Titre original : « Jigokumon »
En l’an 1159 au Japon, les luttes entre clans font rage. Celui du Minamoto tente de renverser le Taira au pouvoir. Afin de protéger la fuite de la princesse, une de ses dames de compagnie, Kesa,se porte volontaire pour être envoyée comme leurre sous la protection du valeureux guerrier Morito. Celui-ci tombe sous le charme de Kesa mais ignore qu’elle est déjà mariée…
La Porte de l’enfer est un film japonais de Teinosuke Kinugasa. Il en a cosigné le scénario avec son producteur, Masaichi Nagata (producteur habituel de Mizoguchi). Il s’agit de la libre adaptation d’une pièce de Kan Kikuchi, elle-même très librement inspirée du récit historique Gempei Seisuki. Le film est le premier film en couleurs japonais à avoir atteint l’occident et ces couleurs sont flamboyantes, tout en restant fondues. Le directeur de la photographie Kohei Sugiyama a utilisé un Eastmancolor modifié qui fait ressortir les couleurs vives. Certaines scènes ont des dominantes de couleurs (rouge et orange lors de la révolte, bleue durant la course de chevaux, des touches de rose dans les scènes de nuit). Les cadrages sont très travaillés avec souvent un ou plusieurs cadres dans le cadre. L’histoire reste très simple (et inexacte sur le plan historique) mais ce qui frappe nos yeux d’occidentaux est la violence des passions associé à la grande retenue des comportements et à une esthétique enchanteresse. La force du film est là. Palme d’or à Cannes 1954, sous la présidence de Jean Cocteau pour qui le film possédait « les plus belles couleurs du monde ». Le film fut moins bien reçu au Japon (1).
Elle: –
Lui :
Acteurs: Kazuo Hasegawa, Machiko Kyô, Isao Yamagata, Kôtarô Bandô, Koreya Senda, Tatsuya Ishiguro
Voir la fiche du film et la filmographie de Teinosuke Kinugasa sur le site IMDB.
(1) Lire à ce sujet un article intéressant qui souligne les différences de perception et avance que le film est fait (consciemment ou inconsciemment) pour un public occidental : Koichi Nakamura, June H. Nakamura et John Allyn, « Love and Death in the Japanese Cinema (3): Re-evaluation of Gate of Hell (Jigokumon) », Bulletin, Faculty of Arts, Tokyo Institute of Polytechnics, vol. 3, 1997, p. 23-27.
>> De plus, il semble que les couleurs exubérantes de l’Eastmancolor soient moins attirantes aux yeux d’un japonais qui préférera souvent les couleurs pastels et fondues.
>> Enfin, certains critiques occidentaux s’étaient moqués à l’époque de leurs homologues japonais (qui avaient tous ignoré le film), sous-entendant que les critiques japonais étaient incapables de déceler les grands films de leur cinéma. Ce qui fut très mal perçu au Japon.



Le temps passant, certains moquèrent Cocteau président du festival cannois pour le choix de la palme 1953, ceci étant le festival a toujours défendu le cinéma comme miroir du monde, et un président ne fait que rappeler cela au jury. On pourra regretter au passage que des films étrangers comme le film indien Pakeezah (1972) n’ait jamais été sélectionné ou plus récemment le film kirghiz « Shambala » (Artykpai Suyundukov, 2020) qui n’a même pas trouvé de distributeur en France ! Les directeurs d’achats sur arte devraient arrêter de jouer les nababs se repoudrant le nez hors caméra !
Rappelons par ailleurs aux curieux qu’il est possible de télécharger librement sur archive org le monumental mais intempestif « Dictionnaire du Cinéma » (1992) par Jacques Lourcelles. Voici le notule consacré au film japonais :
« Le film fait sensation au Festival de Cannes 1954 où il remporte la Palme d’Or. Après l’obtention par « Rashomon » du Lion de Saint-Marc a Venise en 1951, après la présentation à ce même festival l’année suivante de « La vie de O’Haru, femme galante » qui obtint également un prix. « La porte de l’enfer » marque le début de la reconnaissance internationale des mérites du cinéma japonais et surtout la découverte pure et simple de ce cinéma en Europe. L’œuvre de Kinugasa (qui en aucun cas ne saurait être comparée à celle de Mizoguchi et de Kurosawa) oscille, dans ses deux titres les plus célèbres, entre l’avant-gardisme le plus débridé {Une page folle, 1926) et le tranquille académisme de cette « Porte de l’enfer » dont la violence et l’exotisme partirent, au sein d’un certain malentendu, à la conquête du monde. « La porte de l’enfer » fut en outre le premier film
japonais en couleurs connu a l’extérieur du Japon et cela fit beaucoup pour sa
réputation. Prodigieusement surévalué à sa sortie, le film ne doit pas être cependant méprisé a l’excès. II offre une sorte de vulgarisation (destinée principalement à l’exportation) des thèmes et de quelques constantes formelles du
cinéma japonais. Code de l’honneur, politesse raffinée, sacrifice de la femme,
obstination tragique de l’homme sont les éléments et les situations que met en jeu l’intrigue et qui serviront de base à nombre de chefs-d’œuvre nippons. Le hiératisme, la lenteur, l’utilisation de la nature comme élément plastique figurent ici sous une forme qui paraitra vite caduque après une meilleure connaissance du cinéma japonais.»
Comme vous, j’avoue ne pas trop comprendre cet acharnement sur le choix de Cocteau et ces moqueries. On retrouve ici ce vieux travers qui consiste à railler les « non-initiés ». La présentation de Jacques Lourcelles est plus équilibrée mais il protège néanmoins ses arrières avec sa dernière phrase… 🙂