11 juin 2019

Le Détour (1922) de Cecil B. DeMille

Titre original : « Saturday Night »

Le DétourLes riches héritiers Iris Van Suydam et Richard Prentiss viennent d’annoncer leurs fiançailles, plus par convention sociale que par passion. Mais le sort va en décider autrement : Richard tombe amoureux d’une jeune blanchisseuse et l’épouse. De son côté, Iris se marie avec son chauffeur et, déshéritée par son oncle, part vivre chichement chez son mari. Ces deux couples vont-ils pouvoir surmonter leurs différences sociales ?
Le scénario de Saturday Night a été écrit par l’actrice Jeanie Macpherson dont on retrouve la signature sur bon nombre de films de Cecil B. DeMille. L’histoire met en scène la confrontation de deux classes sociales et développe la théorie que, « tout comme l’huile et l’eau », elles ne peuvent se mélanger. Il ne faut pas sombrer dans la facilité de voir là une théorie plutôt réactionnaire, chacun devant rester dans sa classe sociale, car ce serait oublier que bon nombre des films muets de Cecil B. DeMille (ce sont les moins connus, il est vrai) sont naturalistes avant l’heure. Il décrit avec une relative précision la vie des classes populaires et le film a aujourd’hui une indéniable valeur sociologique, à commencer par le titre (1). De plus, à cette époque, le réalisateur accédait, du fait de sa popularité grandissante, à un autre milieu que le sien et il n’est pas impossible qu’il ressentait lui aussi des difficultés à s’insérer parmi les milieux aisés d’Hollywood. Comme le souligne Luc Moulet dans son étude sur le réalisateur (2), DeMille est l’un des premiers cinéastes à traiter des rapports entre maîtres et serviteurs, thème qui deviendra le sujet favori des plus grands (Murnau, Renoir, Stroheim, Buñuel, Losey, Chabrol, Altman … la liste est longue). Saturday Night est assez admirable par la puissance de son récit, du fait d’une mise en scène précise. Il utilise sans excès des décors parfois spectaculaires (la salle de bains de la riche famille vaut le coup d’œil) et des scènes d’une belle ampleur (l’accident, la soirée Halloween, …) Il est vraiment dommage que ce film soit si mal connu car il nous confirme que Cecil B. DeMille est bien plus qu’un simple faiseur de films historiques.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Leatrice Joy, Conrad Nagel, Edith Roberts, Jack Mower, Julia Faye
Voir la fiche du film et la filmographie de Cecil B. DeMille sur le site IMDB.

Voir les autres films de Cecil B. DeMille chroniqués sur ce blog…

Voir les livres sur Cecil B. DeMille

Remarques :
* Lors d’un dîner avec la presse au Club 21 de New York en février 1939, Alfred Hitchcock a fait une liste de ses dix films préférés. Saturday Night y figurait en première position (un autre Cecil B. DeMille était en 4e position : Forbidden Fruit de 1921) (3).
* Edith Roberts évoque Mary Pickford à la fois par son jeu et aussi sa taille : elle est même plus petite que Mary Pickford  (1m52 vs. 1m54).

Saturday NightJack Mower, Edith Roberts et Conrad Nagel dans Saturday Night de Cecil B. DeMille.

Saturday NightJack Mower, Cecil B. DeMille et Leatrice Joy sur le tournage de Saturday Night de Cecil B. DeMille.

