Titre original : « The Pilgrim »
(Muet, 40 mn) Un évadé de prison (Charlie Chaplin) réussit à prendre les habits d’un pasteur et à monter dans un train. Sur le trajet, dans une gare du Texas, les habitants d’une petite ville le prennent pour leur nouveau pasteur qui devait arriver ce jour-là. Il doit conduire un office… Le Pèlerin est le dernier court métrage de Chaplin : il ne fera ensuite que des longs métrages. Le Pèlerin même plutôt un moyen métrage car, démarré pour être un « 2 bobines » (env. 20 mn), le projet a enflé pour devenir un « 4 bobines » (40 mn) ce qui permet à Chaplin de ne plus devoir de film à la First National, il est dorénavant libre (1). Le film mélange le comique avec une peinture sociale de la bigote petite bourgeoisie d’une ville moyenne. Cela fera bien entendu grincer quelques dents et Chaplin sera accusé d’avoir voulu ridiculiser un homme d’église ; le film ne sera pas ou peu distribué dans certains comtés. Le Pèlerin est loin d’être un « grand Chaplin », on ne retrouve pas ici le perfectionnisme dont il fait si souvent preuve, on peut même sentir une certaine précipitation ; il comporte néanmoins de bons passages et le portrait de ce prisonnier évadé est empreint d’humanité.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Edna Purviance, Charles Chaplin
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Remarques :
* En 1959, Chaplin a refait légèrement le montage de The Pilgrim et ajouté la chanson «Bound for Texas» qu’il a lui-même écrite dans le style des cowboy songs. Elle est chantée par l’anglais Matt Monroe. Le film était inclus dans The Chaplin Revue qui comprenait en outre deux autres courts métrages First National : A Dog’s Life et Shoulder Arms. C’est cette version que l’on voit généralement aujourd’hui.
* On peut rapprocher ce film de The Adventurer, le dernier court métrage pour la Mutual, où Chaplin interprétait déjà un prisonnier évadé. Le film était nettement plus orienté slapstick mais comportait déjà un petit aspect social car le prisonnier se retrouvait immergé dans un univers de riches bourgeois. En comparant les deux films, on peut percevoir l’évolution de Chaplin sur cette période.
* L’acteur qui interprète l’ancien compagnon de cellule est le réalisateur et scénariste Charles Reisner. A noter que le sale gosse est joué par son fils, Dean Reisner, qui sera plus tard, lui aussi, scénariste.
(1) Rappelons que Chaplin est, avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et David W. Griffith, l’un des quatre fondateurs d’United Artists qui distribuera bien évidemment ses films suivants.
LE VAGABOND DE NOTRE SUBCONSCIENT
«Proust, Freud sont des dissertateurs du subconscient. Charlie, acteur du subconscient»
Henri Michaux («Notre frère Charlie». 1924)
Le thème de l’usurpation restera important dans le cinéma et la littérature américains, surtout dans le polar. Pensons seulement à l’œuvre de Jim Thompson. Aujourd’hui, il perdure. Dans certaines séries T.V notamment. Ainsi, le remarquable «Banshee» où, dans une bourgade, un ex taulard poursuivi par ses anciens complices, prend la place du shérif qui vient tout juste d’arriver, lui aussi. Ce qui ressemble furieusement à ce Pèlerin. D’autant que comme dans la série, les faux dévots n’y manquent pas.
Bien sur, Chaplin malaxe le thème en question. Sa fameuse pratique du Double, véritable mise en œuvre du subconscient, comme l’écrivait Michaux dès la sortie du film ici s’étale. Si dans le précédant « Charlot et le masque de Fer » (Idle class), Chaplin «jouait» deux rôles qui n’en font qu’un, là il interprète un seul personnage que le hasard et la nécessité font changer d’apparence et d’emploi. Mais si le malfrat/vagabond s’en sort à la fin, c’est bien parce qu’il se montre autrement plus vertueux et honnête qu’un vrai Pasteur. Ce n’est pas un hasard- d’ailleurs il n’y a pas de hasard chez Chaplin- si le Diacre de la petite communauté religieuse (qui n’est pas sans rappeler la communauté Amish de «Banshee») se « révèle » très vite, grâce au faux Pasteur, un ivrogne caché, un débauché dissimulé et un usurier patenté.
Le Vagabond Charlot est également celui qui met en miroir la société américaine. Et sous aucun doute toute société.Car, dans la fameuse scène où le Vagabond sermonne ses ouailles en mimant le biblique David et Goliath, « le triomphe de l’apparemment faible sur l’apparemment fort » (Erwin Panofsky), Chaplin/Charlot s’accapare les deux personnages. Celui du petit gars qu’il est et du géant qu’il ne pourrait être.
Enfin, est-ce une première (il convient de re-visionner attentivement Le Kid avant de répondre) ? Mais Chaplin bouge sa caméra. Il nous gratifie d’un long travelling avant derrière la marche de dos, et côte à côte, du petit faux pasteur et du gigantesque Diacre/faux dévot, prélude, sans aucun doute, au combat victorieux de David sur Goliath. « Un travelling de 360° correspond à 360° de morale » dira bien plus tard Jean-Luc Godard. Il avait vu Le Pelerin.
Quelques semaines plus tard avec « L’Opinion publique » (1923), Chaplin se révélera comme l’un des très grands inventeurs de l’écriture cinématographique.
Pour le moment, il en a fini avec la série des neuf films pour la First National. A lui, et à nous, les huit Chefs d’œuvre de United Artists (1923-1952). Les huit plus grands films de l’histoire du cinématographe.