Titre original : « The Right Stuff »
L’Étoffe des héros retrace l’épopée des pilotes d’essai américains d’après-guerre, du passage du mur du son par Chuck Yeager aux premiers vols spatiaux habités du programme Mercury de 1958 à 1963…
Il s’agit de la transposition cinématographique du livre de l’écrivain et chroniqueur américain Tom Wolfe (L’Étoffe des héros, paru en 1979). Philip Kaufman en a écrit l’adaptation. Bien documenté, le récit de plus de trois heures respecte assez bien la réalité historique (1) même si le cinéaste donne une très (trop sans doute) grande place à l’humour afin de le rendre plus attrayant. Il souligne également très fortement l’esprit d’indépendance des pilotes (2). En toute logique, le propos général exalte le patriotisme américain mais sans excès, laissant même entrevoir quelques piques discrètes envers le rêve américain. D’autre part, le vice-président Lyndon B. Johnson est présenté comme un clown, ce qui est certainement excessif. Cette grande fresque reste un beau témoignage des débuts de la conquête de l’espace. Malgré tous les moyens mis en œuvre pour en faire un grand film populaire et de bonnes critiques, L’Étoffe des héros fut un échec commercial qui traduit probablement le désintérêt du public après la fin du programme Apollo, dix ans auparavant.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Sam Shepard, Scott Glenn, Ed Harris, Dennis Quaid, Fred Ward, Barbara Hershey, Kim Stanley, Veronica Cartwright, Jeff Goldblum
Voir la fiche du film et la filmographie de Philip Kaufman sur le site IMDB.
Voir les autres films de Philip Kaufman chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Nommé à aucun instant, l’ingénieur en chef du programme est Wernher von Braun, brillant ingénieur mais ancien responsable nazi. Récupéré par les Américains avec son équipe à la fin de la guerre, Von Braun avait travaillé à la mise au point de fusées dès 1933 pour le régime nazi. Pendant la guerre, les missiles balistiques V1/V2 ont été construits par des prisonniers dans des conditions inhumaines. Des milliers en sont morts. Ces missiles ont fait plus de morts pendant leur construction qu’en tant qu’arme de destruction.
* Caméo : Le véritable Chuck Yeager fait une courte apparition dans une scène dans le Pancho’s Bar à environ 55 minutes (il avait alors 60 ans). C’est lui qui sert à boire aux deux prospecteurs de la NASA venus chercher des pilotes d’essai. Chuck Yeager vivra jusqu’à l’âge de 97 ans (il est décédé en 2020).
(1) La scène où Gus Grisom panique pour sortir de sa capsule a été critiquée car elle laisse supposer que l’astronaute a fait une erreur alors que la NASA a considéré, après enquête, qu’il n’était pas fautif et l’a conservé pour le programme Apollo (il perdra la vie dans l’accident d’Apollo 1). La capsule a finalement été repêchée en 1999 et l’a définitivement innocenté.
(2) Sur ce thème, le dernier départ montré de Chuck Yeager, décollant sans autorisation, est une exagération scénaristique un peu risible.
Ed Harris dans L’étoffe des héros (The Right Stuff) de Philip Kaufman.
Vous écrivez : « Nommé à aucun instant (est-ce en raison de ses origines allemandes ?), l’ingénieur en chef du programme est le brillant Wernher von Braun ».
Je vous trouve fort bienveillant dans votre formulation ! Le problème de Wernher von Braun n’est pas ses origines allemandes mais le fait qu’avant d’être cyniquement « récupéré » par les Étatsuniens il avait été un cadre actif et zélé du régime nazi. En d’autre terme, ce qui peut légitimement gêner dans son recyclage au service des États-Unis, ce ne sont pas « ses origines allemandes » mais « son passé nazi ». Et en effet, aux États-Unis et surtout en Europe, des voix se sont élevées contre la complaisance des États-Unis à « retourner » d’anciens nazis pour les mettre à leur service — ou plus exactement à fermer les yeux sur leurs abjections et à les amnistier de leurs crimes, du moment qu’ils mettaient désormais leur talent au service des autorités étatsuniennes. Dans le cas de von Braun, aucun crime direct n’a été rapporté, mais il était informé et complice des crimes du régime, régime qu’il a soutenu sans état d’âme et donc sans excuses possibles.
