18 novembre 2010

Les garçons (1959) de Mauro Bolognini

Titre original : « La notte brava »

Les garçonsLui :
Les Garçons montre une journée et une nuit de deux jeunes, un peu voyous, un peu bohêmes, qui écoulent de la marchandise volée et tentent de rouler deux jeunes prostituées. Bolognini dresse le portrait d’une certaine jeunesse dans l’Italie de l’après-guerre qui semble enfermée dans l’oisiveté et condamnée à une errance physique et morale, où même l’amitié n’est plus vraiment une valeur. Seul l’argent compte, pour être toute de suite flambé. Les lieux utilisés par Bolognini font écho à ce désert moral, de grandes étendues entre terrains vagues périurbains et zones champêtres sableuses. Le scénario, tiré d’un roman qui avait fait scandale, est adapté par Pier Paolo Pasolini (qui tournera son premier film deux ans plus tard). L’ambiance du film est assez riche d’une certaine latence d’évolution ; le portrait de ces garçons est aussi celui de l’Italie en cette fin des années cinquante. Belle prestation de Jean-Claude Brialy et de Laurent Terzief, ici dans l’un de ses premiers grands rôles au cinéma.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Rosanna Schiaffino, Elsa Martinelli, Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy, Anna-Maria Ferrero, Franco Interlenghi, Tomas Milian, Mylène Demongeot
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17 novembre 2010

Le voyage à travers l’impossible (1904) de Georges Méliès

Le voyage à travers l'impossibleLui :
Devant l’immense succès de son film Le Voyage dans la Lune qu’il a réalisé deux ans plus tôt, Méliès décide de lui donner une suite. Après la lune, c’est au tour du soleil d’être la destination d’une expédition fantastique. L’histoire est (très) librement adaptée d’une pièce de Jules Verne qui porte le même nom. L’ingénieur Mabouloff et ses collègues de la « Société de Géographie Incohérente » construisent un véhicule révolutionnaire : l’automabouloff intersidéral. Ils se rendent dans les Alpes pour trouver un grand plan incliné qui servira de rampe de lancement. Après un rapide voyage, ils parviennent sur la surface du soleil (!) où ils sont obligés de s’enfermer dans une grande glacière… Le voyage à travers l'impossible Ils reviennent sur terre avec un engin submersible qui tombe au fond d’un océan avant qu’une pieuvre géante ne cause une explosion dans la salle des machines qui les fait revenir de force à la surface. Il faut bien avouer qu’à la première vision, l’histoire n’est pas toujours très facile à comprendre sans les commentaires qui étaient dits à l’époque par un bonimenteur sur place. De plus, certaines actions sont montrées deux fois (1). Le Voyage à travers l’Impossible reprend globalement la succession d’évènements du Voyage dans la Lune (conférence, construction, départ, court séjour sur place, retour dans la mer) mais l’ensemble apparaît un peu plus confus. Méliès met beaucoup plus d’humour : tout est prétexte à gesticulations diverses et à la farce, aucune séquence n’est vraiment sérieuse. Il est, probablement pour cette raison, beaucoup moins poétique que son prédécesseur. Le Voyage à travers l’Impossible est plus développé et plus long ; en 1904, c’est le plus long film jamais produit. Méliès vend des copies coloriées à la main. Une fois de plus, Méliès va plus loin que tout autre… il continue de « créer » le cinéma.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Georges Méliès
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(1) Par exemple, lorsque les savants arrivent dans les Alpes par train, nous les voyons descendre du wagon depuis l’intérieur. Ensuite, nous voyons le train arriver en gare à nouveau (mais, cette fois, vu de l’extérieur) et les voyageurs descendre du train. Cette façon de montrer deux fois des actions importantes était une convention dans certains spectacles populaires. Cette pratique sera abandonnée quelques années plus tard.

Remarques :
* Méliès tient lui-même le rôle de l’ingénieur Mabouloff.
* Une fin additionnelle de deux minutes aurait été mise à la disposition des exploitants (moyennant supplément). Une copie de cette fin allongée aurait été redécouverte il y a peu.

