Forrest Gump est un homme simple d’esprit qui a inopinément participé à plusieurs épisodes importants de l’histoire des Etats-Unis. Assis sur un banc, il raconte sa vie aux personnes assises à côté de lui… Forrest Gump est ce que l’on appelle aujourd’hui un « feel good movie », c’est-à-dire un de ces films qui remontent le moral à un dépressif en deux temps trois mouvements. Cette histoire d’un homme très simple accomplissant des choses extraordinaires est effectivement amusante, jubilatoire, touchante. Elle porte également en elle toute une collection de valeurs idéologiques américaines (héros ordinaire, seconde chance, succès accessible à tous, etc.) et réinterprète l’Histoire de l’Amérique au travers d’un filtre simplificateur : tout devient ainsi anecdotique. Le film fait également montre d’un certain anti-intellectualisme pour installer une philosophie simpliste : « La vie c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber », ou encore « il faut laisser le passé derrière soi si on veut avancer ». Bien entendu, le prétexte à ces banalités est de dire que tout cela est vu par les yeux d’un simple d’esprit… (1) Du côté de la forme, la réalisation est parfaite, avec en prime de belles prouesses techniques d’intégrations informatiques : la plume de la scène d’ouverture, intégrations de Forrest Gump dans des images d’archives (il serre notamment la main à plusieurs présidents), la balle de ping-pong (2), les jambes de Gary Sinise (3). L’interprétation de Tom Hanks est assez fantastique, l’acteur donne une dimension à son personnage qui rend le film assez plaisant malgré l’idéologie simpliste, que l’on peut certainement qualifier assez réactionnaire, qu’il colporte…
Elle:
Lui :
Acteurs: Tom Hanks, Sally Field, Gary Sinise, Robin Wright
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Zemeckis sur le site IMDB.
Voir les autres films de Robert Zemeckis chroniqués sur ce blog…
Tom Hanks dans Forrest Gump de Robert Zemeckis
Tom Hanks / Forrest Gump avec le (véritable) président John F. Kennedy.
(1) On pourra aussi noter la présence d’une sorte de justice divine qui récompense les simples et qui punit ceux qui ont « fauté » : l’ex-hippie Jenny aura ainsi une maladie mortelle… ou encore le « maoiste » John Lennon sera assassiné (le passage avec John Lennon est assez bizarre : le gag des paroles d’Imagine est-il une plaisanterie iconoclaste ou les auteurs ont-ils une dent contre lui ? )
(2) Les plans ont été filmés sans la balle qui a été ajoutée ensuite numériquement. A noter que l’opposant de Forrest Gump lors du match est un authentique champion chinois qui a eu toutes les peines du monde à mimer le jeu sans balle.
(3) Les réalisateurs aiment bien glisser des plans en apparence infaisables : si les mollets de Gary Sinise ont été effacés par ordinateur alors comment fait-il (dans la scène avec les prostituées) pour faire demi-tour assis par terre alors qu’il est juste à côté d’une table ? (Réponse : le plan a été tourné sans table qui a été ajoutée ensuite numériquement).
J’ai trouvé pour ma part ce film assez nauséabond.
Vous soulignez tout ce qu’il a de réactionnaire et de surfait, tout en l’aimant : j’avoue être un peu étonné.
Dès l’ouverture, Zemeckis donne le ton avec la scène qui « suit » le vol d’une plume (sans doute numérique, d’ailleurs). C’est pour moi l’un des plus grossiers archétype du cinéma frimeur. Ce type de scène (incroyablement convenue) est digne d’une mauvaise copie d’un étudiant en cinéma : tape-à-l’œil gratuit, cherchant à donner l’impression d’une virtuosité… alors que c’est la technique qui a tout fait, à partir d’une idée théorique ne demandant aucune qualité de mise en scène (contrairement aux scènes virtuoses imaginées par Welles, Hitchcock, Allen et autres, qui ont utilisé et transcendé les limites physiques de la caméra ; rien de tel ici, ce qui en fait quasiment une insulte à l’invention en matière de mise en scène).
