Titre original : « Dekalog »
Elle :
Ce cycle de dix films d’1h chacun se décline autour des dix commandements. Kieslowski situe ces épisodes dans une cité dortoir glauque et choisit de décrypter la vie de plusieurs familles qui pourront se croiser au fil des films. C’est dans un style dépouillé, dépourvu de bande musicale que le réalisateur détourne le sens de ces dix commandements en montrant qu’il n’est pas si facile de les appliquer. Il analyse les profondeurs et les contradictions de l’âme humaine. Pas de grands discours, des gros plans sur des visages, des rides, des objets et une atmosphère minimaliste. Beaucoup de symboles également comme un observateur muet commun aux dix épisodes, des liquides comme le lait, du verre brisé, des reflets sur les vitres, des regards interrogateurs, des diagonales ouvertes vers un autre ailleurs. Tous ces signes parsèment les histoires comme pour mieux exprimer les doutes sur la façon de se comporter, de penser et d’agir. L’ensemble est une œuvre élaborée et construite mais qu’il n’est toujours facile de suivre pas à pas tant les sujets abordés sont lourds et graves. Le DVD qui réunit ces dix épisodes, contient des documents très intéressants sur l’élaboration et la signification du Décalogue de Kieslowski.
Note :
Lui :
Bien évidemment, dans ce Décalogue, c’est bien plus qu’une illustration moralisante des dix commandements que nous propose Kieslowski… mais on ne peut pas affirmer que ce soit le contraire non plus. Pour chacun de ces commandements, il s’attache à nous mettre sous les yeux une situation où il ressort qu’il n’est pas si facile de dire « il y a le bien et le mal »… Au contraire, rien n’est simple. Si les personnages avaient suivi le dogme à la lettre, leur vie se serait soit terminée ou aurait sombré. En même temps, ce n’est pas non plus une négation de ces préceptes et le propos de Kieslowski est fondamentalement humaniste.
Note :
Voir la fiche complète du film et la filmographie de Krzysztof Kieslowski
1) Un seul Dieu tu adoreras :
Elle :
Cet épisode montre un père qui ne croit qu’en la science et sa sœur qui ne croit qu’en Dieu avec, au milieu, un petit garçon qui pose des questions sur le sens de la vie et de la mort. Il perd la vie sur un lac gelé à cause d’une mauvaise prévision de son père qui avait calculé quel poids la glace pouvait supporter et n’avait pas prévu qu’un feu serait allumé près du lac et fragiliserait la glace.
Lui :
Une histoire assez attachante, interprétée de façon très convaincante, notamment par cet étonnant petit garçon. Si l’univers est triste, froid et impersonnel, la relation entre le père et son fils dégage une chaleur peu commune. Difficile de ne croire qu’à une seule chose, de tout baser sur une croyance, telle semble être la morale avancée par Kieslowski dans Un seul Dieu tu adoreras.
2) Tu ne commettras pas de parjure :
Elle :
Dans le même quartier que l’épisode 1, une jeune femme doit choisir entre son mari mourant et son amant qu’il l’a mise enceinte. Le médecin de son mari commet un parjure en lui disant que son mari va mourir pour éviter qu’elle ne se fasse avorter.
Lui :
Tu ne commettras pas de parjure est un étonnant face à face entre ce docteur et la femme d’un grand malade, une femme dont on perçoit petit à petit la situation pleine d’ambivalence et d’équivoque, entre deux chaises ou plutôt deux amants. Ici encore, le monde est froid et impersonnel.
3) Tu respecteras le jour du Seigneur :
Elle :
L’irruption dans une famille de l’ancienne amante du mari en pleine veillée de Noël. Cette femme esseulée et déboussolée a inventé toute une histoire pour pouvoir passer la nuit avec son ancien amant. J’avoue n’avoir pas beaucoup accroché l’histoire ici développée et n’avoir pas bien compris ce détournement du 3ème commandement. L’ensemble est moins convaincant.
