Titre original : Bend of the River
Lui :
Le titre français pourrait nous laisser penser qu’il s’agit là d’un film banal. Il n’en est rien : Les Affameurs est un grand film. Deuxième des cinq westerns qu’Anthony Mann tournera avec James Stewart, c’est aussi son premier film en couleurs. James Stewart interprète ici un aventurier, ancien roi de la gâchette, qui escorte un convoi de fermiers partis chercher de nouvelles terres dans l’Oregon. Le propos du film est essentiellement sur cet homme bien décidé à se racheter, sur le fait de laisser aux hommes une seconde chance ; son parcours va toutefois être rendu très ardu par une histoire d’appât du gain et de vengeance. Dès les premières minutes de Bend of the River, nous sommes happés par les évènements, l’intensité est immédiatement assez forte et elle ne faiblira pas avant la fin du film. Le film sonne très vrai, la reconstitution du voyage du convoi ou de la bourgade de Portland paraissent vraiment authentiques et nous sommes littéralement plongés au cœur de cette fin de XIXe siècle. Cette immersion est rendue encore plus efficace par les images d’Irving Glassberg, d’un superbe Technicolor. Certaines scènes, telles celles du bateau à aubes remontant le fleuve, sont vraiment majestueuses. Les Affameurs est un grand western, intense et prenant, indéniablement l’un des plus beaux westerns qui soient.
Note :
Acteurs: James Stewart, Arthur Kennedy, Julie Adams, Rock Hudson, Jay C. Flippen
Voir la fiche du film et la filmographie de Anthony Mann sur le site IMDB.
Voir les autres films de Anthony Mann chroniqués sur ce blog…
Les 5 (superbes) westerns d’Anthony Mann avec James Stewart :
Winchester ‘73 (1950) Winchester 73
Bend of the river (1952) Les affameurs
The Naked Spur (1953) L’appât
The Far Country (1955) Je suis un aventurier
The Man from Laramie (1955) L’homme de la plaine
Quel plaisir de trouver une chronique sur ce film, et de constater sa mise en valeur 🙂 Je rajoute deux petits éléments pour essayer de faire mieux partager le plaisir que procure ce film :
Tout d’abord, le grand intérêt des westerns d’Anthony Mann est de reposer sur des héros ambigus, au passé trouble et dont, comme évoqué ici, la démarche de rachat est semée d’embûches pour arriver à un résultat souvent mitigé. « L’homme de l’Ouest », avec Gary Cooper, est une autre variation sur ce thème, que j’ai trouvée encore plus forte, mais j’ai toujours autant de plaisir à revoir régulièrement celui-ci dont j’ai encore la VHS enregistrée lors d’une bien ancienne « Dernière séance » de M. Eddy.
Autre point plus anecdotique mais au moins autant savoureux : je suis prêt à parier que le film a notablement influencé Goscinny et Morris, tant la plupart des situations du films se retrouvent dans nombres d’albums de Lucky Luke !
Chaque fois que je vois évoquer un des titres de ces westerns: je me dis « c’est mon préféré » jusqu’à ce que j’en voie un autre de la série. Il ne faut pas oublier les tournages en décors naturels qui ont été en soi des gageures.
@Fourvin: Goscinny et Morris ont pillé toutes les idées qui ont fait leur succès des films américains des années 50. Par exemple: le personnage du tueur de Jack Palance dans « Shane » et celui de David Niven dans « Le tour du Monde en 80 jours » sans parler des seconds rôles (Walter Brennan, Jay C. Flippen, Jack Elam, Dan Duryea, John Mc Intire, Royal Dano, Kathleen Freeman) et de la série des croque mort, joueurs de cartes, chercheurs d’or et autres convoyeurs de troupeaux et/ou caravanes etc… jusqu’à Rintintin!)
Attention au sens des mots: Goscinny et Morris n’ont pas « pillé » comme des vulgaires malfaiteurs. Ils ont utilisé et fait des clins d’oeil à des personnages emblématiques.
