Titre original : « Akasen chitai »
Dans une maison de tolérance du quartier des plaisirs de Tokyo, cinq femmes se vendent aux passants alors qu’une loi limitant la prostitution est sur le point d’être votée… Sept ans après Les Femmes de la nuit, Mizoguchi nous montre l’univers de la vie des prostituées des années cinquante dans Akasen chitai, littéralement « Le Quartier de la ligne rouge » (1). Sous influence américaine, le Japon est alors sur le point de légiférer pour limiter la prostitution (ce sera fait quelques mois après la sortie du film). Mizoguchi nous montre les motivations de ces cinq femmes, comment la prostitution peut être le moyen de survivre, d’échapper à une situation difficile, tout en étant un piège dont on ne peut s’extraire. L’argent est à la base de toutes les situations. Comme dans tous ses autres films, le propos de Mizoguchi n’est jamais moralisateur : il ne porte pas de jugement, ne donne pas de solution miracle, son propos est essentiellement humaniste. Il montre aussi qu’une loi ne peut tout résoudre. S’il est revenu au noir et blanc après deux films historiques en couleurs, le cinéaste semble adopter un style différent. Son montage est plus nerveux, il abandonne le plan-séquence et choisit une musique électronique très moderne, presque expérimentale. Ces éléments viennent appuyer le sentiment que c’est un regard nouveau qu’il porte sur ce monde qui a bien changé. La Rue de la honte a connu un très grand succès, ce fut le plus grand succès de Mizoguchi des années cinquante.
Elle:
Lui :
Acteurs: Machiko Kyô, Ayako Wakao, Michiyo Kogure, Aiko Mimasu, Kenji Sugawara, Yasuko Kawakami, Eitarô Shindô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.
Voir les autres films de Kenji Mizoguchi chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* La Rue de la honte est le dernier film de Kenzi Mizoguchi. Déjà très malade pendant le tournage, il mourra d’une leucémie cinq mois après la sortie, en août 1956, alors qu’il travaillait sur son film suivant, Saikaku Ihara, Une histoire d’Osaka.
* On remarquera que le générique qui ouvre La rue de la honte (1956) rappelle celui des Femmes de la nuit (1948) : un lent panoramique sur la ville de Tokyo. Mais alors que celui des Femmes de la Nuit nous montrait une ville dévastée par les bombardements, le panoramique de La Rue de la honte nous laisse voir un Tokyo encore convalescent mais déjà bien reconstruit. Ce panoramique sur le quartier de Yoshiwara, au nord de la ville, s’achève sur l’imposant temple Honzan Higashihongan-ji qui émerge seul d’une mer de petits bâtiments.
* Seulement deux ans séparent La Rue de la honte de Une femme dont on parle mais le monde de la prostitution y est décrit bien différemment. Ici, il n’est plus question d’être entre deux mondes, les geishas et leur raffinement ont laissé la place aux prostituées « modernes » qui racolent de façon quelque peu insistante.
* Les américains pressaient le gouvernement japonais à réguler la prostitution non seulement pour des questions morales mais aussi parce que le nombre de maladies vénériennes chez les soldats américains des forces d’occupation était à un niveau alarmant.
Remake :
Rue de la joie (Akasen tamanoi: Nukeraremasu) de Tatsumi Kumashiro (1974)
(1) La ligne rouge dont il est question est celle qui délimite le quartier des plaisirs sur la carte de Tokyo. Le titre a été traduit de façon approximative en anglais, Red Light District pour l’Angleterre et, pire encore, Street of Shame (= rue de la honte) aux USA. Ce dernier titre nous prouve, si besoin est, que les distributeurs cherchent rarement à respecter le propos des auteurs : en effet, le plus est remarquable dans le film est le fait que Mizoguchi sait nous montrer la vie et les motivations de ces prostituées sans porter de jugement moral.