Titre original : « Ossessione »
Lui :
Trois ans avant Tay Garnett, Luchino Visconti adapte le roman de James Cain Le facteur sonne toujours deux fois. Sa version a une portée qui dépasse largement la simple adaptation d’un roman policier. Les Amants diaboliques, le premier film de Visconti, est l’un des tous premiers grands films à s’inscrire dans le courant néo-réaliste italien. L’intrigue policière est complètement transfigurée et sert de support à un drame social mettant en relief la pauvreté des campagnes italiennes. Le film fit d’ailleurs scandale : misère et chômage plus adultère ne correspondait guère à l’image que l’Italie de Mussolini voulait se donner d’elle-même. Visconti met aussi l’accent sur ses personnages : le titre original (en italien, ‘Ossessione’ signifie ‘Obsession’ dans le sens ‘hantise’) est bien plus représentatif du film que le titre français, plus racoleur Les Amants diaboliques. Gino, son personnage principal, est rongé par le remords. Enfin, il faut remarquer la façon dont Visconti utilise la caméra, une façon très libre, à l’opposé de tout académisme, une façon très novatrice par les mouvements, la profondeur de champ. S’il s’agissait de son premier film, Visconti ne découvrait pas le cinéma : il avait été auparavant l’assistant de Renoir qui l’a influencé, au même titre que Carné ou Duvivier. Les Amants diaboliques est donc une date dans le cinéma italien mais c’est aussi (et surtout) un film tragique, très fort, sombre et fataliste.
Note :
Acteurs: Clara Calamai, Massimo Girotti, Juan de Landa, Elio Marcuzzo
Voir la fiche du film et la filmographie de Luchino Visconti sur le site IMDB.
Voir les autres films de Luchino Visconti chroniqués sur ce blog…
Le roman de James Cain a été porté 4 fois à l’écran :
Le dernier tournant de Pierre Chenal (1939) avec Michel Simon et Fernand Gravey
Ossessione (Les amants diaboliques) de Visconti en 1943.
The postman always ring twice (Le facteur sonne toujours deux fois) célèbre film noir de Tay Garnett (1946) avec le couple Lana Turner / John Garfield,
The postman always ring twice (Le facteur sonne toujours deux fois) de Bob Rafelson en 1981, version plus racoleuse avec Jessica Lange et Jack Nicholson.
En outre, Chair de Poule de Julien Duvivier (1963) avec Robert Hossein et Catherine Rouvel présente de grandes analogies avec le roman de James Cain.
De multiples versions cinématographiques ont été tirées du livre de James Cain. La plus belle à mon sens est celle de Tay Garnett. Mais elles sont presque toutes intéressantes. La plus faible étant celle de Rafelson. C’est dur pour Nicholson de vouloir remplacer John Garfield. celle de VIsconti est très bien aussi, mais elle a le défaut, si je puis dire, d’être trop italienne par rapport au bouquin.
« Chair de poule » de Chase (probable couverture de G. Greene) a été attaqué en justice comme plagiat du livre de Cain. Mais le film de Duvivier est aussi excellent.
Une braise nommée érotisme et sensualité se consume à l’intérieur de volets clos pendant qu’un mari abject est à la pèche ou à la ville. Un couple formaté par les sens s’adonne au plaisir afin d’oublier la conquête des êtres et des choses par une misère déchaînée.
Dans de telles conditions, il ne reste plus qu’une perversité libérée, consommatrices de Baisers volés, de corps caressés des qu’un vieux mari se retourne ou s’éloigne. Giovanna est sensuelle, voluptueuse, facile à cueillir. Gino se la joue par un esthétisme primaire mais efficace en offrant dans l’embrasure des portes une sueur collée sur un linge de corps plus qu’éprouvé.
Le processus est simple mais fonctionne à merveille, une adepte du Bovarisme éveillé par des sens toujours en embuscades se donne dans l’espoir d’un ailleurs sentimental non sollicité par un captif de la route. La chair s’affole sans sommations, encense un principe privé de conscience. Les amants se donnent prioritairement en activant de faibles projets d’évasions ne menant nille part.
