Saccard, directeur de la Banque Universelle, subit un revers financier important lorsque son ennemi de toujours, le banquier Gunderman, bloque une augmentation de capital d’une filiale stratégique. Il est proche de la ruine. Pour se remettre en selle, il décide de financer l’aviateur Jacques Hamelin qui projette d’aller exploiter des gisements de pétrole en Guyane… Tourné dans les toutes dernières années du cinéma muet, L’argent est une transposition moderne du roman homonyme d’Emile Zola. Marcel L’Herbier, réalisateur qui a fortement contribué à hisser le cinéma au rang d’art véritable au tout début des années vingt, réussit à mettre sur pied cette ambitieuse production dotée de larges moyens (qui seront d’ailleurs dépassés). Composant, parfois difficilement, avec un producteur pointilleux, il a fortement imprimé sa marque sur le film. L’argent est donc bien un film d’auteur.
Le plus visible de sa démarche réside dans les audacieux et inventifs mouvements de caméra. Le plus célèbre est un vertigineux traveling vertical au dessus de la Corbeille mais il y a beaucoup d’autres travelings, parfois très rapides, qui apportent beaucoup de mobilité. L’autre aspect le plus visible est l’utilisation des flous, soit pour mieux isoler un personnage, soit pour exprimer un sentiment, un état d’esprit, une situation trouble. Très étonnant. Il faut aussi remarquer le montage avec notamment des plans alternés très efficaces. Toute cette créativité pourrait sembler vaine si elle n’était au service de l’intensité du drame qui se noue devant nos yeux.
Les décors Art-Déco sont superbes. Star auréolée du succès de Metropolis, Brigitte Helm n’a qu’un second rôle, celui de l’intrigante baronne Sandorf. Lascive et féline, elle distille, dans les scènes où elle apparaît, une forte sensualité qui atteint son paroxysme dans son altercation avec Saccard (1). Pierre Alcover donne beaucoup de corps (!) à son personnage. Ce qui est étonnant à propos de Saccard, c’est l’ambivalence des sentiments qu’il nous inspire : il est à la fois odieux, calculateur, entièrement asservi par l’argent, mais il est parfois sympathique, surtout lorsqu’il laisse transparaître sa fragilité. L’autre banquier, Gundermann, est encore plus machiavélique, un personnage très réussi : froid et inexpressif, il ne cesse de caresser l’un de ses chats à longs poils.
Tourné un an avant le krach boursier de 1929, L’argent a été donc assez prophétique dans sa dénonciation du pouvoir extrême de l’argent. Il trouve d’ailleurs un nouvel écho aujourd’hui, 80 ans plus tard. L’argent eut un succès mitigé : à sa sortie, il fut mal considéré par la critique et il faut attendre les années soixante pour le voir réhabilité et remis à sa juste place, c’est à dire parmi les 5 ou 10 plus grands films du cinéma muet.
Elle:
Lui :
Acteurs: Pierre Alcover, Brigitte Helm, Marie Glory, Alfred Abel, Henry Victor, Antonin Artaud, Jules Berry
Voir la fiche du film et la filmographie de Marcel L’Herbier sur le site IMDB.
Voir les autres films de Marcel L’Herbier chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Le tout jeune et inexpérimenté Jean Dréville a tourné un film de 40 minutes sur le tournage de L’argent : Autour de L’argent. Ce petit film est passionnant, un document précieux.
* Les scènes de bourse furent réellement tournées à la Bourse (Palais Brongniart à Paris) que Marcel L’Herbier put avoir trois jours à son entière disposition pendant le week-end de l’Ascension. 2000 figurants (dont certains étaient de véritables opérateurs de bourse), une quinzaine de caméras, le réalisateur ne lésina guère sur les moyens. Le résultat est saisissant : l’effervescence de ce temple de la finance est clairement perceptible. Pour l’un des plans les plus audacieux de toute l’histoire du cinéma, L’Herbier a fait chuter une volumineuse caméra au dessus de la Corbeille depuis la coupole, soit 22 mètres en quasi-chute libre.
(1) Le film/making-of de Jean Dréville nous montre que cette scène (entrevue entre Saccard et la baronne Sandorf) fut la première à être tournée. C’est assez étonnant lorsqu’on voit l’intensité dramatique et sensuelle qu’elle atteint à l’écran.
Remake :
L’argent de Pierre Billon (1936) avec Nicolas Amato et Pierre Richard-Willm (film perdu?)