7 mars 2019

Tesnota, une vie à l’étroit (2017) de Kantemir Balagov

Titre original : « Tesnota »

Tesnota, une vie à l'étroitEn 1998, dans une ville du Caucase, Ilana travaille dans le garage de son père pour l’aider à joindre les deux bouts. Un soir, la famille juive et les amis se réunissent pour célébrer les fiançailles de son jeune frère David. Dans la nuit, David et sa fiancée sont kidnappés. Bien que la famille soit très pauvre, une grosse rançon est réclamée…
Basé sur une histoire réelle, ce premier long métrage de Kantemir Balagov, jeune réalisateur russe de 27 ans, a été très remarqué au Festival de Cannes 2017. Comme l’indique le titre (Тесноtа, littéralement Étroitesse), le fond du propos est cette sensation d’être à l’étroit dans un carcan familial et ethnique. Ce carcan étouffe la jeune Ilana qui aspire à plus de liberté dans ses choix. L’antisémitisme pèse également très lourd. Kantemir Balagov fait preuve d’un indéniable talent pour trouver des solutions originales pour exprimer cette Тесноtа : des plans serrés, un cadre dans le cadre parfois réduit à moins d’un 1/10e de l’image, des cadrages étonnants parfois en très gros plan. On ressent avec force cette oppression, cet enfermement. De ce fait, on ne peut dire que la vision du film soit une partie de plaisir ; et les scènes de beuveries et la musique techno, un peu dures à supporter, n’arrangent rien… Mais à côté de cela, il a des moments de fulgurance comme on en voit rarement (1). C’est en tous cas un film qui ne laisse pas indifférent.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Darya Zhovnar, Atrem Cipin, Olga Dragunova
Voir la fiche du film et la filmographie de Kantemir Balagov sur le site IMDB.

Voir les autres films de Kantemir Balagov chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* L’histoire se déroule à Naltchik, ville du Caucase de plus de 200 000 habitants, proche de la Tchétchénie. La population est pour la moitié kabarde (musulmans sunnites pour la plupart). La communauté juive y est très peu nombreuse, moins de 1%. Kantemir Balagov précise en début de film qu’il est kabarde. Les Kabardes forment avec les Balkars (d’origine turque) la population titulaire de la Kabardino-Balkarie, république autonome de la Fédération de Russie.
* La vidéo d’exécution d’un soldat russe regardée par les jeunes kabardes alcoolisés est réelle (elle date de 1998 dans le proche Daghestan). Le réalisateur dit l’avoir récupérée lorsqu’il avait douze ou treize ans.

Tesnota
Darya Zhovnar (à l’arrière-plan : Olga Dragunova) dans Tesnota, une vie à l’étroit de Kantemir Balagov.

Tesnota

(1) Exemple de fulgurance de génie : à un moment de forte tension familiale entre la mère et son fils, Kantemir Balagov filme en très gros plan le cou (oui, le cou !) de la jeune Ilana qui a envie d’exploser, ce cou devient très expressif et finit par se tendre en une complainte presque animale soulignée par une musique évoquant un cri…

10 août 2012

La passion de Jeanne d’Arc (1928) de Carl Theodor Dreyer

La passion de Jeanne d'Arc(Film muet) Jeanne d’Arc face à ses juges, sa condamnation et sa mort sur le bûcher… La passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer connait un très grand succès d’estime et on ne compte plus les fois où il a été placé dans la liste des « plus grands films de l’histoire du cinéma » ni les fois où il a été cité comme étant le « plus grand film muet ». Plus qu’un film muet, c’est plutôt un film sans paroles : Dreyer aurait voulu pouvoir enregistrer les dialogues mais n’a pu le faire car les studios français n’avait le matériel adéquat. Les intertitres, que Dreyer place souvent au milieu des phrases, cassent les plans, les meurtrissent, ils ne s’insèrent pas naturellement.

La passion de Jeanne d'Arc L’esthétisme des images est aussi très différent de beaucoup de films muets : l’image est très claire, avec peu d’ombres. Dreyer cherche à donner une dimension spirituelle à ses images (notamment dans les plans sur Jeanne) tout en gardant un haut niveau de réalisme (surtout dans les plans sur les juges). L’éclairage adopté par Dreyer s’inscrit dans cette double démarche (on peut voir très souvent, dans les pupilles de Jeanne, le reflet du grand et unique réflecteur utilisé).

