22 juillet 2012

Fleur pâle (1964) de Masahiro Shinoda

Titre original : « Kawaita hana »

Fleur pâleA sa sortie de prison, un yakuza (1) s’aperçoit que le monde a changé, son propre clan ayant été contraint de s’allier avec leurs ennemis d’hier. Dans un cercle de jeu clandestin, il rencontre une jeune femme d’apparence douce qui mise de grosses sommes. Il se sent tout de suite attirée vers elle… Simultanément à l’émergence d’un ton nouveau dans le cinéma français, le cinéma japonais a lui aussi connu une Nouvelle Vague au début des années soixante et Masahiro Shinoda en est l’un des meilleurs représentants. Fleur pâle n’a ainsi rien d’un film traditionnel, l’histoire en elle-même n’étant que très peu fournie. C’est surtout un film d’atmosphère et de sensation avec une recherche esthétique évidente, une nouvelle approche du cinéma. Les deux personnages centraux ne correspondent pas aux standards du Japon moderne, ils sont plutôt en marge : le yakuza est déjà un hors-la-loi par nature, il refuse l’amour étouffant d’une ancienne petite amie, il a perdu ses repères. Le personnage de la jeune femme est encore plus en dehors des codes, flambant d’énormes sommes d’argent au jeu, elle reste totalement énigmatique, une fleur pâle, belle et presque irréelle. Cette association de deux caractères très différents qui n’ont en commun qu’un certain mal-être, ou plutôt un décalage avec le monde qui les entoure, est le point fort du film (on peut trouver des points communs avec les couples Belmondo/Seberg et Belmondo/Karina chez Godard). Fleur pâle n’est pas sans défaut, principalement dans le rythme qui manque parfois de cohérence, mais l’ensemble reste admirable. L’esthétisme des plans n’est la moindre de ses qualités, l’image est très travaillée avec souvent une certaine pureté dans les formes et les mouvements. Fleur pâle connut un grand succès au Japon. Il reste aujourd’hui un très beau film.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Ryô Ikebe, Mariko Kaga, Eijirô Tôno, Seiji Miyaguchi
Voir la fiche du film et la filmographie de Masahiro Shinoda sur le site IMDB.
Voir les autres films de Masahiro Shinoda chroniqués sur ce blog…

Remarques :
* Le film est adapté d’un roman de Shintaro Ishihara, écrivain, scénariste et également réalisateur du segment japonais du film à sketches L’amour à vingt ans (1962).
* A l’époque de sa sortie, les jeux d’argent étaient interdits au Japon et le film eut de sérieux démêlés avec la censure du fait des nombreuses scènes décrivant ces jeux avec force détails.

(1) Yakusa = membre d’un clan mafieux au Japon.

6 juin 2012

Assassinat (1964) de Masahiro Shinoda

Titre original : « Ansatsu »

AnsatsuEn 1863, le Japon vit une période troublée : ce sont les toutes dernières années de l’ère féodale Edo. Bien qu’il ait tué un policier, le samouraï d’origine paysanne Kiyokawa Hachiro est relaxé par le seigneur Matsudaïra qui pense l’utiliser pour créer une brigade de ronins (samouraïs sans maître) afin de rétablir l’ordre. Devinant qu’il ne pourra contrôler parfaitement ce mercenaire, il charge un maître d’armes de se préparer à l’éliminer… Masahiro Shinoda est l’un des meilleurs représentants de la Nouvelle Vague japonaise mais c’est un film d’un très beau classicisme qu’il signe ici. Le réalisateur avait depuis toujours voulu tourner un film de samouraï. Assassinat est adapté d’un roman de Ryotaro Shiba, basé sur des évènements historiques réels. La trame narrative est riche avec de multiples flashbacks qui permettent d’approfondir le personnage central, une personnalité complexe, difficile à cerner. Masahiro Shinoda fait preuve d’un certain perfectionnisme, il utilise merveilleusement les éclairages pour obtenir une image superbe. On remarquera aussi quelques petites audaces et une utilisation particulière de la musique. Assassinat est assez enthousiasmant, à la fois beau et passionnant.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Tetsurô Tanba, Eiji Okada, Eitarô Ozawa, Isao Kimura
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17 mars 2012

Meurtre à Yoshiwara (1960) de Tomu Uchida

Titre original : « Yoto monogatari: Hana no Yoshiwara hyaku-nin giri »

Meurtre à YoshiwaraPatron d’un atelier de tissage prospère, Jirozaemon voudrait se marier mais une vilaine tâche de naissance sur le côté droit de son visage effraie toutes les femmes rencontrées. Pour lui changer les idées, son plus gros client l’emmène à Yoshiwara, quartier de Edo (aujourd’hui Tokyo), dans une maison de plaisirs. Toutes les geishas refusent sa compagnie sauf Tsuru, une ancienne taularde. Il va dépenser sans compter pour son apprentissage de courtisane… Tomu Uchida adapte ici une pièce du théâtre traditionnel japonais qui oppose la bonté à la cupidité et à l’égoïsme. C’est un mélodrame rendu puissant par le traitement du réalisateur et une interprétation très juste. L’image est étonnamment belle, un superbe cinémascope en couleurs, le format large étant particulièrement bien exploité par le réalisateur : beaucoup de plans sont de toute beauté. Le film a aussi un côté presque documentaire car il nous montre à la fois certains rites sociaux dans le commerce et surtout le fonctionnement du quartier des geishas, avec ses codes et ses tensions. Meurtre à Yoshiwara est un très beau film doté d’un final superbe.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Chiezo Kataoka, Yaeko Mizutani, Isao Kimura
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6 mars 2012