Lui :
L’histoire choisie pour illustrer ce volet est un peu plus faible (une femme invente une histoire pour passer plusieurs heures avec son ancien amant à la recherche de son mari actuel, soit disant disparu). Les personnages de ces deux anciens amants sont vraiment survolés, on ignore tout d’eux et donc la symbiose ne fonctionne pas. Et toujours cet univers vide de monde, froid et peu chaleureux.
4/ Tu honoreras ton père et ta mère :
Elle :
Une jeune femme dont la mère est morte fait croire à son père qu’elle n’est pas sa fille car elle l’aime secrètement. Elle ne peut donc honorer ni son père ni sa mère. La filiation est ambiguë. Cet épisode est plus touchant mais toujours très lent.
Lui :
Beaucoup d’intensité dans ce face à face entre un père et sa fille, l’ambiguïté de leurs rapports nous étant bien dévoilée petit à petit et le spectateur est autant troublé que le sont les personnages. Les sentiments sont plus que jamais au centre de ce volet.
5/ Tu ne tueras point :
Elle :
Un jeune homme tue un chauffeur de taxi avec acharnement. Il est condamné à la pendaison. Deux meurtres dont un commis par la justice. La première partie est franchement insoutenable. La deuxième partie qui se passe avec les préparatifs de la pendaison est plus intéressante et met en relief le problème de la peine de mort.
Lui :
Ce volet est un réquisitoire assez poignant contre la peine de mort, qui met face à face la brutalité du crime commis par un jeune garçon un peu désaxé et la brutalité de la sentence judiciaire. Même si l’argument utilisé ne semble pas en soi être ni le meilleur ni le plus efficace, le film de Kieslowski n’en remue pas moins les tripes, de par l’intensité de la préparation du crime commis et par le côté cru du passage à l’acte. Le montage met en parallèle la trajectoire du garçon et de son futur (jeune) avocat. La photographie tend à alourdir le climat, par l’utilisation de filtres jaunes ou par l’assombrissement des côtés de l’image. Un film dérangeant mais assez marquant.
6/ Tu ne seras pas luxurieux :
Elle :
Un jeune homme fragile et timide observe à la longue-vue dans l’appartement d’en face une femme aux mœurs libres dont il est secrètement amoureux. Il est prêt à tout pour la rencontrer mais l’entrevue est un fiasco qui débouche sur une tentative de suicide. Ces deux personnages ne parviennent pas à s’extraire de leur solitude. Le rythme du film est vraiment très lent.
Lui :
Kieslowski met à nouveau en scène deux personnages totalement à l’opposé l’un de l’autre : une jeune femme sûre d’elle à la sexualité libérée et un jeune garçon timide, n’ayant jamais connu de vie amoureuse et passant ses soirées à épier la première. On peu certes reprocher au film une certaine lenteur, mais Kieslowski parvient bien à nous faire partager l’état d’esprit du jeune garçon ne sachant quoi faire avec son désir, tout comme il parvient bien à nous montrer le sentiment d’insatisfaction presque désabusé chez la femme. Une fois de plus, il choisit de ne pas approfondir les personnages, on ne sait que peu de choses de leur vie réelle, mais il se concentre sur le sujet traité et les sentiments qu’il génère. Et une fois de plus, l’intensité est réelle.
7/ Tu ne voleras point :
Elle :
Il s’agit du vol d’une petite fille par sa grand-mère qui lui fait croire qu’elle est sa vraie mère. La jeune maman qui a eu cet enfant alors qu’elle avait 16 ans, souhaite maintenant remettre les choses dans l’ordre et retrouver son vrai rôle de mère. Elle kidnappe sa petite fille. On découvre alors la haine qui existe entre la grand-mère et sa vraie fille, la démission du vrai père de l’enfant et l’innocence de la petite fille victime de la bêtise des adultes. Certes, cet épisode n’est pas bien gai mais au filanl est beaucoup plus touchant que les autres.