Les corps et les esprits sont sordides, minés par la crasse, les avenirs sont petits véhiculés vers les métiers de rues par le camion happé ou le train sans billet. Les parcours royaux sont introuvables par contre les contraintes existentielles pullulent.
Luchino Visconti filme le dénudé avec comme toile de fond la merveilleuse luminosité d’une campagne italienne portant un même nom. La nature est l’homme font un bout de chemin ensemble dans l’histoire par l’intermédiaire de la misère qu’un paysage parfois presque lunairereflète par sa désolation.
Le néo réalisme arrive à grandes enjambées en offrant dans cette œuvre sociale misères, érotismes et passions consommant goulûment motivations et déterminations à s’en sortir avec en bout de course une destinée tragique crée uniquement par la dominance d’un remord.
J’ai vu il y a peu « Chair de Poule » de Duvivier. C’est excellent. Un film noir maîtrisé et prenant. Bref: un film à ré-évaluer.
Rétrospectivement, peut-être le meilleur film de Visconti, avec une Clara Calamaï, époustouflante de sensualité !
Seconde tournée du facteur!
La somptueuse rétrospective Visconti qu’offre actuellement la Cinémathèque s’ouvre avec le premier film du cinéaste au titre pouvant s’appliquer à l’oeuvre entière: OSSESSIONE qui est aussi – l’histoire du cinéma l’a classé ainsi – le premier film d’un nouveau genre qui allait donner le courant du célèbre néo réalisme italien (Rome ville ouverte de Rossellini en 45). C’est le monteur du film Mario Serandrei qui le qualifia ainsi devant certaines séquences qu’il montait la nuit à Rome tandis que Visconti tournait en journée les extérieurs (le film est tourné pour les trois quarts hors studios). Pour la première fois on s’intéressait à travers un drame noir au sous prolétariat, ici celui de la vallée du Pô. On y voyait traités tels qu’il se présentaient, le chômage, la pauvreté et la misère, l’adultère, le climat policier fasciste de l’époque, la prostitution occasionnelle, l’homosexualité latente, le crime passionnel, c’était beaucoup d’un coup et c’était à coup sur une oeuvre de rupture avec le cinéma qui se faisait alors! Le film fut censuré par les autorités fascistes (destruction des négatifs) mais Visconti pu sauvegarder une copie.Comment, aux yeux du pouvoir, pouvait on monter pareille image de l’Italie!
Soit donc deux laissés pour compte de la société : Gino chômeur et vagabond des routes (Massimo Girotti, faux air de Brando, même tee-shirt déchiré sur torse en sueur avant le Tramway de Williams (que Visconti, grand homme de théâtre, montera sur scène quelques années après), et Giovanna, femme du peuple, épouse mal mariée, patron d’un café station service pouilleux perdu sur le bord de la route qui longe le Pô (Clara Calamai, vedette populaire de l’époque, ici à contre emploi. Elle avait montré ses seins dans un film oublié qu’à l’époque toute l’Italie avait couru voir). La trame est policière (c’est la seconde adaptation du célèbre Facteur sonne toujours deux fois de James Cain non publié en italien pas plus qu’en français à l’époque et dont Visconti n’avait pas les droits (d’où le changement de titre); c’est Jean Renoir qui lui en aurait donné une traduction française. Mais ce n’est pas cela qui ressort du film – Visconti ne montre même pas le meurtre perpétré par les deux amants « diaboliques » envers le mari, c’est l’énorme dimension sociale que dégage l’ensemble qui en fait une oeuvre vraiment originale pour l’époque. La direction d’acteurs est prometteuse et certains mouvements de caméra remarquables. L’étirement du temps (2h20) confirme cette poisse noire du destin jusqu’à l’obsession du titre original dans les séquences sans dialogue entre les amants.
Le film n’est sorti en France qu’en octobre 1959 sans doute à cause du seul négatif restant et aux USA en octobre 1976!
C’était en tout cas un départ très fort que la suite allait confirmer