 de 142 mn, sans préciser quelles sont ces scènes additionnelles (seraient-elles les scènes coupées par Eisenstein ?)

3 novembre 2010

La fin de Saint-Pétersbourg (1927) de Vsevolod Poudovkine

Titre original : « Konets Sankt-Peterburga »

Autre titre : « Les derniers jours de Saint-Pétersbourg »

La fin de Saint-PetersbourgLui :
(Muet) Vsevolod Poudovkine est l’un des grands pionniers du cinéma soviétique. La fin de Saint-Pétersbourg est son deuxième long métrage, un an après La mère. Il nous fait suivre un jeune paysan venu à Saint-Petersbourg en 1914 chercher du travail. Il se retrouve embauché pour remplacer des grévistes. Il sera ensuite envoyé au front puis, en 1917, participera à la prise du Palais d’Hiver lors de la Révolution d’Octobre. Le film a été commandé par le gouvernement pour célébrer le 10e anniversaire de la révolution de 1917. Il faut bien entendu être indulgent face au manichéisme du propos qui est avant tout didactique : au-delà des évènements retracés, c’est le lent éveil à la conscience politique de ce jeune paysan qui est le sujet principal du film. La fin de Saint-Petersbourg Poudovkine utilise le montage parallèle pour donner de la force au propos : il alterne rapidement les scènes où des soldats se battent au front sans savoir pourquoi avec les scènes montrant des spéculateurs à la Bourse. Il utilise de la même façon les objets, la machinerie de l’usine ou les monuments, qu’il juxtapose avec les plans humains. Beaucoup de force, de nombreuses scènes restent dans les esprits ; beaucoup de poésie dans ses images qui s’inscrit en contrepoint de la dureté des évènements.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Vera Baranovskaya, Aleksandr Chistyakov, Ivan Chuvelyov
Voir la fiche du film et la filmographie de Vsevolod Poudovkine sur le site IMDB.

Remarques :
« Alors qu’un film d’Eisenstein est un cri, les films de Poudovkine sont des chants modulés et prenants. » Cette citation célèbre décrit parfaitement la différence entre les deux cinéastes. Elle est de Léon Moussinac (ici complétée par Georges Sadoul). Léon Moussinac est un historien et critique du cinéma dont le premier livre sur le cinéma soviétique a paru en 1928.

Voir aussi : Octobre par Sergueï Eisenstein, l’autre film commandé pour le 10e anniversaire de la Révolution.

26 septembre 2010

Les marins de Cronstadt (1936) de Efim Dzigan

Titre original : « My iz Kronshtadta »
Autre orthographe (DVD) : « Les marins de Kronstadt »

Les marins de KronstadtLui :
Réalisé pour célébrer le 20e anniversaire de l’Armée Rouge, Les Marins de Cronstadt prend pour thème principal un évènement important de la guerre civile : en octobre 1919, les marins de Cronstadt partent défendre la ville de Petrograd (ex-Saint-Pétersbourg) menacée par l’Armée Blanche soutenue par les occidentaux. Outil de propagande, le film exalte le dévouement au parti et l’obéissance et le sacrifice. Il ne fait, bien entendu, nulle mention du fait que ces mêmes marins se soulèveront contre le nouveau régime soviétique deux ans plus tard en tentant d’instaurer une méthode de gouvernement plus collective. Il souligne en revanche la différence dans ses rangs entre les communistes, présentés comme les plus fiables et les plus déterminés, et les sans-parti, plus imprévisibles. Il met aussi en avant le caractère collectif de certaines prises de décision. Sur le plan cinématographique, le film est très réussi. Il fait la part belle aux batailles et la réalisation du biélorusse Efim Dzigan est particulièrement soignée, avec une tension qui ne se relâche à aucun moment. Certaines scènes sont très belles, telle la scène du bivouac sur les marches d’une très grande demeure, ou très fortes comme la scène où, capturés par l’Armée Blanche, les soldats communistes sont jetés du haut d’une falaise. C’est cette force, toujours intacte 75 ans plus tard, qui rend le film vraiment remarquable.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Vasili Zajchikov, Georgi Bushuyev, Oleg Zhakov, Raisa Yesipova
Voir la fiche du film et la filmographie de Efim Dzigan sur le site IMDB.