16 novembre 2010

Le sang d’un poète (1930) de Jean Cocteau

Le sang d'un poèteLui :
Financé par le vicomte Charles de Noailles (qui a également produit L’Âge d’or de Luis Buñuel), le premier film de Jean Cocteau est un moyen métrage de 49 minutes qui nous plonge dans une sorte de rêve illustrant la difficulté de la création et les errements du poète. On retrouve dans Le Sang du Poète certains symboles et thèmes qui sont chers à Cocteau, les corps, le miroir-porte vers une autre réalité, la mort. Cocteau joue beaucoup avec les trucages, utilisant pleinement les possibilités techniques de l’époque pour créer des images surréalistes, à la fois fortes et belles (le film a toutefois été source de querelles entre Cocteau et les surréalistes). Le Sang d’un poète est souvent présenté comme le film le plus personnel de Cocteau dans la mesure il s’est « portraituré » lui-même, pour reprendre sa propre expression. Le titre initialement prévu était même « La vie d’un poète ».
Note : 3 étoiles

Acteurs: Enrique Rivero, Elizabeth Lee Miller, Pauline Carton, Odette Talazac
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15 novembre 2010

The visitor (2007) de Thomas McCarthy

The VisitorElle :
Note : 5 étoiles

Lui :
Un professeur d’université, insatisfait de sa vie devenue assez terne et vide depuis la mort de sa femme, se retrouve nez à nez avec un jeune couple quand il revient dans son appartement new-yorkais. Ayant visiblement été victimes d’une escroquerie, les deux jeunes d’origine syrienne et sénégalaise n’ont nulle part où aller. Le professeur les autorise à rester et, peu à peu, se lie d’amitié avec eux. Ce deuxième long métrage de Thomas McCarthy traite en réalité du problème des immigrés clandestins installés depuis longue date ; il le fait avec beaucoup de délicatesse, sans forcer le trait. Le personnage de ce professeur d’université qui semble avoir perdu toute envie est pour beaucoup dans l’équilibre subtil du film. Il est merveilleusement interprété avec beaucoup de justesse par Richard Jenkins, acteur à la diction parfaite que l’on a peu l’habitude de voir au premier plan. The Visitor est un joli film très sensible. Il est aussi, et surtout, très humain.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Richard Jenkins, Haaz Sleiman, Hiam Abbass, Danai Gurira
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14 novembre 2010

Daddy-Long-Legs (1919) de Marshall Neilan

Titre français parfois utilisé : « Papa-Longues-Jambes »

Daddy-Long-LegsLui :
(Film muet) Dans un orphelinat, une jeune fille vive et dégourdie est envoyée au collège par un mystérieux bienfaiteur dont elle n’aperçoit que l’ombre déformée. Elle le surnommera « Papa Longues Jambes ». Cette histoire est tirée d’un roman de Jean Webster qui avait déjà été adapté sur les planches dans une veine dramatique. Avec Mary Pickford, Daddy-Long-Legs devient plutôt une comédie surtout dans la première moitié du film qui se concentre sur ses facéties dans l’orphelinat : par moment, nous ne sommes pas loin de Chaplin ou de Keaton, il faut voir par exemple la scène du chien saoul…! Mary Pickford et Marshall Neilan se sont connus chez Griffith au début des années dix, ils s’entendent parfaitement. L’actrice parvient sans mal à traverser les âges : elle débute le film en jouant une fillette de douze ans pour le finir en jeune femme. Elle est étonnante par la façon dont elle adapte son jeu, ses mimiques, ses inflexions avec toujours ce charme plein d’innocence. Daddy-Long-Legs parvient à trouver un équilibre parfait entre drame et comédie.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Mary Pickford, Milla Davenport, Percy Haswell, Mahlon Hamilton
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Remarques :
Marshall Neilan joue le rôle du jeune soupirant, Jimmie McBride. Quand il est devant la caméra, c’est Mary Pickford qui dirige.

