17 juin 2011

Soudain l’été dernier (1959) de Joseph L. Mankiewicz

Titre original : « Suddenly, last summer »

Soudain l'été dernierLui :
Une richissime veuve cherche à soudoyer un chirurgien afin qu’il pratique une lobotomie sur sa nièce. Celle-ci est internée depuis la mort mystérieuse du fils de la milliardaire, l’été précédent… La courte pièce de Tennessee Williams (un seul acte) a été largement allongée par Gore Vidal (1). Le tournage de Soudain l’été dernier, fut difficile du fait de tensions entre Katharine Hepburn et Mankiewicz et de la maladie de Montgomery Clift, très faible. L’histoire traite de sujets tabous comme l’homosexualité, l’inceste et le cannibalisme ; la censure a rendu la scène finale moins cohérente (2). Sur le plan de l’interprétation, c’est Katharine Hepburn qui est la plus remarquable ; Montgomery Clift de son côté a un jeu très passif, assez intéressant par sa subtile fragilité. L’interprétation d’Elizabeth Taylor a été largement louangée, mais on peut trouver qu’elle montre par moments ses limites. La mise en scène du flashback dans la scène finale en surimpression est admirable. Malgré la censure, Soudain l’été dernier a su garder toute sa force.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn, Montgomery Clift
Voir la fiche du film et la filmographie de Joseph L. Mankiewicz sur le site IMDB.
Voir les autres films de Joseph L. Mankiewicz chroniqués sur ce blog…

Remarques :
Contactée en premier par le producteur Sam Spiegel, Elizabeth Taylor a assorti son faramineux contrat d’exigences sur le choix du réalisateur (elle a donné quatre noms dont celui de Mankiewicz) et de son partenaire masculin.

(1) D’après le générique, l’adaptation a été coécrite avec Tennessee Williams mais, d’après Gore Vidal, l’auteur n’a pas écrit un seul mot.
(2) D’après Gore Vidal, environ une dizaine de minutes ont été coupées de la scène finale de Soudain l’été dernier par la censure, essentiellement tout ce qui avait trait à l’homosexualité qui ne devait pas être citée et encore moins montrée. La motivation principale de vengeance dans la scène finale est ainsi moins nette.
(3) Alors que la pièce se déroulait en un seul lieu, le jardin tropical, le film se déroule en plusieurs lieux.

 

15 juin 2011

Camille (1921) de Ray C. Smallwood

La dame aux caméliasLui :
(Film muet) Version moderne de La dame aux camélias d’Alexandre Dumas Fils, Camille met en scène l’un des couples les plus fascinants du cinéma : Alla Nazimova et Rudolph Valentino. Actrice d’origine russe, Alla Nazimova a acquis une très grande popularité en tant qu’actrice à Broadway puis à Hollywood. Ses nombreuses liaisons lesbiennes et ses réceptions fastueuses firent grand scandale. Sur scène ou à l’écran, elle est assez remarquable : un jeu très stylisé, avec des postures de corps jaillies de son passé de danseuse, elle a une façon très particulière de se jeter sa tête en arrière, son corps semblant se muer en une courbe gracieuse qui évoque la passion, l’abandon, la fragilité, … Elle eut une grande influence sur Valentino, apportant un peu de féminité à son personnage auparavant un peu fade ce qui lui permettra de devenir le plus célèbre des latin lovers du cinéma. Alla Nazimova et Rudolph Valentino C’est nettement perceptible dans son interprétation d’Armand Duval dans Camille. Les décors de style Art-déco, signés par la créatrice Natacha Rambova (qui épousera Valentino peu après), sont absolument superbes, avec une belle utilisation des ronds et des ovales. La chambre de Marguerite Gautier est une merveille. Il semble que la réalisation soit plus l’œuvre d’Alla Nazimova que de Ray C. Smallwood (1).
Note : 3 étoiles

Acteurs: Alla Nazimova, Rudolph Valentino, Rex Cherryman, Arthur Hoyt, Patsy Ruth Miller
Voir la fiche du film et la filmographie de Ray C. Smallwood sur le site IMDB.

