Titre original : « Lady in the Lake »
Le détective Phillip Marlowe (1) est chargé par la directrice de collection d’un grand éditeur de retrouver la femme disparue de son patron. Elle espère ainsi que son patron pourra divorcer de sa femme volage et l’épouser, elle… La Dame du lac est adapté d’un roman de Raymond Chandler. Ce film est entré dans l’histoire du cinéma comme étant le premier film entièrement réalisé en vision subjective c’est-à-dire que nous sommes à la place du détective privé et nous voyons ce qu’il voit. Les personnages s’adressent à nous en nous regardant, brisant ainsi le plus grand interdit du cinéma, le fameux « regard caméra ». Le seul moment où nous voyons le héros, c’est lorsqu’il se regarde dans une glace. C’est l’acteur Robert Montgomery qui a su convaincre la MGM de se lancer dans cette entreprise périlleuse et de lui en confier la réalisation (2). Le résultat est assez surprenant, assurément original, plutôt intense lors des tête-à-tête, parfois spectaculaire (lorsque l’on se prend un coup de poing en pleine figure par exemple). En revanche, le procédé peut encourager les acteurs à sur-jouer et le héros manque fatalement d’épaisseur. Entre outre, on peut penser que, assez paradoxalement, le procédé gêne, plus qu’il ne favorise, l’identification du spectateur avec le personnage puisque celui-ci a des réactions qui diffèrent de celles qu’il aurait eues ou, plus simplement, qu’il aimerait voir (3). Audrey Totter est superbe et fait une très belle prestation ; du fait de l’ « absence » du héros, elle est d’ailleurs le personnage le plus fort du film.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Robert Montgomery, Audrey Totter, Lloyd Nolan, Leon Ames
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Montgomery sur le site IMDB.
Remarques :
* Avant La Dame du lac, plusieurs films comportaient quelques scènes en caméra subjective. On peut notamment citer le début de Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) de Rouben Mamoulian. Orson Welles a eu, lui aussi, un projet de film entièrement en caméra subjective.
* Pour écrire l’adaptation, Raymond Chandler s’est en réalité basé sur trois de ses nouvelles : The Lady in the Lake (1939), Bay City Blues (1937) et No Crime in the Montains (1941).
* Dans une lettre à son ami Alex Barris, Raymond Chandler a un jugement très sévère sur le film : « La technique oeil-de-la-caméra dans Lady in the Lake, c’est un vieux truc à Hollywood. Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scènes l’ont essayée. « Faisons de la caméra un personnage » ; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood. J’ai connu un type qui voulait que la caméra soit l’assassin ; et ça ne pourrait marcher qu’à condition de tricher énormément. La caméra est trop honnête. » Raymond Chandler dans Lettres, Ed. Christian Bourgeois ou 10/18.
(1) Le prénom de Philip Marlowe est écrit avec deux « l » dans La dame du lac (inscriptions sur la fenêtre de son bureau dont l’ombre est énorme sur le mur). Est-ce de l’humour de la part de Montgomery ou le reflet de dissensions avec Chandler ? On ne le sait. Ce qui est clairement de l’humour en revanche, c’est le nom au générique de l’actrice interprétant Chrystal Kingsby et, en plus, ce surprenant jeu de mot est en français (il faut mieux éviter de le comprendre dans le générique de début car cela déflore l’énigme).
(2) Auparavant, Robert Montgomery n’avait réalisé qu’une partie de They Were Expendable de John Ford.
(3) On pourra objecter que le problème est le même pour un roman écrit à la première personne. Ce n’est pourtant pas vraiment le cas. La matérialité de l’image engendre des mécanismes différents d’identification. Notons également que, affranchis de ce problème de divergence héros/spectateur grâce à la possibilité d’une interactivité, les jeux vidéo ont réintroduit massivement le principe de la caméra subjective.
Parmi les films qui font un usage appuyé de la caméra subjective, on peut également citer « Les passagers de la nuit » (« Dark Passage ») de Delmer Daves, sorti la même année que celui-ci. C’est seulement le premier tiers du film qui utilise le procédé, avant que le personnage de fugitif joué par Humphrey Bogart ne subisse une opération de chirurgie esthétique, après laquelle il nous apparaît avec son vrai visage. L’usage de la voix off y est plus appuyé, ce qui permet au spectateur d’identifier la voix familière de Bogart, là où « La dame du lac » encadre le récit de deux séquences où c’est Marlowe lui-même qui s’adresse directement à la caméra.
