31 janvier 2010

Ange (1937) de Ernst Lubitsch

Titre original : « Angel »

AngeLui :
Sans dévoiler son identité, la femme d’un diplomate anglais fait la rencontre à Paris d’un homme qui tombe amoureux d’elle. Il fait tout pour la retrouver. Angel repose donc sur un classique triangle amoureux mais le ton de Lubitsch est cette fois beaucoup plus grave, sans les grands traits d’humour dans les dialogues ni le rythme très vif qui lui sont coutumiers. L’approche est ici plus subtile, mesurée, tout en retenue. Même s’il semble que Lubitsch n’ait pu parvenir au résultat qu’il souhaitait du fait de dissensions sur le tournage (1), il est tout de même probable que cette approche soit volontaire de sa part. Angel prit tout le monde à contre-pied et même l’incroyable robe toute incrustée de diamants de Marlene Dietrich ne put empêcher le film d’être un échec retentissant. La carrière de Marlene fut sérieusement ébranlée (2). Vu avec le recul, c’est un film qui ne manque pas de charme, il juste savoir qu’il est différent des autres films de Lubitsch, moins spectaculaire certes, mais empreint d’une certaine douceur subtile.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Marlene Dietrich, Herbert Marshall, Melvyn Douglas, Edward Everett Horton, Ernest Cossart
Voir la fiche du film et la filmographie de Ernst Lubitsch sur le site IMDB.

Voir les autres films de Ernst Lubitsch chroniqués sur ce blog…

(1) D’après le livre de sa fille Maria Riva, Marlene Dietrich n’avait dès le départ aucune envie de tourner pour Lubitsch. A la fin du tournage, le réalisateur et l’actrice ne s’adressaient même plus la parole…
(2) En 1938, un sondage auprès des exploitants de salles de cinéma donnait la liste des « épouvantails du Box Office » (Box Office poison). Figuraient en tête de liste Joan Crawford, Bette Davis, Marlene Dietrich, Greta Garbo et Katharine Hepburn. Cette liste fait bien entendu sourire aujourd’hui car c’est pratiquement la liste des cinq plus grandes actrices hollywoodiennes des années trente…
Paramount fit savoir à Marlene Dietrich que son contrat ne serait pas renouvelé. Dépitée, Marlene quitta Hollywood pour plus d’un an.

Homonymes :
Angel de François Ozon (2007) avec Romola Garai et Sam Neill

29 janvier 2010

Panique à l’hôtel (1938) de William A. Seiter

Titre original : « Room Service »

Room ServiceElle :
(pas vu)

Lui :
Au départ, Room Service était une pièce à (très grand) succès jouée à Broadway. La RKO venait d’en acheter les droits pour une somme plutôt substantielle. Les Marx Brothers, vexés de voir la MGM traîner les pieds pour renouveler leur contrat, acceptèrent le scénario. Ce fut d’ailleurs la première fois où ils jouaient une comédie qu’ils n’avaient pas eux-mêmes écrite. Le résultat est bien décevant. Affublé d’un réalisateur sans imagination (du moins sur ce film, William Seiter est tout de même un ancien de l’équipe Max Sennett), l’ensemble est horriblement statique : 95% du film se déroule dans la même pièce (le film est déconseillé aux claustrophobes). Même si l’on peut être indulgent et se forcer à trouver quelques scènes vraiment amusantes (comme le repas express où Harpo montre qu’il a un sacré coup de fourchette…), il faut bien reconnaître que Panique à l’hôtel est assez poussif, en tout cas bien en dessous du niveau habituel des Marx Brothers. Le fait qu’ils n’aient pas écrit les dialogues nous prive de tous les mots d’esprit habituels…
Note : 2 étoiles