La passion de Jeanne d'ArcMais le plus spectaculaire est bien entendu la généralisation des plans rapprochés et ces gros plans où l’on voit tous les pores de la peau. Plus surprenante encore est la très large utilisation des contre-plongées. Pratiquement tous les plans des juges sont en contre-plongée ce qui leur donne un caractère de caméra subjective : nous sommes à la place de Jeanne. Vers la fin du film, on remarquera des plans audacieux, qui sont toutefois plus expérimentaux que vraiment signifiants.

La passion de Jeanne d'Arc Les acteurs surjouent et roulent des yeux ce qui, dans le cas des juges, pousse la caricature au-delà du raisonnable. Le film peut paraître assez long mais, dans le derniers tiers, Dreyer montre tout son talent et crée l’émotion avec intensité. La passion de Jeanne d’Arc est un film très austère. Ce n’est pas un film que je conseillerais à une personne que je cherche à convaincre de l’intérêt du cinéma muet ! Je ne suis d’ailleurs pas certain de le classer parmi les meilleurs films muets. C’est plutôt un film marquant et à nul autre pareil.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Maria Falconetti, Eugene Silvain, André Berley, Maurice Schutz, Antonin Artaud, Michel Simon, Jean d’Yd
Voir la fiche du film et la filmographie de Carl Theodor Dreyer sur le site IMDB.
Voir les autres films de Carl Theodor Dreyer chroniqués sur ce blog…

Autres films sur Jeanne d’Arc :
Jeanne d’Arc de George Méliès (1900)
La vie de Jeanne d’Arc d’Albert Capellani (1909)
Jeanne d’Arc (Joan the woman) de Cecil B. DeMille (1916) avec Geraldine Farrar
La merveilleuse vie de Jeanne d’Arc de Marco de Gastyne (1929) avec Simone Genevois
Das Mädchen Johanna de Gustav Ucicky (1935) avec Angela Salloker
Jeanne d’Arc (Joan of Arc) de Victor Fleming (1948) avec Ingrid Bergman
Destinées de Jean Delannoy (1954, film à sketches) avec Michèle Morgan
Jeanne au bûcher (Giovanna d’Arco al rogo) de Roberto Rossellini (1954) avec Ingrid Bergman
The story of mankind de Irwin Allen (1957) avec Hedy Lamarr
Sainte Jeanne (Saint Joan) de Otto Preminger (1957) avec Jean Seberg
Le procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson (1962) avec Florence Delay
Le début (Nachalo) de Gleb Panfilov (1970) avec Inna Churikova
Jeanne la Pucelle de Jacques Rivette (1994) avec Sandrine Bonnaire
Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999) avec Milla Jovovich
Jeanne captive de Philippe Ramos (2011) avec Clémence Poésy
+ de très nombreuses versions pour la télévision.

17 mars 2011

L’astronome indiscret (1900) de George A. Smith

Titre original : « As seen through a telescope »

L'astronome indiscretLui :
(Muet, 1 minute) Un homme âgé, qui observe le ciel en pleine rue avec une lunette astronomique, est attiré par un sujet plus intéressant : un passant relace le soulier de sa jeune épouse. La lunette lui permet d’avoir un très gros plan de la scène… As seen through a telescope montre la première utilisation d’un cache devant l’objectif et une utilisation nouvelle du gros plan. Il faut bien entendu garder à l’esprit, qu’à cette époque où les robes trainaient par terre, la cheville d’une femme était une partie du corps fortement chargée d’érotisme. Comme on le sait, le voyeurisme a joué un rôle important dans le développement de la photographie et du cinéma. Ici George Albert Smith intègre parfaitement dans une histoire sa nouveauté de placer un cache devant l’objectif. Toute la scène centrale est un gros plan en vision subjective. George Smith repasse en vision objective pour la scène finale, avec une chute amusante.
Note : 3 étoiles

Acteurs:
Voir la fiche du film et la filmographie de George Albert Smith sur le site imdb.com.

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Remarques :
* George Albert Smith est avec James Williamson l’un des pionniers du cinéma anglais, il est le réalisateur le plus important de « l’école de Brighton ».
* George Albert Smith a réutilisé ce principe de cache quelques semaines plus tard dans Grandma’s reading glass (1900) où un enfant regarde les différents objets d’une pièce à travers une loupe. Les plans sont plus nombreux mais l’ensemble a moins de force et d’impact.