Dans une société dominée par une administration oppressante, un jeune employé tente de s’évader de la grisaille de son quotidien par ses rêves où il vole au secours d’une jeune fille. Un jour, il l’aperçoit en chair et en os et cherche à la rencontrer… Brazil est un film hors-normes comme on en voit peu. Terry Gilliam a imaginé et brillamment mis en images un monde kafkaïen où l’administration a enflé de façon démesurée. Bien que le qualificatif ait souvent été donné au film, ce n’est en aucun cas un monde futuriste, il n’y a d’ailleurs aucun objet ou élément futuriste dans le film. En revanche, on peut dire que Brazil brasse les époques ce qui renforce son côté atemporel : que ce soit dans les objets, les décors ou les costumes, il y a un savant mélange des cinquante dernières années. Mention particulière doit être faite des conduits et tuyaux qui, figure allégorique de l’administration, ont enflés pour devenir aussi envahissant que sources de dysfonctionnement. Sam Lowry est un personnage sans ambition qui tente vainement de s’échapper de ce monde : dans ses rêves, la jeune femme représente l’espoir et le samouraï le système. Terry Gilliam ne cherche pas à adoucir son propos avec un happy end, Brazil est un film plutôt sombre. C’est aussi un film extrêmement riche, qu’il faut voir plusieurs fois ; Terry Gilliam donne libre cours à toute sa créativité. L’humour est très présent mais il peut apparaître très soudainement pour s’effacer aussitôt. Brazil est à classer parmi les 5 ou 10 films les plus créatifs de toute l’histoire du cinéma.
Elle:
Lui :
Acteurs: Jonathan Pryce, Robert De Niro, Katherine Helmond, Ian Holm, Bob Hoskins, Michael Palin, Kim Greist
Voir la fiche du film et la filmographie de Terry Gilliam sur le site IMDB.
Voir les autres films de Terry Gilliam chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* A la sortie du film aux Etats-Unis, Terry Gilliam se heurta à Sid Sheinberg, alors à la tête des Studios Universal. Pour ce dernier, le film était trop long, trop compliqué et avait le défaut de mal se terminer. Il fit refaire un montage, une version de 94 minutes (au lieu de 142) désignée sous le nom « Love Conquers all ». Terry Gilliam fut toutefois habile en médiatisant l’affaire et, finalement, Sheinberg renoncera à sortir cette version courte en salles. Elle ne sera montrée qu’à la télévision. Cette version réduite est présente en bonus de l’édition en LaserDisc (coffret) et de certains DVD. Jack Mathews raconte cette bataille dans son livre « The Battle of Brazil » (Crown, 1987)
* Terry Gilliam a choisi le titre Brazil pour son film après avoir vu un homme seul sur une plage, par mauvais temps dans un environnement industriel et poussiéreux, qui écoutait cette chanson. C’était, à ses yeux, le symbole du fort besoin d’évasion de l’homme malgré l’adversité, son désir de rendre son environnement moins gris.
* A la sortie du film Les Aventures du baron de Munchausen, Terry Gilliam a parlé d’une « trilogie du rêve » formée par Time Bandits (1981), Brazil (1985) et Munchausen (1988). Il est vrai que les trois films utilisent le rêve comme moyen d’évasion et le personnage principal avance en âge. Terry Gilliam a toutefois déclaré par la suite que parler de trilogie était peut-être un peu prétentieux de sa part…
* Lors du premier rêve de Sam, au début du film, la chanson Brazil est interprétée par Kate Bush.
* La scène où Sam découvre le visage du samouraï qu’il vient de tuer et voit son propre visage peut être interprétée de deux manières :
1. Sam est lui-même un membre de l’administration qu’il combat.
2. Gilliam a lancé lors d’une interview qu’il s’agissait d’une simple boutade car « samouraï » en anglais est proche de « Sam or I » ou encore proche en écriture de « Sam-U-R-I » (= Sam, you are I ).
* La voiture conduite par Sam est une Messerschmitt KR 175 (automobile produite entre 1953 et 1964).
* Le scénario a été écrit par Terry Gilliam, Tom Stoppard et Charles McKeown.