Acteurs: Groucho Marx, Chico Marx, Harpo Marx, Lucille Ball, Ann Miller, Frank Albertson, Donald MacBride
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Remarques :
1) Panique à l’hôtel, le film, n’eut que peu de succès. Pour amortir ses frais, la RKO réutilisera ses droits d’adaptation pour produire Step Lively de Tim Whelan (1944), une comédie musicale avec Frank Sinatra.
2) C’est le premier film depuis La Soupe aux canards sans les traditionnels morceaux de piano et de harpe.
3) Ce fut le seul film des Marx Brothers à la RKO. Le contrat avec la MGM fut finalement prolongé. Louis B. Mayer (patron de la MGM) haïssait les Marx Brothers, c’est Irving Thalberg (décédé en 1936) qui les avait fait entrer à la MGM et les deux hommes ne s’aimaient guère.

6 janvier 2010

Le passeport jaune (1931) de Raoul Walsh

Titre original : « The yellow ticket »

Le passeport jauneLui :
Dans la Russie tsariste de 1913, une jeune juive tente de rendre visite à son père emprisonné. Elle obtient le passeport jaune des prostituées afin de pouvoir circuler librement. Dans un train, elle rencontre un jeune journaliste anglais… Le passeport jaune est un film assez étonnant car, consciemment ou pas, Raoul Walsh justifie la révolution bolchevique en montrant l’arbitraire de la police des tsars, magnifiquement personnifiée par Lionel Barrymore en commandant fourbe et impitoyable. Le film repose beaucoup sur le charme d’Elissa Landi, actrice italienne qui fit une courte carrière à Hollywood. Laurence Olivier est ici dans un des ses tous premiers rôles au cinéma, en jeune premier un peu fade. Le passeport jaune repose sur une bonne intrigue que Raoul Walsh filme fort joliment avec des mouvements de caméra assez amples. Sans égaler les meilleurs du réalisateur, le film se regarde sans déplaisir. Il possède en outre ce petit charme des films d’avant l’instauration du Code Hays (code moral hollywoodien).
Note : 3 étoiles

Acteurs: Elissa Landi, Lionel Barrymore, Laurence Olivier
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Précédentes adaptations de la pièce de l’anglais Michael Morton :
The yellow passport de Edwin August (1916), film rare (longueur inconnue)
Zemlya v plenu du russe Fyodor Otsep (1928)

Remarque :
Raoul Walsh a réutilisé certains plans de son film muet The Red Dance de 1928.

18 décembre 2009

Les temps modernes (1936) de Charles Chaplin

Titre original : « Modern times »

Les temps modernesLui :
Plusieurs années après la généralisation du cinéma parlant, Charles Chaplin a la volonté et le courage de sortir un film muet (toutefois sonore, avec quelques voix off). Le but recherché était de faire un film universel qui soit compris par tous. Les Temps Modernes est un film très fortement ancré dans son époque, celle de la crise économique et de la mécanisation du travail à la chaîne. Sa portée aurait pu être limitée dans le temps, et pourtant il a non seulement traversé le temps mais il a pris beaucoup plus de force avec les années :  encore aujourd’hui, les images-symboles des Temps Modernes sont couramment utilisées pour illustrer des propos ou des articles sur la déshumanisation du travail et de la société. Car le fond du propos de Chaplin est bien une fois de plus sur la dignité de l’homme, l’homme qui est ici, soit broyé par des intérêts supérieurs, soit injustement condamné sur des apparences. Il mêle tout cela avec un humour omniprésent, on ne compte pas les scènes qui sont mémorables sur ce point : la machine à manger, la folie du serrage de boulons, le repas à la prison, le patin à roulettes dans le grand magasin et surtout la chanson dans le cabaret où Chaplin nous fait un numéro absolument hilarant. En fin de compte, avec Les Temps Modernes, Chaplin a bien atteint l’universalité qu’il visait.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Charles Chaplin, Paulette Goddard, Henry Bergman, Allan Garcia
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Remarques :
1) Pour la scène de l’usine, Chaplin s’est sans aucun doute inspiré d’un film de René Clair, A nous la liberté (1932), qui comportait une scène très amusante et assez similaire sur le travail à la chaîne.
2) A sa sortie, Les Temps Modernes n’eut pas le succès espéré aux Etats-Unis où Chaplin fut parfois accusé de flirter d’un peu trop près avec le communisme. Le film fut interdit en Allemagne et en Italie. Il reçut un bon accueil à Paris et à Londres. En revanche, lorsqu’il ressortît à la fin des années cinquante, il fut unanimement plébiscité.
3) Le numéro chanté dans le cabaret fut la première fois où l’on a entendu la voix de Chaplin (rappelons que la voix off sur La Ruée vers l’Or ne fut enregistrée qu’en 1942). Cette chanson était une sorte de sabir composé de plusieurs langues. C’est la raison pour laquelle on reconnaît certains mots français autant que l’on reconnaît des mots anglais et sans doute d’autres langues.

