5 décembre 2021

Les Dents du diable (1960) de Nicholas Ray

Titre original : « The Savage Innocents »
Titre original italien : « Ombre bianche »

Les dents du diable (The Savage Innocents)Inuk est un inuit. Robuste et excellent chasseur, il a toujours de quoi manger et se vêtir mais il sait qu’il doit maintenant trouver une femme…
The Savage Innocents (on peut oublier le titre français qui doit être une erreur car on ne voit vraiment pas à quoi il se rapporte) est une production anglo-franco-italienne. Il s’agit de l’adaptation du roman Top of the World de l’écrivain suisse Hans Ruesch qui se déroule dans le monde polaire des Inuits. Ce film assez méconnu étonne à priori dans la filmographie de l’américain Nicholas Ray. La première moitié du film est une description presque ethnologique du mode de vie d’un chasseur inuit, montrant les pratiques pour chasser, manger, se mettre en couple et les autres habitudes de la vie courante. Anthony Quinn est étonnamment crédible en Inuit, il se donne entièrement et, hormis la langue (ils parlent anglais), l’immersion est totale. Ensuite, à la moitié du récit, notre héros va se retrouver confronté à la société moderne, sous la forme d’une poignée d’occidentaux venus acheter des peaux et d’un missionnaire. Leur méconnaissance des traditions Inuits va engendrer une situation dramatique. On retrouve là l’un des thèmes chers à Nicholas Ray, une approche très rousseauiste (« l’homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt ») que l’on peut trouver certainement un peu simplificatrice dans son application ici, sans que cela enlève aux qualités du film. Il est non seulement intéressant mais aussi très beau avec ses belles images tournées dans le Grand Nord canadien. Les scènes tournées en studio sont aisément identifiables, certes, mais elles restent très crédibles. Une intéressante découverte.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Anthony Quinn, Yôko Tani, Peter O’Toole, Carlo Giustini, Anna May Wong
Voir la fiche du film et la filmographie de Nicholas Ray sur le site IMDB.

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Remarques :
* Hans Ruesch, auteur du roman, n’a en réalité jamais vu un seul inuit de sa vie. Il a basé son récit en partie sur le film Eskimo de W.S. Van Dyke (1933).
* Bob Dylan admirateur du film, a écrit en 1967 la chanson Quinn the Eskimo (The Mighty Quinn) en hommage à l’interprétation d’Anthony Quinn. La chanson a été reprise par Manfred Mann en 1968 qui en a fait un tube planétaire (« Come on without, come on within, you’ll not see nothing like the Mighty Quinn« ).
* Peter O’Toole (qui interprète l’un des deux policiers blancs) a demandé que son nom soit retiré du générique car sa voix est doublée. A noter que l’acteur n’était pas encore connu, il tournera Lawrence d’Arabie deux ans plus tard.
* Une séquence supplémentaire de chasse à l’ours a été perdue dans un accident d’avion.
* Le réalisateur de la seconde équipe est l’italien Baccio Bandini.

Les dents du diable (The Savage Innocents)Anthony Quinn dans Les dents du diable (The Savage Innocents) de Nicholas Ray.

Les dents du diable (The Savage Innocents)Yôko Tani, Anthony Quinn et Kaida Horiuchi dans Les dents du diable (The Savage Innocents) de Nicholas Ray.

3 réflexions sur « Les Dents du diable (1960) de Nicholas Ray »

  1. Un Inuit nommé Inuk, c’est plus qu’étrange, car Inuk est le singulier d’Inuit : un Inuk, deux Inuuk, plusieurs Inuit.

    En fait, le personnage principal s’appelle « Homme », ce qui en fait un rôle symbolique et non véritablement individualisé, et qui renforce et confirme sans doute l’intention très militante et rousseauiste de Nicholas Ray.

    Ce que je lis de ce film, ici ou ailleurs, me donne finalement peu envie de le voir (malgré vos quatre étoiles, auxquelles je me fie en général et le regrette rarement), car tout indique que ce film ne transcrit que les purs fantasmes d’un Occidental sur un peuple qu’il ne connaît pas. Le fait que tous les rôles d’Inuit soient joués par des Américains, des Européens ou des Japonais renforce cette dimension. Le récit doit sans doute être épique et édifiant… mais il n’a rien à voir avec des situations réelles, et même la première partie que vous qualifiez de « presque ethnologique » me paraît douteuse. Je vous crois sans peine quand vous dites que cette partie montre des scènes de chasse et de vie quotidienne, mais je doute qu’elle décrive la vie quotidienne réelle des Inuit : juste le fantasme que l’auteur du livre et le cinéaste s’en font (et dans doute idem pour la chasse : Jules Verne excellait dans les descriptions apparemment rigoureuses et imagées dont nous savons maintenant qu’elles étaient imaginaires et basées sur des documentations limitées et partiellement fausses ; il y a fort à parier que nous sommes ici en présence de la même « documentation apparemment rigoureuse mais lacunaire voire fausse »). Brrr, le genre de film qui risque de me mettre hors de moi, à éviter de voir.

  2. J’ai bien conscience que, en tant qu’ethnologue, vous trouverez des défauts que je n’ai pas vu. C’est d’ailleurs pour cette raison que je parlais de « description *presque* ethnologique », c’est à dire qu’elle donne cette impression à un non-spécialiste. Toutefois, je peux vous assurer que le récit n’a rien d’épique, il n’y a aucune facilité d’écriture, aucune romance articielle et c’est cela que je voulais souligner dans mon commentaire.
    J’ai été très surpris de lire après coup que l’auteur du livre n’avait jamais vu un inuit de sa vie. Ce simple fait suffit pour dire qu’on ne peut parler de véritable approche ethnologie.

    Je n’ai pas vu Eskimo de Van Dyke. En revanche, le film m’a fait penser à Nanouk l’Esquimau qui, lui, peut être qualifié d’ethnologique (du moins, me semble t-il… ou disons qu’il en est plus proche). Mais c’est un documentaire dont les « acteurs » sont des inuits. The Savage Innocents est un roman, donc se situe dans une autre classe de films ; toutefois il ne m’a pas semblé si loin par son atmosphère.

    De toute évidence, l’intention de Nicholas Ray était de montrer à un public large comment l’irruption soudaine de la « civilisation » prend inévitablement une forme brutale en l’absence de connaissance et de compréhension de la culture rencontrée. Sur ce point, le film est à mes yeux réussi.

  3. Ah oui, Nanouk l’Esquimau est un documentaire à portée ethnologique, pas de souci en ce qui le concerne.

    Votre précision allège une partie de mes craintes. Il est sûrement possible de considérer Les dents du diable comme une fable — et de laisser de côté la dimension fantasmée de la représentation qui est faite des Inuit. C’était d’époque. Aujourd’hui (heureusement) une telle fable s’efforcerait de s’appuyer d’abord sur un substrat rigoureux, ou alors imaginerait explicitement un peuple inexistant (la SF et la Fantasy ont ce bel avantage de permettre ce type de démarche sans commettre cette maladresse de prétendre s’appuyer sur un peuple existant).

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