Autres adaptations notables :
Daddy Long Legs (Papa Longues Jambes) d’Alfred Santell (1931) avec Janet Gaynor
Curly Top (Boucles d’or) d’Irving Cummings avec Shirley Temple
Daddy Long Legs (Papa Longues Jambes) de Jean Neguslesco avec Fred Astaire et Leslie Caron

13 novembre 2010

La strada (1954) de Federico Fellini

Titre original : « La strada »

La stradaLui :
Une jeune fille est vendue par sa famille très pauvre à un lutteur de foire. Elle l’accompagne sur les routes pour l’aider dans son numéro de briseur de chaîne. La Strada met face à face deux caractères totalement différents : la jeune Gelsomina, lunaire, innocente, fragile, avide de découvertes et Zamparo, colosse, assez brute, hâbleur, rustre à la vue courte qui refuse de montrer ses sentiments. Fellini crée des personnages presque caricaturaux tant il pousse loin cette opposition. La strada Le personnage de la jeune fille emprunte visuellement beaucoup de traits à Chaplin ; Giulietta Masima (1), avec peu de paroles, met beaucoup d’humanité dans son personnage en jouant avec les expressions enfantines de son visage. Car au-delà de la polémique (2), La Strada est un film plein d’humanité que Fellini transmet en évitant tout misérabilisme. Il trouve ici l’équilibre parfait et le film remportera un succès qui le propulsera au devant de la scène. Et grâce à la présence d’un acteur américain, ce succès sera international.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Anthony Quinn, Giulietta Masina, Richard Basehart
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(1) Giulietta Masina est l’épouse de Fellini.
(2) La Strada a été vivement attaqué à sa sortie par certains critiques européens pour l’introduction de certaines valeurs religieuses, notamment au travers du personnage Il Matto, le Fou, dans la scène du caillou. Certains critiques virent là une trahison du néoréalisme.

10 novembre 2010

Religolo (2008) de Larry Charles

Titre original : « Religulous »

ReligoloLui :
Après l’impertinent Borat, le réalisateur Larry Charles revient avec un film encore plus irrévérencieux, un semi-documentaire sur le thème des religions présenté par Bill Maher (1). Ayant été lui-même baigné dans son enfance par deux religions différentes, Maher entreprend de démonter les fondements des principales religions en mettant en relief leur incohérences. Son ambition est de prôner le doute. Il interviewe nombre de personnes, tentant d’ébranler leurs convictions profondes en rebondissant constamment sur leur propos (on craint toujours que l’un d’entre eux s’énerve mais non, tous restent calmes…) Certains propos sont entrecoupés par des courts extraits de peplum des années cinquante, procédé toujours terrifiant par son efficacité mais un peu discutable. C’est dans la partie américaine que le film semble le plus réussi, même s’il s’attaque parfois à des proies faciles, le simple fait de montrer étant alors suffisant pour prouver le ridicule (fondamentalistes, parc d’attractions, allumés divers…) Hors Amérique, il tend à s’enliser un peu, Bill Maher avouant lui-même ne pas arriver à faire parler les gens car il est perçu comme un étranger. Sur le fond, Religolo manque plutôt de substance, il se contente d’être politiquement incorrect par des effets un peu faciles. Cela ne l’empêche pas d’être souvent assez amusant. Religolo (2) est d’ailleurs plus amusant qu’inquiétant. En fait, l’arme principale du film est bien le rire.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Bill Maher
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(1) Bill Maher anime un talk-show sur la chaîne de télévision HBO aux Etats-Unis. Il a été précédemment comique sur la scène new yorkaise, puis présentateur d’une émission très suivie, au titre significatif : « Politically incorrect ».
(2) A noter toutefois que, si le titre français est une contraction de « religion » et « rigolo », le titre original Religulous et une contaction de « religion » et « ridiculous ».

9 novembre 2010

Le pré de Béjine (1937) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Bezhin lug » (Бежин луг)