10 décembre 2009

Les lumières de la ville (1931) de Charles Chaplin

Titre original : City lights

Les lumières de la villeElle :
Très grand film de Charlie Chaplin où le rire se mêle à l’émotion la plus forte. Un film qui nous bouleverse toujours autant à chaque vision. Un chef d’oeuvre du cinéma muet.
Note : 5 étoiles

Lui :
A partir de fin 1927, le cinéma parlant s’impose très rapidement. En 1931, toute l’industrie cinématographique s’est convertie au parlant. Toute ? non… Un réalisateur résiste et sort un film muet, persuadé (à juste titre) que c’est le meilleur médium pour son personnage. Il sonorise tout de même son film avec quelques bruitages et une musique qu’il a lui-même composée. Seul Charles Chaplin pouvait se permettre cela et il avait raison car Les Lumières de la Ville est son plus grand film. Avec cette histoire où Charlot le vagabond vient en aide à plus déshérité que lui (une jeune aveugle), Chaplin parvient à combiner le burlesque et le tragique comme il ne l’a jamais fait. Les lumières de la ville C’est une osmose parfaite : on a envie de rire et de pleurer en même temps. Et pourtant le burlesque y est très fort, de nombreuses scènes sont hilarantes (le combat de boxe, on ne s’en lasse pas), et le mélodrame est puissant, la fin vous arrache des larmes. Le film est un formidable générateur d’émotions. Comme toujours avec Chaplin, l’ensemble est très humaniste, un peu idéaliste peut-être mais aussi un regard lucide sur le fossé entre riches et pauvres (le film est sorti en pleine dépression). Véritable auteur, ultime perfectionniste, il mettra plus de deux ans à peaufiner chaque scène pour parvenir à un degré extrême de l’épuration qui n’a que rarement (jamais?) été égalé. Le résultat est là : Les lumières de Ville est l’un des plus grands films de toute l’histoire du cinéma.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Charles Chaplin, Virginia Cherrill, Harry Myers, Allan Garcia
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Remarques :
City Lights 1) Le documentaire anglais Unknown Chaplin (Chaplin inconnu) est une mine d’information sur ce film, il apporte des preuves de l’extrême perfectionnisme de Charles Chaplin grâce à des chutes retrouvées dans les années 80. La scène de la première rencontre entre Le Vagabond et la jeune fleuriste a nécessité plus de 700 prises (!!) réparties sur les deux années de tournage. On le voit travailler sur cette scène.
2) Le même documentaire montre une scène d’humour non retenue se déroulant juste avant la rencontre : 5 à 10 minutes absolument hilarantes avec un seul petit bout de bois que Chaplin essaie d’enfoncer dans une grille sur un trottoir. Une merveille. On se demande bien pourquoi il ne l’a pas gardée.
3) Virginia Cherrill n’avait aucune expérience d’actrice mais Chaplin voulait qu’il en soit ainsi. Il l’a rencontrée dans un match de boxe, elle était assise derrière lui.
4) Le même documentaire montre que, dans la première fin que Chaplin avait envisagée, la jeune fille ne reconnaissait pas son bienfaiteur et se contentait de se moquer de lui (on voit cette scène interprétée par Georgia Hale car il avait à un moment donné décidé de tout refaire avec elle à la suite de difficultés avec Virginia Cherrill).

