Titre original : « Der Tiger von Eschnapur / Das indische Grabmal »
1ere partie : « Le Tigre du Bengale »
2eme partie : « Le Tombeau hindou »
Au début du XXe siècle, en Inde, un architecte allemand a répondu à l’invitation du maharadjah d’Eschnapur de venir restaurer le palais et construire des hôpitaux. En chemin, il sauve la vie d’une jeune danseuse en éloignant un tigre féroce. La jeune femme se rend elle aussi à Eschnapur, le maharadjah l’ayant fait venir en espérant se faire aimer d’elle… Il faut préciser en tout premier que Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou forment un seul et même film en deux parties ; même si cela reste possible, il n’est pas judicieux de les voir séparément. Le Tigre du Bengale met en place les personnages et installe une situation génératrice de puissantes tensions qui n’éclatent vraiment que dans Le Tombeau hindou, riche en action et mouvementé.
A la fin de sa carrière, Fritz Lang fait un retour aux sources : 26 ans après l’avoir quittée, il revient en Allemagne pour tourner une nouvelle version d’un scénario écrit en 1921 par Thea von Harbou (1) et qu’il n’avait pu réaliser lui-même, s’étant fait souffler le projet par l’autrichien Joe May. Richard Eichberg en avait fait un remake en 1938 d’une qualité assez moyenne mais le projet de Lang est d’une toute autre ampleur, doté d’un budget important. Comme le plus souvent dans les scénarios de Thea von Harbou, les personnages sont animés par des pulsions assez simples, la passion, l’ambition, la jalousie, et l’histoire les place dans des situations elles-aussi simples mais limpides et très fortes. La perfection esthétique, épurée avec une grande économie de mouvements de caméra, fait écho à cette simplicité du propos et ajoute à la profondeur de l’ensemble. Fritz Lang retrouve l’esprit avec lequel il tournait ses films muets pour aller sonder les profondeurs de la nature humaine. L’image est très belle, fastueuse et riche en couleurs. Debra Paget est d’une grande beauté mais le personnage le plus remarquable est certainement celui de Chandra, le maharadjah, auquel Walter Reyer donne une belle intensité. Le Tigre du Bengale peut être délicat à faire apprécier à des yeux modernes qui vont parfois ne voir là qu’un film kitsch avec des effets trop visibles (oui, le cobra est en carton-pâte, mais quelle importance ?) Le film a d’ailleurs divisé dès sa sortie et l’historien Jacques Lourcelles remarque à juste titre que ses détracteurs lui ont reproché ce qui justement fait sa force : « une inactualité géniale qui réduit l’univers à quelques désirs contradictoires et monstrueux de l’homme… »
Elle:
Lui :
Acteurs: Debra Paget, Paul Hubschmid, Walther Reyer, Claus Holm, Sabine Bethmann
Voir la fiche du film et la filmographie de Fritz Lang sur le site IMDB.
Voir les autres films de Fritz Lang chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Fritz Lang…
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang
Walther Reyer dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang
Debra Paget dans Le Tombeau hindou de Fritz Lang
Walther Reyer, René Deltgen et Jochen Brockmann dans Le Tigre du Bengale de Fritz Lang
(1) Fritz Lang et Thea von Harbou se sont mariés en 1922.
Précédentes versions :
* Das indische Grabmal de Joe May (1921) en deux parties :
1 Die Sendung des Yoghi (= La mission du Yogi)
2 Der Tiger von Eschnapur
avec Conrad Veidt dans le rôle du maharadjah.
* Der Tiger von Eschnapur de Richard Eichberg (1938) en deux parties :
1 Der Tiger von Eschnapur
2 Das indische Grabmal
avec Philip Dorn dans le rôle du maharadjah.
Un conte pour Noêl : L’ARCHITECTE, LA DANSEUSE, et le MAHARADJAH
Oui c’est bien le vieux Fritz qui, revenu de tout et d’Amérique a 70 ans, nous concote en 58 ce diptyque de 3h30 renouant avec ses premières inspirations du temps de l’Allemagne du muet (Les araignées, Mabuse, Les espions et autres sérials feuilletonesques dont il raffolait et nous avec)
Tigre et Tombeau sont en effet adaptés d’un roman de sa seconde femme dont ils avaient tous deux tirés un scénario, l’affaire n’est donc pas neuve
On y trouve encore ce goût mélangé pour les aventures exotiques (ici l’Inde d’avant avec ses fastes et ses superstitions) aussi artificielles que splendides (on ne sait jamais à quel degré il faut prendre le film), la ligne claire du cadrage en technicolor, la rapidité sèche du montage, la succession de péripéties et rebondissements avec logique et rigueur, les notes d’humour et de suspense qui pourraient faire passer le film pour un des épisodes BD de Tintin sans Milou mais remplacé par l’érotisme
J’ai vu ce film enfant lors de sa double sortie séparée l’été 59 à Paris (il fallait patienter une semaine pour connaitre la suite et une bande annonce placée en fin de projection du premier opus avivait nos sens). On abandonnait notre triangle amoureux qui tremblait sur sa base en plein désarroi; d’un coté le maharadjah fort courroucé lançait la mort aux trousses sur les deux autres cotés occupés par notre couple d’amants fugitifs (car on l’a compris le maharadjah et l’architecte étranger sont amoureux de la danseuse) se retrouvant perdus en plein désert, vaincus par la soif et la fatigue,recouverts de sable comme un linceul (est-ce que ça allait être cela le tombeau hindou?) jusqu’au geste inoui du fuyard en forte insolation tirant sur le soleil avec son revolver avant de tomber en état comateux
Je ne m’apercevais même pas que l’acteur architecte était allemand, que l’actrice danseuse indienne à la peau si claire était américaine, que le maharadjah était autrichien et que le grand prêtre était russe – de toute façon ils parlaient tous français comme il se doit, ainsi que tous les figurants grimés en indiens – que les décors étaient de la fabrication de studio, que les accessoires étaient faux pour de vrai comme la danse face au cobra, j’y croyais dur comme fer. Peu importait encore que le film fut assassiné par la critique
Lang,qui cachait bien des secrets derrière la porte, a sans doute réalisé là un film hommage, une architecture, une sorte de tombeau d’amour à la mémoire de son ex femme récemment disparue, à l’image du célèbre Taj-Mahal d’Agra, comme le rachat d’un amour contrarié ou d’une faute jamais avouée. C’est sans doute pourquoi ce film à part et quasi ultime s’exprime en une grande parabole ou tout s’apaise à la fin
Lang, de son oeil unique, est devenu un vieux sage. Se venger en tuant l’être aimé n’est pas la solution
Un conte pour Noel, on vous dit!