Titre original : « Ivan Groznyy »
Ultime œuvre d’Eisenstein, Ivan le terrible est un film en deux parties qui était prévu pour en comporter trois. Le décès du réalisateur a laissé l’œuvre à jamais inachevée. Bénéficiant à nouveau des faveurs du pouvoir après Alexandre Nevski (1938), Sergueï Eisenstein met en chantier une grande fresque destinée à exalter la nation alors face à la menace allemande. Objet de tous les soins d’Eisenstein que ce soit sur le plan de l’écriture, de la préparation ou encore du tournage, la première partie d’Ivan le terrible ne sortira qu’en janvier 1945. Bien reçue par le pouvoir, elle obtient le Prix Staline. La deuxième partie sera terminée un an plus tard mais sera vivement critiquée par les autorités culturelles. Eisenstein devra faire son autocritique et commencera à travailler sur les corrections, travail interrompu par sa mort. La seconde partie ne sortira en URSS qu’en 1958, soit bien après la mort de Staline.
Le thème du film est de faire revivre les années de pouvoir du tsar Ivan IV dit Le Terrible (XVIe siècle), le tsar qui rassembla et unifia toutes les terres de Russie. Mais Eisenstein s’écarte ouvertement des faits historiques, il crée une grande tragédie aux accents shakespeariens, un opéra visuel au service de son propos. Il exalte la grandeur : tout est vertical, démesuré à commencer par le tsar lui-même (Nicolai Tcherkassov, acteur déjà de grande taille, avait certainement plus que des talonnettes), les plafonds restent souvent hors de notre vue tellement ils sont élevés.
Ivan le terrible est aussi une tragédie sur le pouvoir, sur la nécessaire intransigeance et l’isolement qui en découle, sur le doute qui s’insinue. Ivan a d’ailleurs plus à se défendre de ses proches que des ennemis de la nation. Ces éléments entraineront la condamnation officielle de la seconde partie. Il est plus que probable qu’Eisenstein ait voulu dépeindre Staline au travers d’Ivan, ou au moins a-t-il voulu mettre en garde contre les dérives du pouvoir d’un seul homme.
Ivan le terrible est un film extrêmement abouti sur le plan visuel. Chaque plan était préparé, dessiné et Eisenstein ne filmait que lorsqu’il allait avoir exactement ce qu’il voulait. La beauté et la force des images est sans égal. Eisenstein n’a sans doute jamais été aussi loin dans ses plans de visages. Plus que les visages, ce sont les yeux… Dans aucun autre film, les yeux des personnages n’ont tant d’importance, il y a une incroyable force qui se dégage des yeux des personnages.
La première partie peut être jugée plus conventionnelle, il est d’ailleurs intéressant de noter qu’elle raconte plus. La seconde partie est plus forte, plus shakespearienne. La couleur apparaît trente minutes avant la fin (grâce à une prise de guerre des russes : le stock de pellicules couleur d’une usine allemande Agfa). Nous avons alors un (hélas trop court) échantillon de l’utilisation de la couleur par Eisenstein. Il ne l’utilise pas pour montrer la réalité, non, il utilise la couleur comme un peintre : il peint ses scènes, les anime par la couleur, il utilise la couleur pour exprimer des sentiments.
Plus que tout film, Ivan le terrible est la fusion de toutes les composantes de l’art au service d’une idée, d’un propos. En ce sens, sa beauté n’a rien de formelle. C’est un film puissant, fascinant.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Nikolai Cherkasov, Lyudmila Tselikovskaya, Serafima Birman, Mikhail Nazvanov, Mikhail Zharov
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