Sinon, j’ai été tellement perturbé par la couleur que j’ai cru que c’était un film colorisé et je l’ai passé en noir et blanc…
Pour rebondir sur ce que relèvent plusieurs internautes (cf.supra). Oui, Morris et Goscinny se sont de toute évidence inspirés de ce film et de deux personnages en particulier que l’on va retrouver dans l’album « En remontant le Mississippi », le capitaine du bateau à aubes et son aide, incarné par Stepin’ Fetchit, spécialisé (un peu trop) dans les rôles de Noir… comment dire?… servile? C’est à mon sens le seul détail (la touche burlesque) qui puisse faire tiquer dans ce magnifique western. Pour le reste… du caviar! A noter : la prestation haut de gamme d’Arthur Kennedy en bad guy. Kennedy, acteur admirable (je crois me souvenir que Fritz Lang le considérait comme le meilleur acteur au monde (sic) – à moins que ce ne soit Raoul Walsh… J’ai oublié) que l’on va d’ailleurs retrouver dans le dernier opus de cette série westernienne Anthony Mann-James Stewart, « L’Homme de la plaine », une fois encore dans le rôle du méchant. A signaler que « Bend Of The River » (Les Affameurs) bénéficie, comme « Winchester ’73 » et comme « The Far Country » (Je suis un aventurier) d’un remarquable scénario signé Borden Chase, l’un des grands écrivains de western à l’écran (on lui doit également des perles comme « La Rivière rouge », « L’Homme qui ‘a pas d’étoile » ou « Vera Cruz », entre autres). Comme Monument Valley appartient pour toujours à John Ford, comme les Alabama Hills sont désormais indissociables des westerns « de chambre » signés Boetticher, Anthony Mann est le cinéaste des montagnes (rocheuses) et ce film-là témoigne de son exemplaire maîtrise à utiliser ce cadre naturel, grandiose, sauvage, propice à des explosions de violence qui n’ont rien perdu de leur force soixante ans plus tard. Et pour ne rien gâcher, l’héroïne, Julia Adams, est très belle. Le genre de western que l’on peut voir et revoir jusqu’à plus soif.
Très beau western, en effet !
D’une certaine manière, le suspens concernant la « rédemption » d’un ancien bandit ne concerne pas vraiment le personnage incarné par James Stewart, qui est comme vous l’écrivez « bien décidé à se racheter » : à aucun moment sa droiture ne fait l’ombre d’un doute. La grande idée d’Anthony Mann est de décaler ce suspens sur l’autre ex-bandit interprété par Arthur Kennedy. Lorsque ce dernier risque sa vie pour se ranger aux côtés de McLyntock (Stewart) et Jeremy Baile en les aidant à fuir sur le bateau à aube, il semble prendre un chemin prometteur… mais évidemment cela aurait été trop simple. Par ce dédoublement de personnage(s), Anthony Mann réussit à conserver un suspens et une ambiguïté tout en s’appuyant quand même sur un héros chevaleresque. En outre, il évite ainsi tout manichéisme, les trajectoires des uns et des autres étant diverses (pensons également à Hendricks).
Je dois avouer que la séquence d’arrivée du convoi à Portland m’a laissé un instant perplexe. Le bagou et la rondeur d’Hendricks, archétype d’Étatsunien pionnier, sûr de lui, accueillant et efficace, me faisait trop penser à ces hommes d’affaire étatsuniens vus dans tant de films : allant à l’essentiel, débonnaires, autoritaires, enfin la caricature du self-made-man que les Étatsuniens projettent complaisamment d’eux-mêmes. Toute cette séquence, de l’accueil généreux jusqu’au départ avec moult saluts amicaux des habitants de Portland, en passant par la fête dansante, semblait dresser un tableau un tantinet angélique et lénifiant de la conquête de l’Ouest.
Heureusement, le retour à Portland quelques mois plus tard balaie radicalement cette image d’Épinal, et lui donne tout son intérêt en la remettant subtilement en perspective. D’une certaine manière Anthony Mann joue sur les poncifs pour mieux les mettre en doute, comme avec la trajectoire oscillante de Cole (Kennedy). Même le personnage de Trey Wilson (Rock Hudson) est intéressant : même s’il semble souvent suiviste et manquant d’épaisseur, accompagnant les personnages principaux sans vraiment se poser de questions, il correspond à un profil crédible et ajoute un peu de simplicité à une bande peu amène (et heureusement, il n’y avait pas que des bandits, des opportunistes et des cyniques !). Le seul personnage que je qualifierais de réellement caricatural est celui du patriarche débonnaire des pionniers, Jeremy Baile, mais cela ne gêne pas (et il peut aussi correspondre à un profil réel).
