Après un mauvais coup qui a visiblement mal tourné, deux gangsters blessés arrivent dans un château anglais isolé habité par un quadragénaire qui a tout abandonné pour vivre avec sa très jeune épouse. Le plus valide des deux gangsters n’a aucun mal à prendre le dessus sur eux… Cul-de-sac, le film de Roman Polanski, est beaucoup de choses à la fois : c’est indéniablement une tragédie puisque l’irruption d’un élément étranger, rustre et brutal, va provoquer une grave et profonde crise dans ce couple mal assorti. C’est tout aussi indéniablement une comédie car, de l’humour, le film en regorge, un humour noir, un humour qui peut faire grincer des dents sans doute mais qui fonctionne parfaitement. C’est également un film de suspense et de tension, Cul de Sac est l’un des plus beaux huis clos (en plein air) qui soient. Polanski mêle tous ces éléments avec habilité mais, si le film a tant marqué les esprits, c’est surtout pour son inventivité et sa grande liberté de ton, notamment dans la description des rapports à l’intérieur du couple : si l’homme fait preuve de tant de lâcheté face au gangster, c’est aussi parce qu’il est dans une impasse face à sa femme, il sent qu’en seulement dix mois, elle se détache de lui, il est prêt à tout accepter pour la garder et il reproduit ce comportement masochiste sur le truand qui s’impose, lui non par le charme, mais par la force. Il a déjà dépassé le point de non retour et le cul-de-sac n’est pas seulement celui du château isolé sur son île, c’est aussi le cul-de-sac émotionnel de l’homme. L’irruption du gangster n’est qu’un révélateur, d’ailleurs lui aussi se fera manipuler par la femme qui est le véritable personnage fort de cette histoire. Polanski fait une description sans fard de cette relation et, comme souvent avec lui, il y a quelque chose de troublant dans son propos qui nous renvoie sur nous-mêmes.
Elle:
Lui :
Acteurs: Donald Pleasence, Françoise Dorléac, Lionel Stander, Jack MacGowran, Jacqueline Bisset
Voir la fiche du film et la filmographie de Roman Polanski sur le site IMDB.
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Remarques :
* L’affiche américaine de Cul-de-sac portait le slogan « Parfois, on ne peut plus rien faire d’autre qu’en rire », une mise en garde qui traduit probablement l’embarras des distributeurs américains du film. L’accueil fut effectivement très mauvais, la critique assassinant le film, le jugeant malsain. Le film fut retiré très rapidement des écrans. Le film fut heureusement mieux reçu en Europe.
* Cul-de-sac a été tourné entièrement sur Holy Island, une petite île située tout au nord de l’Angleterre (juste sous la frontière avec l’Ecosse), sur la côte est. L’île n’est toujours accessible que par une route submergée à marée haute. Elle porte un petit village de 160 habitants, les ruines d’un monastère du VIIe siècle et… le haut perché Lindisfarne Castle où le film a été tourné.
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Voir photos du Lindisfarne Castle …
Petite note : le groupe de folk Lindisfarne a choisi son nom d’après ce même château.
Magnifique film ! C’est mon préféré de Polanski. Pour tempérer le jugement que l’on peut porter sur la réaction des américains face au film (et ne pas faire de l’anti-américanisme primaire), il faut garder à l’esprit que le film est sorti en 1966, une époque où l’on n’était pas prêt à accepter une grande liberté de ton !!
A propos de l’accueil réservé au film aux Etats-Unis :
Tout d’abord, il semble que ce soit la presse qui ait assassiné le film et non le public puisque le film a apparemment été retiré des écrans new yorkais après seulement quelques jours. Maintenant il est vrai (et ce n’est pas faire de l’anti américanisme que d’observer les différences) que le public américain semble souvent préférer les situations nettes (surtout à l’époque comme vous le soulignez). Polanski, lui, cultive l’ambiguïté, toujours sur la limite, ses personnages ne sont pas franchement mauvais ni franchement bons : ils sont humains, c’est tout, victimes d’une situation qui a dérivé en dehors de leur contrôle (je parle du mariage pas de l’irruption du malfrat). C’est une situation qui pourrait arriver à nous tous. Et c’est cela qui peut déranger…
J’ai vu dans Cul-de-sac plusieurs clins d’oeil à Hitchcock, surtout aux Oiseaux sorti 3 ans avant: la géographie du lieu, cette île isolée qu’on atteint en bateau et plus difficilement en voiture; les volatiles omniprésents, menaçants, une mouette attaque même le bandit au début. Par contre, si comme Hitch, Polanski joue avec les nerfs du spectateur en amenant une tension, c’est d’une autre manière, sans suspense, on sait que George ne se défendra pas, même quand une occasion facile se présente (séance de rasage par ex).
Un de mes meilleurs films que j’ai pu voir en ce moment, merci,
je donne une note de 8,5/10.