Pour les soixante ans du père, famille et amis sont réunis dans le manoir familial. Christian, le fils aîné, est invité à porter un toast au début du dîner. Il a préparé deux enveloppes contenant deux discours. Personne ne se doute alors que l’un des deux lèvera le voile sur des années de mensonge et un terrible secret…
Festen (Fête de famille) est un film danois co-écrit et réalisé par Thomas Vinterberg qui signe à 29 ans son deuxième long métrage. Le film fut un grand choc à sa sortie, d’une part du fait de sa puissance et parce c’était le premier film réalisé selon les principes du Dogme95, mouvement lancé par Vinterberg (26 ans) et Lars von Trier (39 ans) prônant une grande austérité dans la réalisation (1). Le film fit, et fait toujours, l’effet d’un coup de poing : la tension y est très forte et les personnages lancent leurs sentiments comme des uppercuts. Sur le fond, Festen illustre la question de la libération de la parole dans les cas d’abus sexuels : celui qui veut parler doit affronter l’hostilité de tous et le chemin vers la vérité est difficile, même dangereux. D’autres mini-intrigues sont lancées mais elles ne sont là que pour donner de l’épaisseur aux personnages. Le film a donné lieu à d’autres interprétations plus symboliques (pourquoi pas mais, personnellement, je ne suis pas convaincu par ces analyses). La forme dérange dans les premières minutes (caméra à l’épaule, image très granuleuse, manque d’éclairage) mais le contenu est suffisamment fort pour faire oublier ces « défauts » volontaires qui contribuent d’ailleurs à nous faire « vivre » la situation avec les personnages. Il est tentant de s’interroger sur le rôle de la forme, donc des principes du Dogme, dans la puissance du résultat. Il serait séduisant de lui donner un grand rôle mais force est de constater avec le recul que Festen est la plus grande réussite du Dogme.
Elle:
Lui :
Acteurs: Ulrich Thomsen, Henning Moritzen, Thomas Bo Larsen, Paprika Steen
Voir la fiche du film et la filmographie de Thomas Vinterberg sur le site IMDB.
Voir les autres films de Thomas Vinterberg chroniqués sur ce blog…
Remarque :
• Thomas Vinterberg fait une apparition : c’est le jeune chauffeur de taxi qui apporte le fiancé de la soeur de Christian.
Henning Moritzen (le père) dans Festen de Thomas Vinterberg.
Ulrich Thomsen (le fils) dans Festen de Thomas Vinterberg.
Dogme95 :
En 1995, Thomas Vinterberg forme le mouvement intitulé Dogme95 en compagnie de Lars von Trier, Kristian Levring, et Søren Kragh-Jacobsen. Festen est le premier à sortir en 1998 suivi rapidement de Les Idiots de Lars von Trier. Les films sont numérotés : il y en a 50. Festen est de loin le plus célèbre. Tous ne sont pas danois. En France, Jean-Marc Barr en a réalisé un (Lovers en 1999). En 2005, Lars von Trier et Thomas Vinterberg ont déclaré la fin du mouvement.
La déclaration fondatrice de Dogme95 :
Voeu de chasteté :
Je jure de me soumettre aux règles qui suivent telles qu’édictées et approuvées par Dogme 95.
1. Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être apportés (si l’on a besoin d’un accessoire particulier pour l’histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent).
2. Le son ne doit jamais être réalisé à part des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée à moins qu’elle ne soit jouée pendant que la scène est filmée).
3. La caméra doit être portée à la main. Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé. (Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra se trouve ; le tournage doit se faire là où le film se déroule).
4. Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial n’est pas acceptable. (S’il n’y a pas assez de lumière, la scène doit être coupée, ou une simple lampe attachée à la caméra).
5. Tout traitement optique ou filtre est interdit.
6. Le film ne doit pas contenir d’action de façon superficielle. (Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).
7. Les détournements temporels et géographiques sont interdits. (C’est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).
8. Les films de genre ne sont pas acceptables.
9. Le format de la pellicule doit être le format académique 35mm.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.
De plus, je jure en tant que réalisateur de m’abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m’abstenir de créer une « œuvre », car je vois l’instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de faire sortir la vérité de mes personnages et de mes scènes. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de mon bon goût et de toute considération esthétique.
Et ainsi je fais mon Vœu de Chasteté.
Copenhague, Lundi 13 mars 1995
Au nom du Dogme 95
Lars Von Trier, Thomas Vinterberg
A noter que Festen ne respecte pas la règle n°9, puisqu’il a été tourné en vidéo.
Pouvez-vous nous parler de ces interprétations symboliques, Cher Films ?
La page Wikipedia en rapporte déja deux:
« La symbolique de l’eau le révèle d’ailleurs. C’est l’eau du bain des viols, du bain au fond de la surface duquel Pia s’abandonne naïvement, et qui se trouble brusquement. Il faut que le rideau de douche se dérobe pour dévoiler la violence souterraine de la famille, lorsque Michael chute piteusement. » (source non indiquée)
« On peut aussi déceler dans le film une relecture du mythe d’Œdipe. Thématiquement, d’une part : inceste tu, complicité maternelle (comme Jocaste dans la version de Cocteau, la Machine infernale), meurtre du père (qui déclare à son fils « Tu me tues ! » et qui est symboliquement destitué à la fin du film), figure ambivalente de l’étranger héroïque qui rentre au pays (Christian a un restaurant à Paris). » (source: Maxime Abolgassemi, professeur et écrivain)
Plus amusant, trouvé sur le net :
https://www.rayonvertcinema.org/festen-thomas-vinterberg/ où l’auteur met en avant quelques scènes étranges (recherche de la lettre, présence dans la forêt la nuit, …) pour avancer que Festen pourrait être un « film de fantômes ». J’ai trouvé son argumentaire intéressant car il tire un fil qui dépasse et fabrique toute une interprétation (qui tient la route, même si je ne suis pas certain que lui-même la prenne au sérieux).