Ouaip, un film réjouissant parce que les situations n’y sont jamais vraiment prévisibles, depuis le prologue qui multiplie les micro-situations potentiellement dramatiques mais résolues en douceur en quelques minutes (la libération de Cole par McLyntock, l’élimination des Shoshone) jusqu’aux différentes péripéties du périple dans la montagne. Un grand nombre de situations qui auraient pu occuper l’essentiel du film (les Shoshone, la poursuite par Hendricks…) sont habilement désamorcées, et au bout d’un moment le spectateur ne peut plus savoir si la tension qui s’amorce va être cruciale ou secondaire. Anthony Mann joue avec nous et arrive à nous empêcher de vraiment savoir ce qui va se passer ensuite.
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Et puisque j’ai écrit « ouaip » (interjection classique de Lucky Luke), j’en profite pour revenir sur les commentaires précédents, bien que déjà anciens. Évidemment, Morris (lorsqu’il a créé Lucky Luke dans ses premières aventures, et par sa mise en scène en tant que dessinateur) puis Goscinny (en tant que scénariste à partir de l’album « Les cousins Dalton ») se sont fortement et explicitement inspirés des westerns. Mais… heu… comment s’en étonner, et en quoi serait-ce une information ou un problème ? Il va de soi que le genre western est né au cinéma. Toute œuvre artistique ressortissant à ce genre s’inspire obligatoirement des œuvres, des codes, des archétypes et des situations qui l’ont fondé, c’est-à-dire des codes, des archétypes et des situations des films de western. C’est tautologique ! Jamais Morris et Goscinny ne s’en sont cachés, et le nier n’aurait eu aucun sens. Par définition, si l’on s’inscrit dans un genre, on s’inscrit dans un genre.
Ils n’ont ni plagié ni caricaturé le western, ils ont juste transposé le western vers la bande-dessinée (et c’était quasiment les premiers à le faire, d’ailleurs, et à donner à ce genre une dimension universelle dépassant le cinéma). Et cette transposition n’était pas juste un hommage, car l’un comme l’autre avait vécu aux États-Unis et réellement baigné dans cette culture.
Reste toutefois que Morris et Goscinny aimaient faire des clins d’œils. C’est même une constance dans la BD que de voir les dessinateurs s’inspirer du physique de tel ou tel acteur pour construire leurs personnages (Mœbius — sous son premier nom de Giraud — s’est ainsi inspiré de Belmondo pour créer le lieutenant Blueberry dans une autre BD western célèbre). Et Goscinny aimait faire des allusions situationnelles.
Ainsi, comme l’a souligné Samuel Blaquet, le duo formé du pilote du bateau à aube et de son serviteur noir ont clairement inspiré un duo semblable dans l’album « En remontant le Mississipi ». Cela crée un petit sourire, mais ne perturbe pas la séance.
Un film magnifique et inoubliable, dont le thème principal est la rédemption.
Une lecture à plusieurs niveaux fait qu’il pourra plaire à l’enfant, au simple amateur d’action comme au cinéphile plus exigeant.
Une preuve, s’il en est encore besoin, que le Western est (était ?) un genre bien plus riche et profond qu’il n’a été prétendu (qu’il est toujours prétendu ?).
Dans la même veine, on pourra conseiller « Le passage du canyon » (1946) de J. Tourneur, un des plus beaux westerns de tous les temps, ni plus ni moins, bien que globalement fort peu cité dans annales. Le film n’est d’ailleurs pas référencé sur le site, pas davantage que les excellents « Wichita » ou « Stars in my crown » de ce réalisateur surtout réputé pour ses films fantastiques. Et pourtant, les films que je cite sont de véritables bijoux qu’il faut avoir vu. C’est un appel du pied de ma part !