Cela précisé, le fait que le film dissimule cet aspect en effaçant le personnage est une forme de falsification, et c’est dommage pour l’apparente recherche d’authenticité de ce film.
à note que Fred Ward est décédé le 8 mai dernier.
Oui, vous avez raison Jacques C., quand je parlais des « origines allemandes » de Von Braun, je voulais parler de son passé au service du régime nazi. Je vais ajouter cette précision pour que ce soit plus clair.
Et il n’y a pas que Von Braun. Au lancement du programme spatial, au lendemain de la guerre, *toute* l’équipe était allemande et elle continuait de travailler sur les dizaines de V2 que les américains avaient récupérés. Les premiers lancements ont été faits avec des V2.
La seule allusion dans le film est lorsque les Russes devancent les Américains. Johnson demande : « Ils ont des Allemands aussi ? » « Oui, mais nos Allemands sont meilleurs que leurs Allemands » lui répond-on. Cette remarque est d’ailleurs exacte. Les Russes ont bien récupéré les installations allemandes au lendemain de la guerre mais les meilleurs ingénieurs étaient déjà partis se rendre aux Américains.
Von Braun n’était sans doute pas le plus zélé des nazis mais il a profité pleinement et sans scrupule des avantages de travailler pour les nazis. On considère que les V1/V2 ont fait plus de morts pendant leur construction qu’en tant qu’arme de destruction : ils étaient construits par des prisonniers dans des conditions inhumaines, dans des installations souterraines. Des milliers de prisonniers (20 000 rien qu’à Dora) sont morts . Von Braun a déclaré qu’il ignorait cela mais tout le monde s’accorde à dire que c’est impossible.
La Nasa n’a jamais beaucoup communiqué sur le passé de ses « équipes allemandes ». Von Braun est pourtant à la base de tout le programme spatial américain.
Je ne crois pas que Kaufman donne une grande place à l’humour dans le but de rendre son film plus attrayant. Je pense qu’il s’agit d’une comédie sarcastique qui propose au public, en même temps, d’une part le film qu’il a envie de voir (à la gloire des héros américains de toujours, les éternels cow-boys – Chuck Yeager à cheval au début – cherchant à repousser la frontière du monde connu, devenus avec le changement d’époque des pilotes d’essai) et d’autre part un commentaire critique sur le contexte historique (la médiatisation, l’instrumentalisation politique, l’absence généralisée de compétence et d’éthique avec notamment l’utilisation d’anciens Nazis). Bref à la fois le film d’aventures exaltant l’individualisme (et le héros pour Philip Kaufman sera donc davantage Chuck Yeager, celui qui n’obéit à personne, prend un avion sans autorisation et s’en va battre un record au péril de sa vie, plutôt que les sept marionnettes, même un peu rebelles, de la NASA), à laquelle aspire le spectateur, mais aussi la critique d’une société de l’image et du mensonge, une société du spectacle, dans laquelle s’illusionne avec complaisance ce même spectateur. C’est je crois ce ton sarcastique, critique, accusateur, qui explique l’échec commercial du film.
Parmi les belles scènes du film, celle où des journalistes demandent à Dennis Quaid qui est, selon lui, le meilleur pilote qu’il ait jamais côtoyé. À plusieurs reprises, Dennis Quaid s’apprête à répondre « Chuck Yeager », mais à chaque fois un journaliste l’interrompt, et il ne parvient jamais à finir sa phrase (on se croirait dans une émission de télé d’aujourd’hui quand un scientifique veut dire la vérité sur la catastrophe climatique et qu’on lui coupe la parole pour ne pas entendre). Alors puisqu’il ne peut pas dire la vérité (vérité que le film, en montrant son impossibilité d’advenir, fait comprendre au spectateur), Dennis Quaid répond par une boutade (« le meilleur pilote, vous l’avez devant vous »). Seul le mensonge (ici habillé par la forfanterie) est accepté et le vrai est réduit à n’être qu’un moment du faux.
Bizarre que ce film ait été un échec. Il avait tout pour plaire aux américains. Les acteurs sont excellents, le ilm est long mais on ne s ennuie jamais (parallèle entre les astronautes et le pilote d essai), de très belles images et de bon effets visuels, de l humour et des émotion, bref pour moi un excellent film que j ai vu plusieurs fois.