Sur la fin de sa vie, Marin Marais, violiste des XVIIe-XVIIIe siècles, se remémore ses souvenirs de jeunesse et en particulier son apprentissage de la viole de gambe auprès de son maître, Monsieur de Sainte-Colombe et de ses deux filles…
Tous les matins du monde est un film français réalisé par Alain Corneau d’après le roman homonyme de Pascal Quignard. Il retrace une partie de la vie du compositeur français du XVIIe siècle, Marin Marais, et plus particulièrement ses relations avec le compositeur Jean de Sainte-Colombe. En réalité, très peu de détails sont connus sur la vie de ce dernier et le romancier a élaboré un scénario à partir de quelques phrases écrites par Marin Marais. Le portrait qu’en a fait le romancier est celui d’un homme intransigeant et perfectionniste, qui a une conception de l’art comme un absolu, et qui refuse l’idée d’un art pour plaire. La mise en images est superbe et la musique, interprétée par Jordi Savall, est enchanteresse. Le grand succès du film a contribué à la renaissance de la musique baroque et à faire connaître la viole de gambe.
Elle:
Lui :
Acteurs: Jean-Pierre Marielle, Gérard Depardieu, Anne Brochet, Guillaume Depardieu, Carole Richert, Michel Bouquet, Caroline Silhol
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Jean-Pierre Marielle dans Tous les matins du monde de Alain Corneau.
Pour moi, au-delà de l’aspect « biographie(s) romancée(s) » dont certains aspects du déroulé narratif sont parfois assez anecdotiques, ce film est surtout une magnifique illustration incarnée de ce qu’est la musique.
Tout musicien authentique comprend la puissance de la scène où Marin Marais découvre le « secret » du génie expressif de Sainte-Colombe. Scène qui évidemment ne doit pas être dévoilée à qui n’a pas encore vu le film.
Et cette dimension (ou son absence) est parfaitement résumée par la phrase abrupte que formule Sainte-Colombe à sa première rencontre avec le jeune Marin Marais, au début du film, lorsqu’il lui accorde une audition puis lui rétorque : « Vous jouez très bien la musique, monsieur, mais vous ne serez jamais musicien ». Toute la différence entre la virtuosité technique et l’art musical est parfaitement synthétisée ici.
Finalement, malgré sa gloire et sa reconnaissance institutionnelle, le vieux Marin Marais qui se remémore sa jeunesse en flash-back est lucide : il fut virtuose et brillant, mais Sainte-Colombe était musicien.
Toutefois, ce que Pascal Quignard a fait, c’est plus qu’une « biographie romancée »… C’est une « biographie inventée ». De la vie de Sainte-Colombe, on ne sait rien : on ne connait ni sa date de naissance, ni d’où il vient, ni la date de sa mort.
La seule chose dont est sûr, c’est qu’il ne fût pas musicien à la Cour du roi à la différence de Marin Marais qui fut un temps son élève. A partir de là, le romancier a imaginé une opposition et a fait de Sainte Colombe un personnage austère en quête d’absolu, très janséniste.
Il a fait un travail de romancier qu’il ne faut pas, comme vous le rappelez, prendre pour la réalité. Marin Marais fut bien un vrai musicien : les rares témoignages à son sujet l’attestent, tout comme ses compositions.
Cela me rappelle un peu la jalousie de Salieri envers Mozart imaginée par le scénariste Peter Shaffer pour Amadeus, film également très enthousiasmant.
Bien sûr, la question n’est pas de savoir si « dans la vraie vie Marin Marais fut musicien au sens plein ou s’il fut un virtuose sans intensité expressive », mais dans le fait que le film confronte deux profils. Je n’ai pas lu le roman, mais le film est une excellente incarnation de cette question centrale : qu’est-ce que l’interprétation musicale ?
Et j’avoue m’être souvent appuyé sur ce film pour formuler des critiques envers bien des « musiciens » apparents, y compris connus et reconnus, dont le public applaudit la virtuosité alors qu’il leur manque l’incarnation émotionnelle de la musique. Comme Sainte-Colombe dans ce film, je n’appelle pas « musicien » quelqu’un qui n’interprète pas la musique, quelqu’un dont le jeu n’exprime pas une émotion mais juste une suite de notes — fut-elle techniquement impressionnante.
À ce titre, la reconnaissance historique attestée de Marin Marais, et le fait qu’il ait composé, ne garantissent pas qu’il fut réellement « musicien » au sens de Sainte-Colombe et que je partage. Bien des « joueurs de musique », reconnus voire adulés, ne sont pas musiciens.
Qu’il n’y ait pas de malentendu : je peux aussi admirer la virtuosité et je respecte profondément ceusses qui la pratiquent sans en nier les limites et sans se prétendre de grand·e·s musicien·ne·s. De la même manière qu’il y a d’excellents artisans qui ne se prétendent pas artistes, et ce qu’ils font peut être admirable car ce n’est juste pas le même registre. En tant qu’auteur-compositeur, par exemple, Francis Cabrel se considère comme un artisan, qui doit « polir » ses chansons avec obstination par respect pour le public à qui il les destine. Son humilité est d’autant plus admirable que dans son cas je pense personnellement qu’il est un authentique musicien et un authentique artiste. Dautres, très très connus, livrent des chansons qu’ils croient brillantes et qu’ils ne « peaufinent » pas, certains de leur génie spontané : j’ai beaucoup moins d’admiration et de respect pour eux.
Quoi qu’il en soit, ce film met en scène (au sens propre) ce sujet profond, et il s’appuie intelligemment pour cela sur des personnages qu’il peut se permettre d’inventer en partie, de façon à servir son propos.
[Sinon, ma première remarque consistait surtout à dire que les épisodes hors musique m’ont moins intéressé, par exemple la romance entre Marin Marais et la fille de Sainte-Colombe si je me souviens bien. Ils permettent d’étoffer des histoires humaines, ce qui est utile pour l’incarnation globale des personnages, mais sont moins originaux et pas forcément passionnants.]