19 novembre 2009

Scarlet Dawn (1932) de William Dieterle

Scarlet DawnElle :
(pas vu)

Lui :
En 1917, un prince russe échappe de peu à la révolution. Il s’enfuit de Moscou avec l’une de ses servantes jusqu’à Constantinople où il doit travailler pour survivre. Scarlet Dawn est un film très court, il fait partie des très nombreux films que William Dieterle tourna pour la Warner après son arrivée à Hollywood. La reconstitution est assez soignée, que ce soit à Moscou ou en Turquie, avec décors souvent somptueux dus à Anton Grot. Douglas Fairbanks est on ne peut plus séduisant, il permet de faire passer un léger érotisme sous-jacent ; l’histoire est assez riche en évènements. Pourtant, Scarlet Dawn laisse le spectateur sur un sentiment plutôt mitigé, probablement du fait du déroulement du scénario : alors qu’il est très soutenu dans sa première moitié, notamment lors des évènements en Russie, le rythme devient ensuite plus inégal, semblant subir de brusques ralentissements et accélérations. La fin paraît précipitée, voire un peu brouillonne. Film plutôt rare, Scarlet Dawn reste toutefois intéressant à découvrir.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Douglas Fairbanks Jr., Nancy Carroll, Lilyan Tashman, Guy Kibbee, Sheila Terry
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16 octobre 2009

The crash (1932) de William Dieterle

The CrashElle :
(pas vu)

Lui :
Film méconnu de William Dieterle, The Crash met en scène une histoire se situant en pleine crise boursière de 1929. Une jeune femme ambitieuse et nouvellement riche est terrorisée à l’idée de redevenir pauvre. Survient une chute boursière sans précédent qui ruine son mari. Le sujet est assez inhabituel car il traite de la fascination de l’argent, de la frénésie qu’il provoque (les domestiques écoutent aux portes pour faire eux-mêmes des coups en bourse) et du comportement des nouveaux riches. Malgré la richesse (!) du sujet, le film manque globalement de force, The Crash semble avoir été conçu et tourné très rapidement. Le scénario manque d’étoffe et, si Ruth Chatterton donne beaucoup de crédibilité à son personnage, on ne peut pas en dire autant hélas de George Brent qui semble vraiment absent. Très court (58 minutes), The Crash se regarde certes sans déplaisir mais il faut bien reconnaître qu’il ne laissera que peu de traces. C’est une curiosité intéressante toutefois car il acquiert une nouvelle résonance aujourd’hui : nous pouvons faire certains parallèles avec notre société actuelle…
Note : 2 étoiles

Acteurs: Ruth Chatterton, George Brent, Barbara Leonard, Henry Kolker
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Homonymes :
* The Crash de Edward F. Cline (1928), film encore plus rare mais décrit comme peu remarquable (le crash en question est un crash ferrovière).
* Crash de David Cronenberg (1996) avec James Spader et Holly Hunter.
* Crash (titre français : Collision) excellent film de Paul Haggis (2004) avec Don Cheadle et Matt Dillon.

8 octobre 2009

Shanghai Express (1932) de Josef von Sternberg

Shanghai ExpressElle :
(pas vu)

