Un professeur cinquantenaire tombe désespérément amoureux de la fille de sa logeuse… La réputation sulfureuse du roman de Nobokov rendait son adaptation délicate. La première difficulté était bien entendu de pouvoir passer la censure et de faire accepter le projet par les ligues de vertu, alors très puissantes. Faire vieillir Lolita de quelques années fut le premier stratagème : au lieu d’avoir 12 ans comme dans le roman, l’actrice Sue Lyon en avait 14 au moment du tournage et en paraissait deux de plus. Il fallut bien aussi mettre en sourdine l’aspect érotique du récit. Mais la difficulté principale était d’avoir suffisamment de talent pour ne pas faire de cette description d’un amour obsessionnel une histoire salace ou sordide. Du talent, Kubrick en a et, tout comme le charme du roman de Nabokov doit beaucoup à la très grande qualité de son écriture, le film Lolita est plus séduisant par le traitement qu’en fait Kubrick. Sa façon de construire ses scènes est assez remarquable. Côté acteurs, il leur a laissé une part d’improvisation et cela augmente d’autant l’authenticité. James Mason a juste ce qu’il faut d’ironie distante et Kubrick accentue le ton sardonique du récit avec le personnage joué par Peter Sellers, dont l’humour peut paraître décalé mais qui participe à l’équilibre global. En quelque sorte, il nous fait prendre du recul. Kubrick est aussi ironique envers l’american way of life avec l’insupportable mère de Lolita, jouée par Shelley Winters. La jeune Sue Lyon est étonnante par son alliance de charme et de complexité, exprimant toute l’ambigüité de son rôle : dès sa première scène, on se demande s’il s’agit d’une ingénue ou d’une manipulatrice. On ne le saura jamais. En revanche, le glissement de James Mason vers la folie est patent et son obsession pour une chose qu’il ne peut posséder finit par nous émouvoir.
Elle: –
Lui :
Acteurs: James Mason, Shelley Winters, Sue Lyon, Peter Sellers
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Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.
James Mason et Sue Lyon dans Lolita de Stanley Kubrick.
Marianne Stone et Peter Sellers (au premier plan) écoutent subrepticement James Mason et Sue Lyon (à l’arrière plan) dans Lolita de Stanley Kubrick.
Remarques :
* Kubrick avait demandé à Nabokov d’écrire le scénario et s’en mordit les doigts quand il reçut un manuscrit de 400 pages. Il entreprit alors de le simplifier et de le transformer… Nabokov a estimé que Kubrick n’avait utilisé qu’environ vingt pour cent de son texte tout en s’estimant heureux du résultat.
* Kubrick a beaucoup développé le personnage de Clare Quilty (Peter Sellers) .
* Stanley Kubrick raconte : « L’un des problèmes majeur avec le livre, et avec le film, même dans son adaptation, c’est que le principal intérêt de l’histoire se résume à la question : « Est-ce qu’Humbert va coucher avec Lolita ? » … Pour éviter ce problème dans le film, Nabokov et moi, nous sommes tombés d’accord pour qu’Humbert tue Quilty sans explication dès le début, pour faire en sorte que le public se demande pendant tout le film ce que Quilty avait bien pu faire. » (interview de Joseph Gelmis, 1970)
* A l’origine, Peter Sellers devait se déguiser en femme pour jouer le rôle du psychologue scolaire (il existe une photo de tournage où l’on voit Sellers ainsi déguisé). Mais au dernier moment, Sellers et Kubrick sont tombés d’accord pour dire que ce serait trop exagéré et le personnage du Docteur Zemph fut inventé sur place.
Remake :
Lolita d’Adrian Lyne (1997) avec Jeremy Irons, Dominique Swain, Melanie Griffith