Le pré de Béjine Lui :
(Diaporama muet de 35 mn) Le pré de Béjine est l’un des « films perdus » les plus étudiés de l’histoire du cinéma. Alors en disgrâce auprès des autorités soviétiques, Eisenstein ne l’a même jamais totalement terminé, sa production ayant été stoppée par le ministre du cinéma Choumiatski qui le jugeait trop poétique et chargé de métaphores religieuses (1). Il ordonna de détruire le film (selon la version officielle, les négatifs du film auraient été détruits dans un bombardement pendant la guerre) mais la femme d’Eisenstein, Pera Atasheva, en a sauvé des fragments, quelques images de nombreux plans importants (2). Le pré de Béjine Une série d’images fixes est donc tout ce qui nous reste du Pré de Béjine, c’est peu mais elles permettent de nous en faire une idée assez précise. L’histoire est celle d’un jeune garçon tué par son père opposé à la collectivisation des terres. C’est donc l’opposition entre la vieille Russie, accrochée au passé, avec la nouvelle nation soviétique, entreprenante et courageuse. L’enfant est blond, droit et pur, symbole d’un pays porteur d’avenir. Le Pré de Béjine est l’un des rares films d’Eisenstein comportant un héros de premier plan. Plusieurs scènes du film paraissent très fortes : le jeune Stepok qui parvient à calmer les paysans prêts au lynchage, l’incendie du dépot de carburants, l’appropriation d’une église et de son contenu par les villageois pour en faire une maison du peuple, le père tuant son fils qui protégeait la récolte, … Les maigres restes du film nous laissent supposer que le Pré de Béjine aurait été l’un des très grands films d’Eisenstein.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Viktor Kartashov, Nikolai Khmelyov
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(1) Quand Choumiatski sera lui-même arrêté (soupçonné d’être un espion anglais) et exécuté quelques mois plus tard, l’arrêt de la production du Pré de Béjine sera l’un des chefs d’accusation à sa charge. Il faut préciser qu’entre temps, Eisenstein était revenu en grâce après son « autocritique » publique.
(2) Il n’est pas impossible qu’il s’agisse de chutes de montage, les premières images des plans lors de leur mise bout à bout. La reconstitution principale du film a été faite en 1964/65 par le réalisateur Sergueï Ioutkevitch avec l’aide d’un élève d’Eisenstein, Naum Kleiman. Une musique de Prokofiev et une introduction (du professeur Rostislav Yourenev de la Cinémathèque de l’U.R.S.S.) ont été alors ajoutées.

8 novembre 2010

Octobre (1928) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Oktyabr »

OctobreLui :
(Film muet) Octobre, le troisième film de Sergueï Eisenstein, a été tourné au pas de charge : pour être prêt pour le jour du 10e anniversaire de la Révolution de 1917, il lui a fallu tourner en 6 mois ce qui aurait dû en nécessiter 18. Il eut cependant tous les moyens pour honorer cette commande du gouvernement soviétique : 11000 figurants, le Palais d’Hiver pour lui seul et Leningrad fut même plongé dans le noir certains jours afin qu’il puisse avoir toute l’électricité pour ses projecteurs. Le film raconte les évènements de 1917 à Saint-Pétersbourg (Leningrad) qui aboutissent à la prise du Palais d’Hiver et au renversement du gouvernement provisoire. Eisenstein ne voulait aucun acteur professionnel ; Maxime Strauch raconte comment il a été écumer les bars et les asiles pour trouver des « types ». Par rapport au Cuirassé Potemkine, Eisenstein utilise toutefois beaucoup moins les gros plans de visages et laisse une bonne place aux plans larges. Ce qui est remarquable, c’est le mouvement qu’il parvient à donner à ses plans larges, notamment dans la première partie sur les manifestations de juillet. L’impression de mouvement est forte et constante : non seulement, le montage est très rapide, une succession de plans très courts, mais encore ses mouvements de foule sont particulièrement spectaculaires car ils semblent composés d’une multitude de sous-mouvements (par exemple, la dispersion de la manifestation, le départ des troupes, etc…) Octobre Mais le point le plus original d’Octobre reste l’utilisation d’images d’objets ou de séquences pour créer des métaphores (1). Ce point lui valut d’être mal compris du public et le film fut moins bien reçu que Potemkine. Le film eut aussi pour effet de contribuer à faire évoluer (ou, devrait-on plutôt dire, régresser) la vision des dirigeants soviétiques sur le cinéma : fait pour les masses, il devra éviter de chercher l’esthétisme et rester à l’écart de tout intellectualisme. Cette perte de liberté sera fatale. Octobre reste un film passionnant à regarder aujourd’hui, pour la force, le mouvement et l’esthétisme de ses images.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Vladimir Popov, Vasili Nikandrov
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Remarques :
* Le film a par la suite été sonorisé (ajout d’effets sonores) par Grigori Alexandrov, coscénariste et assistant-réalisateur. La musique a été composée par Chostakovitch. Le film est ressorti dans cette version en 1966.
* L’autre film commandé par le gouvernement soviétique pour le 10e anniversaire de la Révolution d’Octobre est La fin de Saint-Pétersbourg (1927) de Vsevolod Poudovkine. Il est bien entendu passionnant de comparer les deux films, puisqu’ils traitent du même sujet.
* Pour leur scénario, Eisenstein et Alexandrov ont pris comme base de départ le livre de l’américain John Reed Dix jours qui ébranlèrent le monde.

