Anne-Marie quitte sa famille bourgeoise pour rejoindre le couvent des dominicaines de Béthanie qui recueille des jeunes femmes à leur sortie de prison. Anne-Marie se voue à cette nouvelle mission avec une ardeur qui va bouleverser la vie de la congrégation… Ce premier film de Robert Bresson, Les Anges du péché, a longtemps été difficile à voir avant d’être parfaitement restauré. Il a été réalisé pendant l’Occupation et tranche assez nettement avec la production de l’époque, ne serait-ce que par son sujet. Bresson en a écrit le scénario en s’inspirant d’un livre écrit par le père Lelong que lui a conseillé son ami le père Bruckberger, conseiller sur le tournage. Les dialogues sont signés Jean Giraudoux dont la notoriété a joué un grand rôle dans l’aboutissement du projet. Même s’il se déroule presque entièrement dans un couvent, Les Anges du péché n’est pas tant un film sur la religion mais plutôt sur la quête d’absolu. Le chemin que la jeune Anne-Marie emprunte est celui d’une dévotion totale, plus dans la recherche d’un accomplissement personnel que par altruisme. La jeune femme en quête de rédemption qu’elle veut sauver devient même un obstacle à ses yeux, au même titre que les règles pourtant très strictes de la communauté. Bresson ne porte pas de jugement mais a le talent de montrer l’enchainement des mécanismes, les chemins suivis. Il montre beaucoup mais de façon non ostentatoire, dans une mise en scène très limpide.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Renée Faure, Jany Holt, Sylvie, Mila Parély, Marie-Hélène Dasté, Yolande Laffon, Louis Seigner
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(de g. à d.) Renée Faure, Marie-Hélène Dasté & Sylvie dans Les Anges du péché de Robert Bresson.
SOEURS ENTRE ELLES
« il n’y a pas de hasard
Il n’y a que des signes »
Bresson tourne son premier long métrage en rentrant de 18 mois de captivité en Allemagne dans les studios parisiens dans des conditions de travail difficiles dues à l’Occupation. Anne Wiazemsky – qui sera l’interprète de « Au hasard Balthazar » – a réalisé en 2004 un intéressant document sur le film « les Anges 1943 » pour Arte et qui figure semble t’il dans un bonus Dvd. Elle a réussi à interviewer certaines des participants au film dont plusieurs comédiennes sur les conditions, l’ambiance et les méthodes de Bresson tout en replaçant le film dans son époque. En 43 Bresson – qui a le même âge – a derrière lui un moyen métrage de 30 minutes écrit et réalisé dix ans plus tôt « Affaires publiques » que peu de gens connaissent, qu’on croyait perdu, retrouvé par la Cinémathèque. Le film ressemble à du René Clair période surréaliste et ne préfigure en rien la suite cinématographique à venir de notre auteur…
C’est sans doute la première fois que l’intégralité d’un film montre le quotidien d’une congrégation religieuse, Dominicaines visiteuses de prisons.
Faute / Dévotion / Rédemption, les chemins spirituels de Bresson s’inscrivent dès ce premier long métrage en « retenues », filmé encore à l’ancienne : le jeu y est encore « théâtral » (que des comédiens professionnels rompus à la scène), la musique « conventionnelle », la photo artistiquement « léchée », le texte « littéraire » tout en ménageant pour chaque partie citée des échappées confirmées dès le film suivant « Les dames du bois de Boulogne » jusqu’à leur radicalisation – objectif bressonnien – des films suivants.
On trouve dans Les Anges et dans Les Dames tous deux photographiés par Philippe Agostini deux longs plans similaires sur une protagoniste (Jany Holt dans l’un, Maria Casarès dans l’autre) dans l’ombre de ce que l’on devine être devant elles l’encadrement d’une porte qui, lorsque celle ci s’ouvre – un homme invisible qui parait dans l’une et qui sort dans l’autre – envoie sur chaque femme un éclat de lumière au visage; l’une vide son chargeur et l’autre dit « Je me vengerai! ». Les mêmes larmes de glycérine ne coulent pas
Tout l’objet du film est d’accompagner sans juger toutes ces femmes / soeurs / novices entre elles dont les motivations plus ou moins complexes de quelques unes donnent pour un temps du fil à retordre à la communauté, ce qui n’exclut pas une forme d’humour dans la tragédie (voir les apparitions du chat noir du couvent).
Lorsque le chemin de croix d’Anne-Marie, chassée de la communauté, la ramène à rôder la nuit au jardin du couvent pour s’adresser à Dieu, le film ouvre une brèche inattendue : « Merci de me recevoir chaque nuit…Faites que j’entende la voix de Thérèse que vous m’avez confiée…. » La pluie alors lui gicle au visage brûlant et les gouttes de la semence de Dieu s’écrasent sur ses paupières…(On n’est pas loin de l’Appolonide de Bonnello). Anne-Marie dans le tumulte de l’orage et les zébrures des éclairs jouit alors à mort et en mourra…
C’est le genre de moments à double lecture ( ou non, pour le spectateur) qui court dans l’oeuvre bressonnienne.
La fin, comme souvent chez notre auteur, est sublime de concision et de portée.
à suivre…