 

(1) Dans les milieux populaires, on ne prenait un bain qu’une fois par semaine, le samedi juste avant de sortir pour la soirée alors que dans les milieux plus aisés, on prenait un bain tous les jours.
(2) Cecil B. DeMille, l’empereur du mauve de Luc Moullet (Editions Capricci, 2012)
(3) Liste des 10 films préférés d’Alfred Hitchcock, établie en 1939 :
1. Saturday Night (Le Détour) de Cecil B. DeMille, 1923
2. The Isle of Lost Ships (L’Ile des navires perdus) de Maurice Tourneur, 1923
3. Scaramouche de Rex Ingram, 1923
4. Forbidden Fruit (Le Fruit défendu) de Cecil B. DeMille, 1921
5. Sentimental Tommy de John S. Robertson, 1921
6. The Enchanted Cottage de John S. Robertson, 1924
7. Variétés de E.A. Dupont, 1925
8. The Last Command (Crépuscule de gloire) de Josef von Sternberg, 1928
9. The Gold Rush (La Ruée vers l’or) de Charles Chaplin, 1925
10. I Am a Fugitive from a Chain Gang (Je suis un évadé) de Mervyn LeRoy, 1932
… soit 9 films muets et 1 parlant.

Saturday NightAffiche pour Saturday Night de Cecil B. DeMille.
L’affiche illustre bien les oppositions de classe (regards, vêtements, arrière-plans) et le dessinateur a même ajouté des menottes pour exacerber la confrontation (ou pour symboliser le mariage ?)

27 novembre 2011

Germinal (1913) de Albert Capellani

GerminalRenvoyé pour avoir giflé son contremaître, Etienne Lantier part dans le nord de la France à la recherche d’un nouvel emploi. Il se fait embaucher aux mines de Montsou grâce à une famille de mineurs qui l’héberge. Quand la direction décide de baisser les salaires, il pousse les mineurs à la grève… Lorsqu’il tourne cette adaptation du roman de Zola, Germinal, le réalisateur français Albert Capellani est déjà un spécialiste des adaptations littéraires (1). Il vient d’ailleurs de terminer une adaptation-fleuve (5h) des Misérables. Sans être aussi long, son Germinal dure 2h30, durée inhabituelle à l’époque. Nous sommes à une époque où le cinéma français dominait toujours le cinéma mondial grâce à sa force narrative. C’est bien le cas ici : si l’utilisation de la caméra reste très classique pour l’époque (plans fixes, pas de gros plans, quelques travelings latéraux), Germinal est étonnant de naturel à la fois par la mise en scène et le jeu des acteurs (l’école naturaliste propre au théâtre). On est étonné de voir avec quel naturel se comportent les acteurs ou figurants même quand ils ne sont pas au premier plan : on a vraiment l’impression de voir une scène véritable (2). Henry Krauss (Etienne Lantier) et Sylvie (Catherine Maheu) sont absolument remarquables, Sylvie tout particulièrement par ses nombreuses petites expressions et mimiques qui donnent beaucoup de vie. Le jeu très naturel permet de se passer de dialogues. Les intertitres, peu nombreux, sont utilisés pour décrire la ou plutôt les scènes qui suivent (ce qui correspond à l’usage de l’époque). Parmi toutes les adaptations de Germinal, celle de Capellani est probablement celle qui a le plus de force sur le propos social du roman de Zola.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Henry Krauss, Sylvie, Jean Jacquinet, Paul Escoffier
Voir la fiche du film et la filmographie de Albert Capellani sur le site IMDB.

Remarques :
(1) En 1908, Charles Pathé avait créé la Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres (S.C.A.G.L.), filiale de Pathé qui avait pour but de produire des adaptations des œuvres les plus prestigieuses de la littérature française. Il avait placé Albert Capellani à sa tête. Le réalisateur supervisait donc de nombreux films en plus de tourner les siens.
(2) La seule scène qui échappe à la règle est celle de la fête foraine, visiblement tournée au milieu de la foule d’une véritable fête. Résultat : des dizaines de badauds regardent la caméra, jusqu’à venir se planter devant. C’est très amusant à regarder mais on ne regarde que les badauds !

Autres adaptations :
Au pays noir de Ferninand Zecca et Lucien Nonguet (1905) (court métrage de 15 mn)
Germinal d’Albert Capellani (1913)
Germinal d’Yves Allégret (1963) avec Julien Sorel et Claude Brasseur
Germinal de Claude Berri (1993) avec Renaud et Gérard Depardieu