Titre original : « Vertigo »
En poursuivant un suspect sur les toits, l’inspecteur John Ferguson est paralysé par le vertige et cause la mort d’un policier. Il préfère quitter la police. Un de ses anciens amis lui demande alors d’enquêter sur sa femme qui a un comportement étrange : elle semble hantée par une femme morte un siècle auparavant… Adaptant un roman que Boileau et Narcejac avaient écrit spécialement pour lui (1), Alfred Hitchcock réalise un film parfait. Vertigo (Sueurs froides) a la réputation d’être l’un de ses meilleurs films et il le mérite bien. Sur le plan du déroulement du scénario, Hitchcock a l’un de ces traits de génie qui le caractérisent : alors que le roman ne livre la clef de l’énigme qu’à la toute fin, Hitchcock nous la donne en plein milieu, de façon presque désinvolte et pressée, et fait ensuite rebondir le film : nous savons mais James Stewart, lui, ne le sait pas ! Et au-delà de l’intrigue, du suspense et de la tromperie, Vertigo est remarquable par sa richesse : nous n’avons là que deux personnages principaux mais leur relation passe par de multiples variantes. Ainsi, Vertigo est aussi un film sur l’amour, vu sous des dizaines de formes différentes, depuis l’amour fantasmé, qui n’existe pas, jusqu’à l’amour fou, pour lequel on se tue. L’interprétation est forte, très présente. Hitchcock a beau se plaindre de l’actrice dans ses interviews, Kim Novak fait une superbe interprétation très charnelle, d’une sensualité extrême qui a souvent été qualifiée « d’animale ». Vertigo est l’un des films les plus érotiques qui soient (sans qu’il y ait une once de nudité, bien entendu)… La photographie est très belle, les gros plans sont superbes, aussi bien ceux de Kim Novak que ceux de James Stewart. Bizarrement, le film n’eut que peu de succès à sa sortie. Et pourtant, Vertigo n’est pas seulement l’un des plus beaux films d’Hitchcock, c’est l’un des plus beaux films du cinéma tout court.
Elle:
Lui :
Acteurs: James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes
Voir la fiche du film et la filmographie de Alfred Hitchcock sur le site IMDB.
Voir les autres films de Alfred Hitchcock chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* L’effet de vertige dans l’escalier est réalisé en combinant un zoom avant avec un traveling arrière. L’escalier fut reproduit à taille réduite et mis à plat afin de limiter le besoin de suspendre la caméra et ainsi réduire les coûts. Hitchcock dit avoir déjà voulu faire cet effet dans Rebecca sans y parvenir.
* Caméo d’Hitchcock : À la 11e minute, juste avant l’entrevue de James Stewart avec son ancien ami, une vue montre l’entrée du chantier naval. Hitchcock passe devant l’entrée du chantier naval, portant un étui à clairon.
* Pour une histoire de droits, Vertigo ne fut pas visible pendant près de 30 ans. Il n’est ressorti qu’en 1984.
(1) Alfred Hitchcock avait entrepris d’acheter les droits de Celle qui n’était plus mais Henri Georges Clouzot le coiffa au poteau et en fit Les Diaboliques (1955). Boileau et Narcejac se mirent alors à écrire une histoire spécialement pour Hitchcock (D’entre les morts) et la Paramount en acheta aussitôt les droits. A noter qu’Hitchcock semble apprendre ce détail de la bouche de Truffaut lors de ses entretiens avec lui.
« Sueurs froides » (« Vertigo »), au même titre que « Citizen Kane », « L’Atalante » ou « La Prisonnière du désert » fait partie de ces monuments du septième art sur lesquels il n’y a plus rien à dire. Ou quasiment. Ces films ont été si souvent commentés, disséqués, analysés… comme « La Ronde de nuit » de Rembrandt ou « La jeune fille à la perle » de Vermeer. Purs chefs-d’oeuvre, que l’on a évidemment le droit d’aimer moins que d’autres oeuvres de moindre importance. Reste que « Vertigo » vient de détrôner pour la première fois « Citizen Kane » dans un référendum de référence. Du coup, le film de Hitchcock se voit désigné comme le plus grand film de l’histoire du cinéma ; ce qui n’est pas rien. Il est en tout cas certain que les années cinquante auront été pour James Stewart celles de la consécration. Jamais auparavant l’acteur n’avait donné d’interprétations aussi intenses que dans ses films avec Hitchcock, Anthony Mann, Preminger…
Je pense que vous faites allusion à la liste du British Film Institute.
C’est une liste effectivement bien faite, je trouve, (comme tout ce qui sort du BFI d’ailleurs…) même si j’avoue ne pas être très friand de ce genre de liste d’habitude.
Car tout dépend ce qu’on appelle un « grand film »… Est-ce un film qui a un grand impact sur l’évolution du cinéma ou un grand impact sur le spectateur ? Les deux sont-ils dissociables d’ailleurs ?
Mais c’est vrai que l’indéboulonnable Citizen Kane se soit fait dépasser par Vertigo est surprenant.
PLUS DURE SERA LA CHUTE
« On ne devrait jamais être sentimental » : chaque film possède souvent à un moment ou un autre une petite réplique qui fait mouche en résumant à elle seule tout un édifice
VERTIGO peut se raconter de différentes manières hors de celle narrée par le film et ce n’est pas le moindre de ses atouts
J’en tente une phrase un peu abstraite : c’est l’aventure d’un homme mur qui tombe bien malgré lui -presque à son insu – raide amoureux d’une femme qui n’existe pas et qui la perd à cause d’un vertige – vertige de l’amour – puis qui rencontre comme une apparence de la disparue – un sosie – qu’il n’aura de cesse comme un malade à transformer en la disparue – redonner vie, illusion amoureuse – de façon obsessionnelle, et qui au moment où il réussit cette entreprise – sa signature – la perd à nouveau – une seconde fois, sa seconde chance – et à jamais, le délivrant par là-même de son vertige. Ouahh!
J’ai revu le film hier soir sur arte : on dirait qu’avec le temps la bonification s’amplifie toujours, corps, chair, bouquet, saveur, puissance, grand cru 58
D’où l’oeuvre en trompe l’oeil tire t’elle tous ses atouts? De la conjonction de différentes planètes : sa construction tout à fait originale, en motifs – ici la spirale, la plongée, la chute -, sa réalisation aux variations tournantes si subtiles – broderies, arabesques, rêveries – qu’elles échappent souvent à une première vision, son récit en tapisserie, en répétitions, comme un puzzle jusqu’à la dernière pièce, son parfum entêtant, hypnotique, névrotique, mortifère, son interprétation : James /Scottie, empêché, handicapé comme déjà dans Fenêtre sur cour et Kim/ Madeleine blonde classieuse et Judy rousse vulgaire tous deux parfaits
Dès le générique génial (Saul Bass) la partition troublante de Bernard Hermann accompagne cette virée d’entre les morts que la photographie couleurs de Robert Burks nimbe de sortilèges symbolistes (étonnant travail sur la lumière)
VERTIGO laisse un terreau pour plusieurs générations de cinéastes et de spectateurs