Lui :
Shanghai Express fait partie des sept films que Marlene Dietrich tourna sous la direction de Sternberg entre 1930 et 1935 et qui la hissèrent au niveau des plus grandes stars d’Hollywood. Shanghai Express est celui qui rencontra le plus grand succès populaire à l’époque. On y retrouve cette note d’exotisme dont Sternberg aimait entourer son actrice fétiche. Dans une Chine en pleine guerre civile, un petit groupe d’occidentaux montent dans un train à destination de Shanghai. Parmi eux, une femme à la réputation sulfureuse, surnommée Shanghai Lily, attire les regards et les réprobations. Du fait de la situation politique troublée, le voyage ne va pas se dérouler sans évènements… Josef von Sternberg a tourné son film entièrement en studio dans lesquels il a recréé des environnements limités mais empreints d’une forte atmosphère. Le début du film, avec le départ du train et sa traversée délicate de la ville surpeuplée où il emprunte des rues étroites, est remarquable. On peut sans aucun doute lui reprocher de nous présenter une Chine un peu caricaturale, du moins pleine des clichés de l’époque, Shanghai Express mais il parvient à créer une ambiance toute particulière ; les éclairages y sont pour beaucoup, notamment dans les scènes à l’intérieur du train. Sur une trame de troubles politiques, le thème central du film reste celui d’un amour tumultueux, des retrouvailles difficiles entre deux anciens amants qui ne savent exprimer leurs sentiments. Si le personnage interprété par Clive Brook peut paraître un peu guindé voire terne (mais il crée un contrepoint parfait, tout à fait dans son époque), c’est bien entendu Marlène Dietrich qui crève l’écran, avec une présence magistrale, méritant plus que jamais son qualificatif de mythe cinématographique, et magnifiée par des robes époustouflantes et des éclairages de toute beauté. Que l’histoire ne soit guère crédible, comme il a parfois été reproché, passe au second plan : Shanghai Express reste une de ces petites merveilles quasiment atemporelles qui se regarde toujours aujourd’hui avec un grand plaisir.
Note : 5 étoiles

Acteurs: Marlene Dietrich, Clive Brook, Anna May Wong, Warner Oland
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Remarke :
Peking Express de William Dieterle (1951) avec Joseph Cotten

Les sept films de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich :
L’angle Bleu (Der blaue Engel) (1930)
Coeurs Brûlés (Morocco) avec Gary Cooper (1930)
Agent X27 (Dishonored) (1931)
Shanghai Express (1932)
Blonde Vénus (Blonde Venus) avec Cary Grant (1932)
L’Impératrice Rouge (The Scarlet Empress) (1934)
La femme et le pantin (The devil is a woman) (1935)

2 octobre 2009

Female (1933) de William A. Wellman, Michael Curtiz et William Dieterle

FemaleElle :
(pas vu)

Lui :
Female est vraiment une belle petite curiosité. Le scénario et son traitement fleurent bon la liberté de ton qui régnait à Hollywood avant que le code Hays impose ses lois de bonne moralité. La jeune et jolie Alison Drake dirige d’une main de fer la grande compagnie de construction automobile qu’elle a hérité de sa famille. Aucun obstacle ne l’arrête et elle pousse ses employés à vendre toujours plus. Certains d’entre eux sont parfois invités le soir chez elle pour « finir une réunion ». Adapté d’un roman, le scénario joue donc sur l’inversion des genres et on imagine aisément qu’il y avait là de quoi choquer à l’époque (on peut toutefois se demander si les ligues de vertu qui s’indignèrent à la sortie du film protestaient pareillement devant les films qui montraient des directeurs-homme séduire leurs secrétaires…) Il faut dire que Female va assez loin car son héroïne est ouvertement sexiste et dénigre allègrement les schémas traditionnels, par exemple quand elle déclare que « une femme amoureuse est pitoyable »… Tout cela est d’autant plus délicieux que l’ensemble est souligné par de constantes petites touches d’humour. Le film est particulièrement court, moins de soixante minutes, et le rythme est enlevé. Bref, on dirait presque du Lubitsch… Il faut souligner la remarquable performance de Ruth Chatterton qui interprète avec une grande aisance toutes les facettes de son personnage. Produit par Henry Blanke de la First National, le film aura vu trois réalisateurs se succéder à la suite d’empêchements divers. Les décors Art déco sont remarquables, notamment le domicile d’Alison (1). Malgré une fin bâclée (2), Female est un petit bijou, il est remarquable de voir la qualité d’une telle comédie souvent considérée comme assez mineure.
Note : 4 étoiles