(1) Eisenstein utilise des associations d’images pour faire passer une idée, forme que l’on a nommée « le montage intellectuel ». Par exemple, pour montrer que Kerensky cumulait tous les postes du gouvernement provisoire, il le montre plusieurs fois gravissant le même escalier du palais en énumérant ses différentes fonctions. Ou encore, pour montrer son caractère orgueilleux, il entrecoupe plusieurs fois un plan de Kerensky avec une statue de paon.
(2) La première version montrée le 7 novembre 1927 pour le 10e anniversaire de la Révolution durait 140 minutes environ (3800m). A cette époque, Staline commençait à écarter Trotsky pour accaparer tous les pouvoirs et donc Eisenstein dut opérer de nombreuses coupes de scènes où apparaissait Trotsky (toutefois, Stéphane Bouquet souligne dans son livre sur Eisenstein que l’on n’a pas de preuve absolue sur ce point). Les versions les plus connues actuellement oscillent entre 95 mn (USA) et 99/104 mn (Europe). Le site internet IMDB mentionne l’existence d’une version restaurée en 2007 de 142 mn, sans préciser quelles sont ces scènes additionnelles (seraient-elles les scènes coupées par Eisenstein ?)

7 novembre 2010

La fée aux choux (1900) de Alice Guy

La fée aux chouxLui :
(Muet, 1 minute) Dans un jardin féérique planté de choux géants, une gracieuse fée cueille des nouveau-nés et vient les poser à l’avant-plan. Depuis qu’elle fut redécouverte, cette petite fantaisie d’Alice Guy a souvent été datée de manière incorrecte de 1896 et présentée comme étant le premier film doté d’un scénario inventé (avec l’Arroseur arrosé qui est de la fin 1895) (1). Comme nous le montre l’excellent coffret édité par Gaumont, La Fée aux Choux aurait été en réalité réalisé par Alice Guy en l’an 1900, date qui paraît bien plus cohérente avec sa filmographie. Alice Guy est, avec les frères Lumière et Georges Méliès, l’un des trois grands pionniers du cinéma. Qu’elle ait été longtemps occultée dans les histoires du cinéma est une grande injustice.
Sage-femme de première classe Alice Guy a par la suite tourné plusieurs variantes de la Fée aux Choux dont l’étonnant Sage-femme de première classe (1902) parfois décrit à tort comme un remake ou même confondu avec l’original (2). Il s’agit d’une petite fantaisie de 4 minutes, bien plus élaborée, où l’on voit un jeune couple aller chez… une marchande de bébés ! Comme aucun des bébés exposés ne leur convient, la marchande les fait entrer dans la réserve, un jardin plein de choux géants et commence à leur montrer les différents modèles en les cueillant derrière les choux pour les étaler au premier plan sur une couverture comme une vulgaire marchandise. Les nourrissons sont de vrais bébés (on les voit brailler à plein poumons). Le couple finit par faire son choix, paye et repart avec son nouveau-né. Il y a de quoi choquer nos esprits modernes mais l’ensemble reste charmant, d’une grande fraîcheur et surtout plein d’humour.
Note : 3 étoiles

Acteurs:
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(1) Les Frères Lumière filmaient essentiellement des scènes de la vie et non des histoires inventées : l’arrivée d’un train, une sortie d’usine, etc… Méliès, de son côté, débutera en 1896. Les premiers films d’Alice Guy dateraient de 1897.
(2) Ces imprécisions ont été engendrées par les déclarations d’Alice Guy dans les années 50 et 60 qui a présenté ce film comme étant son tout premier en le datant de 1896.

A voir aussi : Une conférence de Maurice Ginati à la Cinémathèque Française le 13/03/2011 où l’historien-chercheur place Sage Femme de Première Classe (1902) comme étant le premier film d’Alice Guy. Sa conférence est assez passionnante car il retrace au passage l’évolution des matériels, la construction des studios Gaumont…