Titre original : « Leave Her to Heaven »
Un écrivain fait la rencontre d’une jeune fille de bonne famille dans un train. Elle est fascinée par son visage car l’homme ressemble à son père décédé il y a peu de temps. A leur arrivée, ils s’aperçoivent qu’ils se rendent chez la même personne dans un ranch du Nouveau Mexique. L’attraction réciproque ne fait que grandir et aboutit rapidement à un mariage… Comme le montrent clairement l’affiche et le générique, Leave Her to Heaven est tiré d’un best-seller signé Ben Ames Williams. La Fox en a confié la réalisation à John Stahl, grand spécialiste du mélodrame. Mais, et c’est bien là que réside tout son attrait, Leave Her to Heaven est bien plus qu’un mélodrame puisque, à mesure que l’histoire avance, nous basculons dans le film noir. Très rarement, la symbiose de ces deux genres, mélodrame et film noir, n’a été si réussie. L’histoire est à rapprocher de la vogue des thèmes psychanalytiques à cette époque mais le monumental complexe d’Oedipe non résolu qui en est ici le noeud est toutefois inséré avec une certaine discrétion. L’image, signée Leon Shamroy (1), est absolument superbe avec un Technicolor de toute beauté (des rouges éclatants, une teinte générale brun doré et de belles nuances de bleus, les verts étant judicieusement en retrait).
Et il y a Gene Tierney… belle et sublime, dont la douceur naturelle rend la noirceur de ses desseins encore plus terrifiante. Elle fait une très belle interprétation de ce personnage complexe sous une façade parfaitement lissée et maitrisée. Face à elle, Cornel Wilde peut paraître un peu fade mais cela correspond à son personnage et la toute jeune (20 ans) Jeanne Crain, alors étoile montante de la Fox, a également un rôle tout en retenue. De nombreuses scènes restent gravées dans nos mémoires : les cendres, la barque et surtout l’escalier… Bien qu’il reste peu connu (pas assez du moins), Leave Her to Heaven est un film vraiment remarquable.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Gene Tierney, Cornel Wilde, Jeanne Crain, Vincent Price, Darryl Hickman
Voir la fiche du film et la filmographie de John M. Stahl sur le site IMDB.
Remarques :
* La fameuse scène de l’escalier a bien failli être coupée par la Censure mais elle a pu être sauvée in extremis.
* Le titre Leave Her to Heaven est tiré d’une phrase d’Hamlet de Shakespeare : le fantôme du père d’Hamlet lui enjoint de ne rien tenter contre sa mère mais de laisser le Ciel se charger de la punir (ce que les distributeurs français ont exprimé bien maladroitement en traduisant par Péché mortel…)
* Dans son autobiographie, Gene Tierney décrit le tournage comme ayant été assez difficile. Le lieu de tournage au bord du lac (Bass Lake en Californie) était difficilement accessible par la route. Le tournage de la scène de la barque eut lieu en novembre et l’eau était glacée : on lui donnait de petites rasades de whisky entre les prises pour réactiver sa circulation sanguine (d’ailleurs, d’après IMDB, le jeune Darryl Hickman aurait été atteint de pneumonie en tournant la scène).
(1) Le directeur de la photographie Leon Shamroy a été oscarisé pour ce film.
Un film fascinant par l’histoire et le personnage de Gene Tierney et les images en Technicolor !!
Au fait merci pour l’explication du titre car je me posais des questions !
Le titre français n’est peut-être pas si maladroit : un poème d’Albert Samain, Une, dit :
Elle est la fleur superbe et froide des poisons
Et le péché mortel aux âcres floraisons
De sa chair vénéneuse en parfum noir transpire
PORTRAIT D’UNE MONSTRE
(Je ne sais pas si « monstresse » se dit.
On pourrait tout aussi bien écrire LA FLEUR DU MAL
Tout à fait raccord avec Lui. Que voilà un film assez inclassable, original, étrange et parfaitement maitrisé avec sa construction en flash-back, sans doute le meilleur du cinéaste
De plus, contrairement à un certain nombre de ses films, celui-ci n’a pas subit de remake, et on comprend pourquoi
Autre point très intéressant, c’est un film noir en couleur (le premier du cinéaste) et quelles couleurs que ce Technicolor trichrome pour lequel le chef op Léon Shamroy fut oscarisé
Spécialiste du mélo féminin Sthal a oeuvré toute sa vie dans les portraits féminins offrant à ses actrices des rôles de choix
Le récit file bon train, depuis la scène inaugurale en train justement, sur plusieurs années, avec forces ellipses réservant bien des surprises
C’est la brune Gene Tierney aux yeux très clairs qui est la méchante. C’est dit. Et Sthal la magnifie sans cesse en enchainant les gros plans muets sur elle. Belle et étrange elle domine la distribution, et cette froide criminelle aux lunettes noires et aux sursauts soudain chaleureux de sa psyché torturée ira jusqu’au bout du voyage de ce qu’elle peut faire de mal. Gene fut nominée aux Oscars pour cette interprétation
Les dialogues intrigants et les non dits, pas mal de silences et de gros plans, peu de musique composent une riche palette angoissante qui nous happe jusqu’au bout. Je ne vais pas révéler le retournement final, ou plutôt l’aboutissement final de ce vénéneux portrait de fleur du mal
(sortie fin 45 aux US et en juin 47 en France)