* Avec son humour habituel, Terry Gilliam dit s’être inspiré du livre de George Orwell 1984 tout en précisant aussitôt qu’il n’a jamais lu le livre. Le réalisateur dit avoir pendant longtemps désigné son film sous le titre 1984 ½ (clin d’oeil au 8 ½ de Fellini) mais il peut s’agir d’une boutade car les premiers scripts se nomment The Ministry. D’ailleurs, il n’est pas si proche de l’univers de 1984 : Orwell a imaginé (en 1945) une société où une technologie évoluée était au service d’un pouvoir fasciste. Dans Brazil, la technologie n’est en rien évoluée, elle est poussive et la question du régime politique n’est pas directement abordée. C’est l’administration qui a enflé de façon démesurée et, avec elle, ses dysfonctionnements…
Versions principales :
– Version sortie en Europe de 142 mn
– Version sortie aux Etats-Unis de 132 mn
– Version TV « Love Conquers all » de 94 mn.
Regarder la version Love Conquers all est intéressant car cela permet de mesurer comment le montage peut créer un film assez différent et également de voir le formatage du cinéma hollywoodien en pleine action. Globalement, cette version met au centre du film l’idylle entre Sam et Jill, supprime toutes les scènes de rêve sauf la première et la dernière (qui devient la fin réelle), simplifie beaucoup de choses, enlève tout ce qui est trop subtil. Sam devient un super-héros qui a vaincu l’administration et gagné le coeur de la belle… Happy end.
Bonjour « Elle », bonjour « Lui »,
J’aime beaucoup « Brazil » ! Je ne l’ai découvert que l’année dernière, il y a un an presque jour pour jour – oui, je suis fou, je garde la date des films que je regarde !
Personnellement, le monde qu’a créé ici Terry Gilliam me rappelle effectivement celui d’Orwell, en ce sens que, tout inefficace qu’elle soit, l’administration décrite est tout aussi oppressante. Et si je me souviens bien, dans le livre, il y a aussi un personnage féminin qui, un temps, amène une idée d’espoir, avant que…
J’admire vraiment le talent de Terry Gilliam à créer des mondes et, vous avez raison, sur « Brazil », sa créativité a fait merveille (je pensais même que la voiture de Sam était une de ses inventions, pour vous dire !). J’aime aussi ce qu’il fait faire aux acteurs et je me suis beaucoup amusé du personnage joué par Robert de Niro, sans doute l’un des plus atypiques de sa longue carrière.
Bref, beaucoup de très bonnes choses dans ce film-là, que je classerai volontiers au rang de film-culte. J’avoue toutefois que, dans la filmographie de Terry Gilliam, j’ai un faible encore plus important pour « The fisher king ». Il est moins imaginatif, assurément, mais j’aime trop les choses tendres et décalées pour lui faire quitter les sommets de mon classement affectif.
Bonne journée à tous les deux et merci encore de partager votre passion cinéphile.
Merci pour ce commentaire Martin. Je mets un lien vers votre chronique :
http://1001bobines.blogspot.fr/2002/07/orwell-un-apres.html
A propos de De Niro, l’acteur désirait semble t-il jouer le rôle de Jack Lint (le tortionnaire) mais Terry Gilliam lui répondit que le rôle était déjà acquis à Michael Palin. Désireux avant tout de figurer dans le film, De Niro a alors accepté le rôle de Tuttle.
Tiens, puisque nous parlions récemment de Blade Runner, j’avais lu (ou entendu en interview ?) que la fausse fin de Brazil était une parodie de la « fin imposée par le studio » pour Blade Runner. Enfin, pour Gilliam, peu importait l’origine de la fin de Blade Runner : il n’avait à l’époque pu voir que cette version, avait trouvé la fin mièvre (ce que l’on comprend) et l’avait caricaturée dans Brazil en montrant ce qu’un tel dénouement a de factice (ou peut-être, plus subtilement et avec une certaine saine perversion, a-t-il voulu jouer avec le désir des spectateurs pour mieux les surprendre — en s’appuyant sur le précédent Blade Runner). Il y a une certaine ironie à penser que cette fin dont il s’est moqué… n’était précisément pas celle que voulait Ridley Scott.