La dame aux camélias .
(1) C’est du moins ce qu’a affirmé le caméraman Paul Ivano. Selon lui, Smallwood n’a été qu’un assistant sur le tournage… Cela ne paraît guère étonnant vu la personnalité très affirmée d’Alla Nazimova qui était en outre productrice du film.
.

Alla Nazimova et Rudolph Valentino Parmi les innombrables versions, citons :
Camille de Fred Niblo (1926) avec Norma Talmadge
Camille (Le roman de Marguerite Gautier) de George Cukor (1936) avec Greta Garbo
La dame aux camélias de Mauro Bolognini (1981) avec Isabelle Huppert

7 juin 2011

Jane Eyre (1943) de Robert Stevenson

Titre original : « Jane Eyre »

Jane EyreLui :
Le roman de Charlotte Brontë a certes été porté plusieurs fois à l’écran mais la version de Stevenson reste sans doute la plus intéressante malgré une inévitable compression du texte original. Dans l’Angleterre du début du XIXe siècle, Jane Eyre est une jeune orpheline qui a connu l’extrême rigueur des écoles de charité. Devenue adulte, elle se fait embaucher comme gouvernante dans la vaste demeure de l’énigmatique Edward Rochester… On ne sera sans doute pas étonné que la trame scénaristique soit très forte (1) mais la transposition en images l’est tout autant. On s’interroge toujours sur le rôle exact tenu par Orson Welles (2). Il est à peu près certain qu’il a été beaucoup plus qu’un acteur de Jane Eyre tant le climat, la demeure, le mystère autour de Rochester évoque son univers de prédilection. Orson Welles est en tout cas l’acteur idéal pour exprimer toute l’ambiguïté, la stature, la complexité de son personnage et Joan Fontaine, pleine de retenue, est toujours parfaite dans les grands rôles romanesque. Il en résulte un film très fort qui simplifie sans trahir l’œuvre originale.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Orson Welles, Joan Fontaine, Margaret O’Brien, Peggy Ann Garner, John Sutton
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Stevenson sur le site IMDB.

Remarques :
(1) A noter que l’un des deux coscénaristes est Aldous Huxley. L’auteur du Meilleur des Mondes a effectivement travaillé pour le cinéma à partir de 1940.
(2) Une chose est sûre : la Fox a proposé à Orson Welles d’apparaître au générique en tant de producteur mais Welles refusa.

26 mai 2011

Tabou (1931) de F.W. Murnau

Titre original : « Tabu: A story of the south seas »

TabouLui :
(film muet/sonore) Sur l’île de Bora Bora, la jeune et jolie Reri est choisie pour incarner une divinité. Elle est donc déclarée « tabou », c’est-à-dire qu’aucun homme ne doit la regarder comme une femme. Elle s’enfuit avec le jeune pêcheur dont elle est amoureuse… Tabou est issu de la rencontre de deux grands créateurs : Robert Flaherty qui a donné au documentaire ses lettres de noblesse au cinéma depuis Nanouk l’esquimau, 10 ans auparavant, et Friedrich Wilhelm Murnau, le réalisateur d’origine allemande, l’un des plus talentueux du cinéma muet. Tabou est tourné entièrement sur les lieux-même de l’action, avec les autochtones jouant leur propre rôle, deux pratiques extrêmement rares à l’époque. Au grand dam de Flaherty (1), Murnau sait parfaitement introduire une belle et forte histoire d’amour sur ces images de paradis naturel encore intact de toute civilisation moderne. Les images, de Floyd Crosby (2), sont très belles ce qui donne au film une grande dimension poétique. Tabou Malgré le drame qui se noue devant nos yeux, il se dégage de Tabou beaucoup d’innocence, d’insouciance, une impression de nature à l’état brut, de paradis. Le film est heureusement muet, la parole semble inutile, les intertitres sont d’ailleurs extrêmement peu nombreux. En revanche, la musique de Hugo Reisenfeld colle parfaitement à l’action et aux images, elle est en parfaite symbiose, modelant l’atmosphère. Tabu fut un grand succès. Ce fut hélas le dernier film de Murnau : quelques jours avant la première, le réalisateur perdait la vie dans un accident automobile en Californie.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Matahi, Anne Chevalier, Bill Bambridge
Voir la fiche du film et la filmographie de F.W. Murnau sur le site IMDB.