Et finalement, tout est à l’avenant.
La publicité (étouffante à l’époque) autour des incrustations était presque ridicule. En quoi le fait d’utiliser (et de le faire savoir !) une technique nouvelle relève-t-il du cinéma ? Le premier film en couleur doit-il être considéré comme un chef-d’œuvre uniquement parce qu’il était en couleur ?
Bon, y’a des incrustations. Et encore d’autres. Et encore d’autres pour le cas où l’on aurait raté les précédentes. Et encore d’autres histoire d’être bien sûr que tout le monde aura remarqué la technique. Et alors ? Est-ce que ça sert l’histoire ? Absolument pas : c’est l’histoire qui sert le tape-à-l’œil de Zemeckis. C’est l’histoire qui devient délirante d’invraisemblances juste pour « justifier » l’emploi d’incrustations. Beurk.
Quant au jeu de Tom Hanks, il confirme que jouer un handicapé est la meilleure manière d’obtenir un Oscar : c’est l’un des rôles les plus faciles à jouer, mais ça impressionne, et hop, c’est dans la poche. Pathétique.
Et encore, je ne parle ici que de cinéma. Je laisse de côté l’idéologie réactionnaire (voire ultra-réactionnaire), dont vous avez un peu parlé — mais qui a achevé de me donner la nausée. Oui, je me souviens être sorti de cette horreur avec un profond malaise : comment un navet aussi grossier sur la forme et sur le fond a-t-il pu obtenir une telle audience, et comment ne pas être barbouillé par les « valeurs » plus que douteuses qu’il nous assène avec insistance ?
Je suis d’accord avec vous sur plusieurs points même si je vous trouve très sévère. A la dernière question (« Comment le film a pu avoir un tel succès ? »), je dirais parce que c’est le type-même du « feel good movie ». Sur l’interprétation de Tom Hanks, je trouve que vous avez la dent dure car ce type de personnage impose de trouver le ton juste, le dosage parfait, et d’exprimer une palette de sentiments large… et, à mon avis, il y parvient.
Oui, la technique est un concept discutable quand il devient un but principal. Les différentes intégrations sont toutefois ici ponctuées de beaucoup d’humour car, comme vous le dites, l’histoire prend parfois des tours invraisemblables pour les justifier.
J’adore ce film. Je vous le conseil fortement. J’ai eu un devoir à rendre sur ce film quelques questions qui nous permet d’y voir plus clair dans le film.
C’est un film que je qualifierais de « reaganien » dans le sens où il fait tout pour ridiculiser la crise des valeurs et la contestation qui ont suivi l’assassinat de Kennedy, revoyez ce film sous ce prisme c’est frappant le plus révoltant étant le personnage interprété par Robin Wright (fortement inspiré, on s’en doute, par la chanteuse-compositrice Joni Mitchell) qui, pour avoir cru à ses rêves et tenté de les réaliser, est punie par une maladie mortelle. C’est un film »reaganien », parce que Reagan a vendu à l’Amérique toute entière au début des eighties l’illusion que le pays pouvait revenir à « l’innocence » des années cinquante, comme si la crise de confiance des années 60-70 n’avaient jamais existé et c’est certainement pas par hasard qu’au même moment le premier « retour vers le futur » du même Zemeckis se déroule dans une bourgade tranquille des Etats-Unis en plein milieu des années cinquante. Globalement, il y a une tentative de réécriture de l’histoire et volonté d’effacer toutes traces de la contre-culture, sauf s’il est possible de dissoudre cette dernière dans l’idéologie des « winners » (Silicon Valley) des années quatre-vingt.
Je n’ai pas ressenti la maladie qui frappe la chanteuse comme une « punition » ; mais plutôt comme la fin des illusions du mouvement hippie.
Le terme « punition » n’est à mon sens qu’une interprétation subjective.
J’ai bien aimé ce « feel good movie » qui sait également se montrer émouvant.