J’ai trouvé que le film de Montgomery était intéressant, mais il est dommage que toutes les séquences en extérieur (près du fameux lac), qui constituent une part significative de l’histoire, n’y figurent que rapportées par les personnages. Peut-être aurait-il été trop compliqué de tourner de longues séquences en extérieur ?
Audrey Totter : une actrice tout à fait remarquable et ravissante, j’ai adoré son film « Le Facteur sonne toujours deux fois « .
@Marceau : Oui, l’utilisation de la caméra subjective dans Dark Passage est très habile, un peu frustrante si j’ai bonne mémoire car on meurt d’envie de voir sa tête… Vous m’avez donné envie de le revoir. 😉
J’ai relu la courte nouvelle originale de Chandler juste après avoir vu le film et c’est vrai qu’il y a tout un passage qui se passe près du lac. Je ne sais si ces scènes ont été supprimées par Chandler lui-même au moment où il a transformé sa nouvelle en scénario ou par la ré-écriture faite par Steve Fisher.
Ce n’est pas certain que cela aurait plus compliqué de tourner en extérieurs, mais peut-être le résultat aurait moins intéressant car je trouve que la caméra subjective est surtout efficace dans les face à face, dans les dialogues.
@senegal : Audrey Totter est effectivement très belle dans La Dame du lac. C’est certainement le film qui la met le mieux en valeur (Dans « le Facteur… », elle n’a qu’un petit rôle)
L’affaire est dans le lac
Ce qui était inédit alors parait aujourd’hui bien conventionnel car loin d’exploiter les possibilités d’un tel stratagème, tant du scénario que de la mise en scène, le film au contraire nous frustre (hormis j’en conviens quelques moments). Du reste toutes les tentatives faites après de ci de là par ce procédé laissent toutes les mêmes sensations de films à moitié réussis, hormis sans doute un ou deux dont le passionnant Dossier 51 de Michel Deville. Merci à Lui désormais d’agrémenter ses chroniques d’une photo permettant de « visualiser » ses propos. Et justement si on observe bien celle-ci on y décèle vite un hic. Les mains qui tiennent le miroir sont censées être celles du protagoniste (Montgomery-Marlowe, c’est à dite la caméra, c’est à dire nous), elles devraient être dans le prolongement de notre corps et de notre vision, or ces mains sont à gauche de notre corps, tout comme la glace est orientée à notre gauche. et comme le personnage féminin (Qui se souvient encore d’Audrey Totter morte il y a juste un an an en décembre 2013 à 95 ans oubliée de tous?, de toute façon ce n’est pas elle la dame du lac) ne nous regarde pas dans les yeux à cet instant précis, cela amplifie cette erreur de composition d’image. Nos yeux, notre regard, ce que reflète la photo n’est absolument pas dans l’axe qui convient par rapport à ce que l’on devrait y voir. C’est un détail me direz-vous qui dans le film passe sans doute à toute vitesse mais qui sur un photogramme révèle « l’envers du miroir »
Mmh, je vous trouve un peu sévère… Que le film n’utilise pas toutes les possibilités de la caméra subjective est assez normal pour une première expérimentation.
Quant au décentrement : il est vrai que lors de (rares) scènes où l’on voit le personnage principal dans une glace, la caméra est décentrée (je pense notamment à une scène où il est face à grande glace avec Audrey Totter). En revanche, si j’ai bonne mémoire, il y a un plan du personnage seul dans sa salle de bains qui se regarde dans la glace et, là, la caméra est de face. Sinon, les regards caméra d’Audrey Totter sont innombrables dans tout le reste du film. Lors de l’entretien d’embauche au début par exemple, son regard est d’une intensité rare…
J’ai revu ce film hier et j’ai voulu relire votre commentaire où… vous citez Richard Montgomery au lieu de Robert…
Oups… Merci bien de m’avoir signalé cette erreur. C’est corrigé.