Voir les autres films de F.W. Murnau chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* A l’époque, Paramount avait exigé des coupes pour enlever les scènes de nudité. Le montage initial a été retrouvé dans les années quatre vingts. Cette version dure 82 minutes. Elle a été numérisée et restaurée, image et son, en 2005.
* Bien que Tabou ait l’apparence d’un film muet, il s’agit en réalité d’un film sonore : la musique est donc sur la pellicule. La musique (et sa synchronisation avec l’image) est telle que Murnau l’a voulue.

(1) Avant même de commencer à tourner, plusieurs désaccords entre les deux réalisateurs les empêchèrent de co-réaliser le film comme il était prévu. Flaherty désirait préserver avant tout l’aspect documentaire et le fait de faire jouer les habitants était, à ses yeux, trahir la réalité. Il préféra donc s’effacer et laisser Murnau réaliser seul. De plus, il y avait des tensions personnelles. Floyd Crosby raconte : « Murnau aimait Flaherty mais Flaherty haïssait Murnau, en partie parce que Murnau était assez prussien dans ses manières, très sûr de lui et aussi par jalousie : Murnau en savait dix fois plus sur la réalisation que Flaherty ».
(2) Floyd Crosby est le père de David Crosby (Crosby, Stills & Nash). Tabou était son premier film. Il fut ensuite directeur de la photographie sur plus d’une centaine de films dont Le train sifflera trois fois et de nombreux documentaires.

Murnau sur le tournage de TabouF.W. Murnau, entouré de Reri et Matahi, pendant le tournage de Tabou (1931)

Homonyme :
Tabou (Tabu) du portugais Miguel Gomes (2012)

28 mai 2010

Lame de fond (1946) de Vincente Minnelli

Titre original : « Undercurrent »

Lame de fondLui :
Alors qu’il n’a encore tourné pratiquement que des comédies musicales, Vincente Minnelli reçoit de son producteur un scénario de drame psychologique assez puissant, basé sur une nouvelle de Thelma Strabel : La fille d’un chercheur universitaire épouse un jeune et élégant industriel célèbre. D’abord mal à l’aise dans le milieu mondain que fréquente son mari, elle se transforme pour être une épouse parfaite. Elle découvre assez rapidement des zones d’ombre dans le passé de son mari qui semblent le hanter… Si Katharine Hepburn est tout à fait dans le style de rôle qui lui va comme un gant, Robert Taylor, plus habitué aux rôles de séducteur, ne semble pas toujours parfaitement à l’aise avec les aspects noirs et inquiétants de son personnage biface. De son côté, le jeune Robert Mitchum fait une belle prestation avec une délicatesse qui ne lui est pas coutumière (très belle scène dans l’écurie). Si le film a certainement plus souffert que profité de ces décalages, on se laisse facilement captiver par cette histoire sombre et intrigante, grâce à un scénario fort et à une atmosphère prenante. Lame de fond est un film qui paraît plutôt sous-estimé. Il ne manque qu’une étincelle supplémentaire pour en faire un grand film.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Katharine Hepburn, Robert Taylor, Robert Mitchum
Voir la fiche du film et la filmographie de Vincente Minnelli sur le site IMDB.
Voir les autres films de Vincente Minnelli chroniqués sur ce blog…

Remarques :
1) Une meilleure alchimie entre les acteurs aurait certainement provoqué l’étincelle manquante. Vincente Minnelli raconte dans son autobiographie comment il était lui-même impressionné par Katharine Hepburn qui, de plus, exerçait son humour cinglant et ravageur sur tout le monde. Elle ne s’est pas du tout entendu avec Robert Mitchum (ce n’est guère gênant dans le sens où ils ont peu de scènes en commun, si ce n’est la scène finale : cette rencontre, qui devrait être poignante, est assez plate, il ne se passe rien !)
2) Robert Mitchum, qui venait d’être nominé pour l’oscar du meilleur second rôle, était à ce moment surexploité par David Selznick qui le payait une misère. Vincente Minnelli raconte dans son autobiographie qu’il tournait trois films en même temps : Undercurrent le matin, Desire Me l’après-midi et The Locket le soir…et Minnelli d’ajouter : « pas étonnant que ses yeux cernés soient devenus si célèbres! »