Lui :
C’est de vol d’enfant dont il s’agit, une femme ayant inscrite sa petite fille comme étant sa fille pour éviter un scandale. La vraie mère va donc tenter d’enlever son enfant, voler le voleur en quelque sorte. C’est surtout de la situation de la vraie mère que traite Kieslowski, une femme qui ne parvient pas à trouver sa place, presque reniée par sa propre mère et incapable d’être une mère à sa fille, sans aucune attache, repoussée par l’homme avec lequel elle a eu l’enfant. Ce volet paraît toutefois un peu lent et long par rapport aux autres, et avec des caractères un peu marqués et typés.
8) Tu ne mentiras point :
Elle :
Pour illustrer le non respect de ce commandement, Kieslowski met en scène une conférencière et une femme polonaise américaine qui veut assister à ses cours. Elle lui annonce être la petite juive que le professeur a refusé d’accueillir en 1943, ce qui lui aurait permis d’éviter les camps de concentration. La conférencière lui révèle qu’elle avait une bonne raison de mentir. Elle voulait protéger son réseau de résistance. Le sujet est intéressant, les visages sont filmés au plus près pour exprimer la douleur du passé. Néanmoins, je n’accroche pas à la forme, ce tempo très très lent du film. Il y a beaucoup d’attente, de silences qui pèsent sur les épaules et font que mon esprit vagabonde vers autre chose.
Lui :
Pour le thème du mensonge, ou plus exactement celui de « cacher la vérité », Kieslowski choisit une histoire se passant pendant la guerre ou plus exactement le moment où la vérité éclate 40 ans plus tard. Etant prise dans une situation totalement hors de l’ordinaire, qui plus est hors de toute raison, cette illustration perd de son impact et de sa force, me semble t-il. Le face à face entre les deux femmes est de plus assez peu nourri.
9) Tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin :
Elle :
Un homme qui vient de découvrir son impuissance propose à sa femme de prendre un amant. Il devient pourtant très jaloux : il l’épie, surveille ses conversations téléphoniques, assiste aux ébats amoureux de sa femme et tente en vain de se suicider alors que son épouse était en train de rompre sa relation. Cet épisode m’a beaucoup plus intéressée car il est beaucoup moins pesant dans sa forme, plus riche et est ponctué de thèmes musicaux, de changements de rythmes, de symboles à décrypter. Toujours des plans serrés, des gros plans sur le téléphone, des allers et retours entre ce que vit la femme et l’homme. Une belle réussite.
Lui :
Ce volet traite des sentiments et rapports de confiance entre une homme et une femme, dont le couple est placé dans une situation de crise (impuissance définitive du mari). Le cinéaste montre par quelles phases va passer l’état de leur relation et comment ce couple va se trouver au bord du drame. Une fois de plus, les situations, les sentiments sont simples mais intenses.
10) Tu ne convoiteras pas les biens d’autrui :
Elle :
Dans ce dernier épisode, Kieslowski cherche à montrer que dès que l’argent est en jeu, les hommes sont prêts à tout sacrifier. Il met en scène deux frères qui viennent de perdre leur père et découvrent que celui-ci avait amassé une véritable fortune en collectionnant les timbres. Ils cherchent donc à augmenter le patrimoine, à préserver le butin en se protégeant avec un chien danois et en mettant des barreaux à l’appartement. Un des frères va même jusqu’à se faire enlever un rein pour acquérir un timbre. Cette histoire fonctionne sur le mode de l’ironie et de l’humour. On reste sidéré devant cette bêtise humaine.
Lui :
Deux frères, de mode de vie très différents, se retrouvent face à un héritage de grande valeur sous la forme d’une collection de timbres. Kieslowski s’attache à nous montrer l’impact assez similaire qu’il va avoir sur ces deux frères, il dépasse l’aspect pécuniaire pur puisqu’ils seront atteints par le collectionnisme de leur père décédé. Il choisit donc de traiter de l’attrait de la possession en lui-même, attrait qui peut agir sur tous puisque l’un des frères pourrait être qualifié d’anarchiste nihiliste.