Titre original : « A Woman of Paris: A Drama of Fate »
Dans un petit village de France, Marie Saint-Clair désire fuir un père tyrannique pour se rendre à Paris avec Jean, son fiancé. Ce dernier lui ayant fait faux bond, c’est seule qu’elle doit se chercher une nouvelle vie. Un an plus tard, elle mène une vie de courtisane mondaine…
Aspirant à plus de liberté créative que ne lui offrait son personnage de vagabond, Charles Chaplin écrit et réalise L’Opinion publique, son deuxième long métrage, un film assez atypique dans sa filmographie. C’est un film dramatique, dans lequel il n’apparait pas (1)(2), sans ressort comique (3). Il a tourné cette histoire de triangle amoureux quasi tchékhovien sans scénario formel et sa mise en scène est à la fois sobre, d’une simplicité limpide et assez moderne dans son approche. Le film est remarquable d’équilibre, l’intensité dramatique est forte, sans effet trop appuyé et surtout bien contrebalancée par la folle insouciance des personnages. Premier film de Chaplin pour les Artistes Associés dont il est l’un des quatre fondateurs, L’opinion publique fut un échec commercial, le public n’acceptant ce changement de registre et son absence à l’écran. Chaplin était en quelque sorte prisonnier de son personnage. Il ne renouvellera pas l’expérience. (film muet)
Elle:
Lui :
Acteurs: Edna Purviance, Carl Miller, Adolphe Menjou
Voir la fiche du film et la filmographie de Charles Chaplin sur le site IMDB.
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Remarques :
* Le premier titre prévu pour le film était Destiny, puis Public Opinion ce qui explique le titre français.
* Le film avait une préface qui éclaire bien la vision de Chaplin :
« L’humanité est composée, non de héros et de traitres, mais simplement d’hommes et de femmes. Et les passions qui les agitent, bonnes ou mauvaises, c’est la nature qui les leur a données. Ils errent dans l’aveuglement. L’ignorant condamne leurs fautes, le sage les prend en pitié. »
A propos de cette dernière phrase, on pourra remarquer que tout jugement moral est effectivement absent du film.
* La scène qui fut la plus remarquée est celle de l’arrivée du train en gare : le train n’apparait pas à l’image, nous ne voyons que les lumières des wagons (c’est un train de nuit) qui se déplacent sur le mur de la gare alors que la caméra reste centrée sur Edna Purviance qui s’apprête à monter dans le train. Cette façon de placer l’action hors champ était inhabituelle dans le cinéma de l’époque (et rappelons qu’il n’y a pas de bruitages de train non plus puisqu’il s’agit d’un film muet).
* Deux fins ont été tournées : celle que l’on connait (le croisement anonyme) destinée au public américain et une autre, moins morale, pour le public européen : Marie revient vers Pierre après le suicide de Jean.
* Dans l’esprit de Chaplin, A Woman of Paris devait donner un nouvel élan à la carrière d’Edna Purviance en lui ouvrant la possibilité de rôles dramatiques car lui-même ne désirait plus la faire apparaitre dans ses films. Ce ne fut pas le cas mais Chaplin ne l’abandonna pas pour autant car il continua à donner un salaire à l’actrice jusqu’à la fin de ses jours.
* En revanche, le film fut un tremplin pour la carrière d’Adolphe Menjou (américain de naissance, français par son père et irlandais par sa mère) et il continuera à exceller dans ces rôles de playboy mondain, hédoniste et jouisseur.
(1) En réalité, Chaplin apparaît à l’écran quelques secondes en porteur à la gare mais il est impossible de le reconnaitre.
(2) Il faudra attendre 1967 et La Comtesse de Hong Kong, son dernier film, pour voir un autre film de Chaplin dans lequel il ne joue pas.
(3) Au registre de l’humour, il faut quand même citer la scène où la femme jette son collier par la fenêtre pour montrer son détachement des choses matérielles à son amant… avant de se précipiter dans la rue pour l’arracher des mains d’un vagabond qui venait de le ramasser. Et, touche sublime, après quelques pas, elle fait demi-tour et revient donner une pièce au vagabond.
Carl Miller et Edna Purviance dans L’Opinion publique (A Woman of Paris: A Drama of Fate) de Charles Chaplin.
CHAPLIN sans CHARLOT
Je viens de découvrir – il n’est jamais trop tard – ce très vieux film lorsque Chaplin – plus connu sous le nom de Charlot – avait 33 ans. Il s’ouvre par un carton à son générique sur lequel l’auteur, voulant lever un malentendu auprès du public qui se trouve dans la salle – tient à préciser qu’il n’y joue pas car il s’agit là d’un « drame sérieux ». Etonnant, non! Effectivement, le public, qui se ruait en masse aux films de Charlot sans prêter trop attention au nom de celui qui les réalisait (le film précédent – Le Kid – fut un succès mondial pour le personnage de Charlot), ne vint pas à ce dérangeant rendez-vous, le film fut un fiasco public, et Chaplin retourna l’année suivante à Charlot (La ruée vers l’or) et L’Opinion publique resta un ovni rangé dans les placards
Qu’est-ce qui fait qu’un cinéaste bifurque du chemin habituel tout tracé, du succès, de la célébrité? Principalement sans doute l’envie, le besoin de s’affranchir de ce qui est devenu une grande machine à rendement (être sous contrats drastiques dans les studios), d’être déconsidéré, rabaissé par ces mêmes producteurs faisant la pluie et le beau temps qui considèrent selon leurs critères incertains que le comique, le film de gags et les gagmen qui les interprètent ou les réalisent forment une sous-catégorie, un genre mineur (voir de récents échos avec nos temps modernes à nous). Face à cela le désir ambitieux d’un auteur (Chaplin est l’auteur de ses scénarios), devenant producteur et distributeur, d’être considéré à l’égal d’un Griffith, donc en abandonnant le genre comique (qui ne fait pas sérieux) par lequel il est devenu célèbre et immédiatement identifiable, et en s’effaçant de l’écran.
Pendant le long tournage sur une dizaine de mois, les frasques privées de Chaplin avec Pola Négri ont alimenté les gazettes : fiançailles, brouilles, réconciliations, rupture, comme un double miroir avec le récit du film, comme si l’auteur ne jouant pas à l’intérieur de son film le jouait à l’extérieur
Le film, censé se passer à Paris et non à New-York ou Londres, pour une raison de moeurs libres, est noir et cynique, mélodrame du désespoir amoureux. On y lit clairement dans le montage de plans tous fixes la ville tentatrice et corruptrice et le pouvoir malfaisant de l’argent. Si l’interprétation de ce portrait de femme (A woman of Paris) destiné à offrir à Edna Purviance (ancienne liaison de CC, égérie d’une trentaine de ses courts métrages, première et dernière fois en rôle vedette) reste assez convenue, ne parlons même pas du jeune premier, on retient surtout l’excellent jeu d’Adolphe Menjou et l’audace des ellipses narratives, marques de Chaplin réalisateur. Dans ce film muet surchargé de musique – composée bien plus tard par Chaplin – il y a ce moment soudain de l’unique son produit par un coup de feu tiré hors champ
Hors champ comme Chaplin Charlot