Acteurs: Ruth Chatterton, George Brent, Lois Wilson, Johnny Mack Brown, Ferdinand Gottschalk
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(1) Les extérieurs de la maison sont en réalité ceux de l’Ennis House, vaste demeure dessinée par Frank Lloyd Wright en 1923 et située près de Los Angeles (voir photos). L’intérieur est tout autre, dans le pur style Art déco. La superbe piscine est celle qui venait d’être utilisée pour un ballet aquatique de Footlight Parade quelques mois plus tôt. A noter que le thème musical, que l’on entend plusieurs fois sous des formes diverses quand Alison séduit ses amants d’un soir, est le thème de la chanson Shanghai Lil du même Footlight Parade.
(2) Pour calmer les esprits moralistes, à la fin du film, la belle Alison rentre dans le rang et devient une femme classique (elle promet d’avoir neuf enfants!)… mais cette fin est tellement bâclée et rocambolesque que l’on n’y croit pas une seconde.

30 septembre 2009

La forêt pétrifiée (1936) de Archie Mayo

Titre original : « The petrified forest »

La forêt pétrifiéeElle :
(pas vu)

Lui :
Un jeune intellectuel arrive à pied dans une station-service isolée en plein désert de l’Arizona. Il lie connaissance avec la fille de la maison qui rêve de poésie et de partir en France. La radio annonce que le gangster Duke Mantee est en cavale dans la région. La Forêt Pétrifiée reprend une pièce de Robert Sherwood que Leslie Howard et Humphrey Bogart interprétaient à Broadway (1). Cette pièce, puis le film, furent un tremplin pour la carrière de Bogie qui était jusque-là cantonné à des rôles sans saveur d’adolescents (il avait pourtant plus de trente ans…) Il n’a qu’un rôle secondaire mais son entrée dans le café est assez mémorable : il montre dès les premières secondes une remarquable présence à l’écran qui ne faiblit plus ensuite. La mise en scène d’Archie Mayo est assez plate, il s’agit vraiment d’une pièce filmée, mais l’histoire possède une force certaine que Leslie Howard et Bette Davis parviennent parfaitement à transmettre. Démarrant gentiment, l’histoire monte en intensité et la tension est assez forte dans son dernier tiers avec une fin franchement dramatique (2). Grâce à son scénario et à la profondeur des personnages, La Forêt Pétrifiée est un beau huis clos qui se révèle franchement prenant.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Leslie Howard, Bette Davis, Dick Foran, Humphrey Bogart, Genevieve Tobin
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(1) La Warner voulait au départ donner le rôle de Duke Mantee à Edward G. Robinson. Leslie Howard menaça alors de refuser le rôle si Humphrey Bogart était écarté. Bogie lui en garda une éternelle reconnaissance : « Sans lui, je serais peut-être encore en train de me maquiller dans les loges de New York » déclara t-il plus tard. En 1952, lui et Lauren Bacall appelleront leur fille Leslie.
(2) Une fois le film achevé, les studios firent tout pour imposer une fin plus heureuse, moins dramatique. Heureusement, Leslie Howard insista pour que la fin reste celle de la pièce.

Remarques :
* Si La Forêt Pétrifiée a révélé Humphrey Bogart, l’acteur devra attendre encore cinq ans et vingt-huit films (!) pour se voir confier un rôle avec une certaine épaisseur (High Sierra de Raoul Walsh en 1941).
* En 1955, donc peu avant sa mort, Humphrey Bogart reprendra le rôle de Duke Mantee pour une version télévisée de The Petrified Forest, avec Henry Fonda et Lauren Bacall. Bogart voyait là un moyen de préparer le public à son prochain film The Desperate Hours (La Maison des étrangers, 1955) dans lequel il prend un groupe de personnes en otage comme Duke Mantee.