Dodes’ka-den (1970) de Akira Kurosawa

Titre original : « Dodesukaden »

DodeskadenAlors que le Japon est en plein boom économique, Akira Kurosawa adapte un roman de Shûgorô Yamamoto qui met en scène les habitants d’un petit bidonville en bordure d’une grande métropole japonaise. Kurosawa pense que « le miracle économique ne durera pas car il prend appui sur la misère morale et l’injustice ». Loin d’être un film rebutant ou misérabiliste, Dodes’Ka-den est un très beau film, d’une humanité rare. Dodes’Ka-den est une onomatopée que les enfants japonais utilisent pour imiter le bruit du train sur les rails. C’est le bruit que fait l’adolescent Rokuchan en conduisant son tramway imaginaire. Dodeskaden Il ouvre et clôt le film qui est centré sur une douzaine de personnages. Il y a beaucoup de choses dans Dodes’Ka-den : des drames, de l’humour, du rêve, de la poésie, de la beauté. Le film est d’ailleurs très beau plastiquement parlant : pour son premier film tourné en couleurs, Kurosawa a repeint tous les objets, même les plus anodins et a tout filmé en studio. Même le ciel est peint. Cela accroit ce sentiment d’être à côté du monde réel. Le dénuement des personnages permet à Kurosawa de mieux pénétrer les profondeurs de l’âme humaine. Il ne faut surtout pas se laisser effrayer par le sujet, Dodes’Ka-den est un film superbe, d’une très grande humanité.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Yoshitaka Zushi, Tomoko Yamazaki, Yûko Kusunoki, Kunie Tanaka
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Remarques :
Entre Barberousse (également adapté d’un roman de Shûgorô Yamamoto) et Dodes’Ka-den, Kurosawa a été pressenti dans le cadre de plusieurs projets à Hollywood mais aucun n’a abouti.

Voir une critique plus complète de Dodes’Ka-den sur Dvdclassik

29 janvier 2012

Barberousse (1965) de Akira Kurosawa

Titre original : « Akahige »

BarberousseAux alentours de 1820 à Edo (aujourd’hui Tokyo), un tout jeune médecin est affecté à un dispensaire de quartier pauvre alors qu’il attendait un poste bien plus prestigieux du fait de ses relations. Il se révolte d’abord contre son patron, un docteur entièrement dévoué à sa tâche surnommé Barberousse, avant de s’intéresser peu à peu à certains cas… Barberousse fait partie des grands films humanistes d’Akira Kurosawa. Il s’agit d’une œuvre de grande ampleur à laquelle le cinéaste a consacré deux années. Cette transformation d’un jeune arriviste est admirablement construite puisque plusieurs histoires dans l’histoire nous sont contées. L’idée développée par Kurosawa est de montrer que les maux physiques cachent souvent une tragédie humaine dont la cause profonde est soit la pauvreté, soit la rigidité des codes sociaux. Le docteur Barberousse prouve peu à peu au jeune homme que soigner les maux des autres lui permet aussi de soigner les siens et trouver une paix en lui-même. Kurosawa sait éviter tout misérabilisme et tout sermon, il raconte des histoires qui nous captivent par leur force et qui nous touchent profondément. Barberousse fait partie de ces films qui nous font réfléchir sur notre vision de la vie et nous donnent une sensation d’enrichissement. La mise en scène est parfaite, un grand soin a été porté sur les décors et le format large de l’image est merveilleusement exploité. Barberousse fait partie des plus grands films de Kurosawa.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Toshirô Mifune, Yûzô Kayama, Tsutomu Yamazaki, Reiko Dan, Miyuki Kuwano
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Remarque :
Barberousse marque la fin de la collaboration entre Akira Kurosawa et son acteur fétiche Toshirô Mifune. Ce dernier se lançait alors dans la production, il était aussi courtisé par Hollywood. Immobilisé par le long tournage de Barberousse, il a commencé à entrer en conflit avec Kurosawa sur l’orientation à donner à son personnage : alors que le réalisateur voulait mettre en avant son altruisme, l’acteur voulait accentuer son côté héros prêt à tout, lointain. Kurosawa déclarera par la suite : « Son interprétation héroïque, granitique, austère, a faussé le personnage. Mifune n’a pas voulu m’écouter. Alors j’ai décidé de ne plus travailler avec lui. Quand un acteur commence à jouer son propre personnage, c’est fini. » Nous pouvons voir la conséquence de ces dissensions dans  la scène du combat, une scène qui paraît assez décalée et inutile.