Bonjour,
Moi aussi j’ai bien aimé ce film, Zemeckis a du talent (« seul au monde » est aussi un très bon film de lui) c’est ensuite en revenant en arrière que je me suis rendu compte de son arrière fond douteux qui est au service de ce qui était la « doxa » triomphante à ce moment-là, en somme de la pure guimauve hollywoodienne très séduisante de prime abord pour redorer le blason déjà bien mité du drapeau américain, je voudrais bien croire à la « leçon » prodiguée par le film, seulement je ne suis plus un gamin, vous dîtes que la maladie qui frappe la chanteuse est une interprétation subjective, peut-être, mais je ne peux m’empêcher de comparer son destin à celui de Forrest qui, lui, malgré toutes les épreuves qu’il a traversé, non seulement s’en sort indemne mais devient riche et couvert de gloires, le côté roublard et très malin de ce film étant de nous le présenter comme un handicapé mentalement limité alors que vu ce qu’il a vécu c’est un être extraordinaire qui traverse son époque sans se poser de questions, ce qui sous entendrait, et là encore c’est mon interprétation, que, pour réussir dans la vie, il ne faut pas se prendre la tête, obéir au gouvernement et tout ce qu’il nous impose d’en haut (il accepte quand même son enrôlement au Vietnam sans trop de problème) … C’est un film très ambigu qui divise les spectateurs qui l’ont vu (voir les avis sur sens critique) mais ça ne dépasse pas à mon avis l’idéologie comme l’extraordinaire »Mr Smith goes to Washington » de Capra, film que pourtant j’adore, je crois me souvenir que Billy Wilder aimait aussi beaucoup « Forrest Gump ».
Pour que la maladie de Jenny souligne « la fin des illusions du mouvement hippie », encore faudrait-il que ce film parle des « illusions du mouvement hippie » et s’y intéresse.
Sérieusement : à un moment il faudrait arrêter de chercher des justifications grotesques et absolument intenables. Prétendre que ce film se serait intéressé aux hippies, au point de souligner « la fin des illusions de ce mouvement », c’est se moquer totalement du monde. Pas une seule minute de Forest Gump ne s’intéresse au mouvement hippie ; les seules rares scènes où il le met à l’écran c’est dans une caricature sommaire et totalement extérieure, une pure image d’arrière-plan.
En revanche, le film insiste lourdement sur le fait que le mode de vie choisi par Jenny est malsain, déviant, qu’elle est malheureuse, qu’elle rate sa vie, qu’elle aurait mieux fait de faire comme Forest et de suivre les rails de l’american way of life.
Je peux admettre que certains aiment la philosophie ultra-réactionnaire (et effectivement ultra-reaganienne) de ce film, chacun a le droit d’avoir ses idées et convictions morales et idéologiques. Je peux même admettre que l’on aime un film « malgré son but idéologique nauséabond » (et donc sans partager son idéologie), il n’y a rien de honteux à apprécier un mauvais film, à avoir été touché par des détails malgré d’autres aspects.
Mais il est malhonnête et malsain de nier cette philosophie et cette idéologie, et d’essayer de faire passer un film militant d’ultra-droite pour autre chose que ce qu’il est.
NB : Ne pas oublier que Forest Gump a été écrit puis réalisé en plein pendant l’explosion de l’épidémie de SIDA.
La maladie de Jenny est clairement une référence au SIDA, non nommé mais très très explicitement sous-entendu.
Or le déroulé des malheurs de Jenny suit très précisément le narratif utilisé à l’époque par l’utra-droite étatsunienne et par les chrétiens intégristes : une vie amoureuse aventureuse, une vie dissolue, conduisent au mal, conduisent à attraper le SIDA.
Le personnage de Jenny est donc, très précisément et très explicitement dans le contexte de l’époque, une représentation clinique et fidèle des poncifs ultra-réactionnaires assimilant l’amour libre à un pêché et le SIDA à une punition bien méritée.
Ben a bien raison de souligner ce que ce passage du film révèle sur son idéologie à vomir.
J’en suis resté au premier degré, et ce film me plait comme il est ; soit un film très bien fait et émouvant qui m’a marqué.