Pour le reste, rien à ajouter, sinon que, comme Martin, j’ai un faible pour Fisher King, qui est pour moi la synthèse de toutes les obsessions de Gilliam… et un remarquable jeu de mise en reflet entre narration et propos (un peu comme Ivre de femmes et de peinture, dans un genre très différent).
Et que je resterai à jamais inconsolable que The man who killed Don Quichotte ne verra pas le jour avec Jean Rochefort dans le rôle de Don Quichotte. Même s’il finit par être réalisé et qu’un tel thème pourra donner, dans les mains de Terry Gilliam, un film majeur, l’absence de Jean Rochefort pèsera trop dans mon appréciation. Il était si parfait pour ce rôle ! Fichue hernie discale !
Ce que vous dites sur la fin de Brazil qui serait un peu une caricature de la fin de Blade Runner est vraiment étonnant !
@ Lui : L’ennui avec ces « vieux » films ;-), c’est que les anecdotes les concernant datent d’avant internet… et il m’est impossible de retrouver la source et de vérifier l’information (ou de vérifier que ma mémoire ne me joue pas des tours).
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N’ayant pas Brazil dans mes étagères, j’ai craqué et viens de revoir The Fisher King (je ne m’en lasse pas).
Eh bien figurez-vous que j’y ai trouvé une nouvelle preuve du sens de l’humour de Terry Gilliam, car il figure dans ce film une réplique étonnante : Love conquers all ! Je ne l’avais pas remarquée avant de lire ce billet, mais elle m’a sauté à l’oreille cette fois-ci, naturellement. Elle est dite par la compagne de Jeff Bridges (d’abord en latin : omnia vincit amor, puis elle la traduit en anglais), lorsque tous deux reviennent de la fameuse soirée au restaurant. Joli pied de nez, non ?
C’est plein d’imagination. Je m’identifie un peu à l’employé, quand je m’ennuie au travail, même si c’est rarement le cas. Je rêve d’une vie où je suis complètement quelqu’un d’autre, de mieux que je ne le suis maintenant. Cela fait du bien des fois, mais on déprime après quand on le fait souvent.
Effectivement, on peut faire une analogie avec le roman « 1984 » d’Orwell sur le côté lourd et totalitaire de la société et de son administration.
Plus récemment, le rapprochement pourrait également se faire avec un autre film que j’apprécie : « V pour Vendetta » de James Mc Teigue. On y retrouve évidemment la critique de la « haute société » qui surveille ses citoyens en permanence parce qu’elle a peur de ne pas pouvoir conserver ses privilèges mais il y a aussi entre autres, sur la forme, l’utilisation des faux-semblants ou encore l’explosion du bâtiment qui symbolise l’oppression du peuple (même si dans « Brazil » cette destruction n’est que le fruit du rêve).
Enfin, dans une certaine mesure, « Brazil » m’a également fait penser à un film de Zack Snyder (dont je ne suis pas spécialement fan par ailleurs, il faut bien le reconnaître). Il s’agit de Sucker Punch sorti en 2011. Peu connu (parce qu’il semble destiné à première vue essentiellement aux ados en manque de repères), Sucker Punch mérite toutefois d’être vu au moins une fois : il y a bien des choses dont on ne se rend compte que quand le film se termine (mais je laisse chacun s’en faire sa propre opinion).
@ Jacques C : hi, hi, c’est amusant de te croiser ici par hasard, surtout avec 3 ans de décalage ! C’est aussi ça la force des films intemporels 🙂
@Denys : Bravo, tu m’as amené ici et maintenant j’ai la musique dans la tête hihi !
@ Denys et Raton :
Bonne arrivée ! Vous verrez, il y a ici une multitude de films passionnants à découvrir (ou plutôt à avoir envie de découvrir ;-), car tous les acheter demanderait du temps et de l’argent…). Les « trois films au hasard » en haut à gauche peuvent occuper toute une soirée, de fil en aiguille.