Dans le cas de la scène de la forêt (le fils est attaché à un arbre et semble percevoir une présence… quelques secondes plus tard, il est libre), je pense que le réalisateur a effectivement voulu introduire une ambiguïté, laisser une porte entrouverte. Mais de là à interpréter tout le film…
Il me semble avoir vu une ou deux autres interprétations…
Outch. En dehors de la suggestion déroutante mais intéressante d’y voir un possible « film de fantômes », les symboles évoqués ici sont quand même assez pathétiques.
L’eau ? Y’a de l’eau dans le film. OK. Et ? Et quoi ? Gros soupir.
Si la présence de quelques scènes avec de l’eau en fait un symbole, alors plus de la moitié des films sont des films symboliques sur l’eau. C’est du plus haut grotesque : ce genre de scène est présente dans quasiment tous les films, puisque l’eau est présente partout. Pour que ce soit un symbole (et il y a des films où c’est le cas, bien sûr), il faut que l’eau soit non seulement déclinée dans des fonctions sociales et narratives, mais en outre que les différentes scènes concernées construise un sens autour de l’eau : l’eau doit représenter par elle-même quelque chose d’autre que ce qui est montré et dit dans l’œuvre. Strictement rien de tel ici, et ce n’est pas à l’honneur de Wikipédia de laisser ce paragraphe digne d’une élucubration d’ivrogne de comptoir.
Quant au mythe d’Œdipe. Re-ouch. Gros, gros soupir. Vraiment ça fait hurler toute personne ayant un peu de bagage en sciences sociales.
D’abord, principe anthropologique élémentaire (mais vraiment élémentaire !) : quand un fait social ou une situation est banal(e), il ou elle n’apporte pas de signification sociale. Nada. Seul ce qui est « atypique » ou « rare » apporte une information. Le personnage de l’étranger héroïque qui rentre au pays, dans l’acception très large et élastique qui permet à Abolgassemi d’utiliser cette formule ici, est (presque autant que l’eau) présent dans… allez, disons un quart des récits de fiction. Sous cette forme élastique, c’est juste un élément de lexique narratif banal donc ne portant en lui-même aucune signification. Lorsqu’il en porte une, c’est soit par le rôle que joue ce personnage dans la narration (= que son statut d’émigré revenu au pays apporte une dimension spécifique à ses actes, liée à ce statut), soit en relation avec un bloc de faits sociologiques ou mythologiques concordants et cumulatifs.
La question est donc : y a-t-il, en dehors de ça, des éléments forts et concordants qui renvoient au mythe d’Œdipe ? Et là… Vraiment « outch ». Dire « il y a inceste donc il y a Œdipe » est une insulte à la mythologie et à la rigueur en sciences sociales. Car par définition, Œdipe renvoie à un inceste du fils avec sa mère. Donc là, je hurle. L’anthropologue en moi se roule par terre.
Parler d’Œdipe simplement parce qu’il y a inceste, c’est… mais enfin !, c’est vraiment une insulte aux sciences sociales. Abolgassemi est peut-être diplomé en lettres modernes, mais il montre ici qu’il n’a strictement aucune compétence en sociologie, en psychologie ou en anthropologie des mythes (ni même en psychanalyse : même cette discipline obsédée par Œdipe ne sort pas des inversions logiques aussi énormes que celle dont Abolgassemi est ici l’auteur).
La présence d’inceste ne signifie absolument aucunement qu’il soit question d’Œdipe. D’une part quand c’est un inceste père-fils, ouste, Œdipe est à l’autre bout du monde, nada, on oublie : ça n’a rien à voir. D’autre part quand c’est un viol incestueux ce n’est pas un Œdipe. Jamais. Dès qu’il y a viol de parent sur enfant, invoquer Œdipe est grossier, violent à l’égard des victimes, une abdication de l’intelligence. Insoutenable de bêtise, d’inculture et d’absence de compréhension de ce qu’est un viol.
Bref, je rejoins totalement « Lui » : ces deux prétendues interprétations symboliques sont des délires d’adolescent dont de tels propos, dans une copie de philo ou d’analyse littéraire de lycée, vaudrait une note en dessous de la moyenne. Nul symbole ici, et nulle « interprétation » dans les fantasmes hors-sols de ceux qui ont prétendu les déceler.
Encore une fois, la piste d’un deuxième niveau de lecture en film de fantôme est plus sérieuse. Je ne vois pas vraiment ce qu’elle apporte (le niveau de lecture de départ est en lui-même largement suffisant) et, plus gênant, cela me semblerait contradictoire avec les principes-mêmes du Dogme. Mais au moins ça peut être argumenté.