Titre original : « Tôkyô no yado »
(Film muet) Dans la banlieue industrielle de Tokyo, Kihachi erre avec ses deux jeunes enfants à la recherche d’un travail. Chaque jour, le problème de trouver un endroit pour manger et dormir se pose. Il rencontre une jeune femme et sa fille, elles aussi sans domicile… Une auberge à Tokyo est un film assez étonnant : dans le sillage des grands films réalistes du muet, notamment des films soviétiques, Ozu arrive un résultat assez similaire à ce que sera le courant du néoréalisme italien quelque dix années plus tard. Une auberge à Tokyo évoque ainsi singulièrement Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica (1948). Ozu pousse le réalisme jusque dans les détails et nous fait percevoir avec netteté et sans concession le désarroi de ce père condamné à errer avec ses deux enfants. Il parvient à nous faire sentir comment cette extrême pauvreté affecte l’homme dans l’estime qu’il s’accorde. La gravité du thème n’empêche pas Ozu de glisser un peu d’humour et de faire de très belles scènes dans les terrains vagues qui entourent les usines : celle où le père mime avec ses enfants un repas arrosé de saké, ou encore celles où l’homme et la femme regardent leurs enfants jouer. Même si la copie existante est assez abimée, l’image est assez belle et Ozu fait ici de très beaux travelings. Une auberge à Tokyo a été tourné en muet mais il a été ensuite sonorisé avec de la musique par le réalisateur.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Takeshi Sakamoto, Yoshiko Okada, Chôko Iida, Tomio Aoki
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site IMDB.
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Remarque :
Une auberge à Tokyo est l’avant-dernier film tourné par Ozu en format muet. Le dernier sera Daigaku yoitoko (Vive la fac ou Le collège est un endroit agréable) sorti en 1936.
Lorsque je l’ai vu il y a quelques années, ce film m’a frappé pour trois raisons (au moins) :
— Il montre un Japon miséreux, en crise économique, désorienté. Nous avons l’habitude en Occident de voir le Japon des années 1930 comme un pays conquérant et impérialiste (ce qu’il était certes par ailleurs) « donc » puissant, sûr de lui, industrialisé, etc. Or ce que montre Ozu (et également Miyazaki avec Le vent se lève, mais le film d’Ozu a la force supplémentaire d’être un témoignage en direct ! et non pas un retour historique) c’est un Japon sous-développé, au sens fort du terme : un pays convaincu qu’il est en retard (la notion de « sous-développement » est imbécile dans le fond mais témoigne d’un sentiment d’infériorité par rapport à une norme fantasmée), un pays complexé, un pays où sévit la misère, la faim et le déclassement social.
— Il pourrait presque être qualifié de documentaire ethnologique, tant il prend le temps non pas de dresser un tableau social démonstratif mais de suivre au quotidien quelques personnages qui permettent de toucher du doigt la réalité sociale « à hauteur humaine », incarnée, dans un format humble de témoignage sensible.
— Il arrive à dérouler une histoire riche et subtile, des personnages épais et tourmentés (mais absolument pas « démonstratifs »), malgré le choix du muet. La finesse du récit, la sobriété et la sensibilité des personnages, sont époustouflants. Et, ce qui ne gâte rien, la plupart des personnages sont dans le fond éminemment sympathiques : sur un scénario qui aurait pu donner un film sombre et pessimiste, Ozu dépeint en fin de compte des humains touchants qui essaient de faire au mieux dans un contexte social, personnel et émotionnel difficile. Le film parvient à rester lumineux malgré tout, et c’est déjà un tour de force artistique.