(film muet) Poète et amoureux de la vie, Jean Diaz aime Edith qui a été contrainte par son père de se marier avec François Laurin. Quand la guerre est déclarée, tous les hommes de leur petit village de Provence doivent partir au front où les deux hommes vont se retrouver… Alors que la guerre n’est pas encore terminée, Abel Gance reprend le titre du célèbre article de 1898 d’Emile Zola pour la défense de Dreyfus, pour dénoncer les méfaits de la guerre sur les êtres humains. Il se base sur l’histoire d’un poilu devenu pacifiste pour écrire un grand mélodrame où deux hommes sont amoureux de la même femme.
J’accuse est toujours présenté comme un film pacifiste, ce qu’il est indéniablement mais il l’est d’une façon qui peut nous sembler assez inhabituelle, nous qui avons un siècle de recul. S’il dénonce bien le cortège de morts inutiles, la scène finale éclaire de façon étonnante son propos : si les morts se relèvent, c’est pour venir accuser les vivants de s’être mal comportés en leur absence (femmes infidèles, profiteurs), ils veulent que ceux qui leur survivent soient dignes d’eux, et ainsi ils « ne seront pas morts pour rien ». On peut même trouver que certaines scènes ont une connotation patriotique. Mais en fait, son propos est surtout humaniste, il se place du côté de ces poilus et de leurs vies brisées. Il refuse de faire une approche politique.
J’accuse est un film également remarquable d’inventivité dans la forme. Dès les premières minutes, c’est un festival et cela continue pendant les quelque 2h45 du film : un montage très dynamique, étonnamment moderne, de nombreux effets (différents) de superposition, des scènes de bataille d’un réalisme inégalé, utilisation d’images réelles, utilisation du clair-obscur, nombreuses métaphores visuelles, etc. La célèbre (et inoubliable) scène finale voit sa force décuplée par son traitement. Abel Gance, qui a bénéficié de moyens importants, est alors très largement devant tout le monde. On ne voit pas quel réalisateur (américain ou autre) est à ce niveau de modernisme et d’inventivité. Le succès de J’accuse fut important et international, ce qui permit à Abel Gance de mettre sur pied un film encore plus remarquable et abouti, La Roue.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Romuald Joubé, Séverin-Mars, Maryse Dauvray
Voir la fiche du film et la filmographie de Abel Gance sur le site IMDB.
Voir les autres films d’Abel Gance chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Abel Gance…
Remarques :
* Film en grande partie perdu, J’accuse a été magnifiquement restauré en 2007 à partir de plusieurs morceaux de provenances différentes. Alors qu’un DVD est sorti aux Etats-Unis dès 2008 (chez Flicker Alley, le même éditeur que pour La Roue qui n’est à ce jour seulement disponible aux Etats Unis), il aura fallu attendre 7 années (!) pour que le film soit enfin visible en France.
* Arte a récemment diffusé le film avec une musique composée par Philippe Schoeller (concert du 8 novembre 2014 Salle Pleyel). Ce style de musique conceptuelle ne convient pas du tout à l’esprit d’Abel Gance et (à mes yeux) dénature son oeuvre : elle en accentue inutilement les aspects les plus noirs et atténue l’humanité du propos. Il s’agit plus d’un concert illustré par un film que d’un film accompagné par une musique.
En revanche, il ne faut pas hésiter à se procurer le DVD qui vient sortir chez Lobster Films qui comporte la nouvelle musique orchestrale composée par le toujours excellent Robert Israel (toutes les musiques qu’il compose pour accompagner les restaurations de films muets sont parfaites). A noter que Serge Bromberg de Lobster Films a été l’un des artisans de la restauration.
* Détail terrifiant : Les figurants interprétant les morts de la scène finale sont des soldats qui revenaient de Verdun et qui devaient retourner au front huit jours plus tard. 80% n’en sont pas revenus.
* Blaise Cendrars a été assistant sur la tournage. L’écrivain, qui avait perdu un bras au combat en 1915, est également l’un des morts de la scène finale.
* Abel Gance a refait son film en 1938, alors qu’une autre guerre s’annonçait, une version sonore qui reprend certaines images de la version de 1919 :
J’accuse d’Abel Gance avec Victor Francen (1938).
Lire aussi : article sur le blog Ann Harding’s Treasures … (dont l’auteure est la traductrice du livre de Kevin Brownlow La Parade est passée, livre qui comporte un chapitre de 60 pages consacré à Abel Gance).
Plan très court mais qui se remarque : des soldats alignés pour former le mot « J’accuse ».
Abel Gance (à g.) félicité par David W. Griffith peu après la première américaine de J’accuse.
Si on a du attendre si longtemps pour le voir, n’est-ce pas à cause du centenaire et de la commande de la musique passée à l’IRCAM ?
Je suis entièrement d’accord avec votre remarque concernant la musique. Elle est non seulement particulièrement pénible à entendre mais en plus elle dénature complètement le film. Le choix de ce type d’habillage pour les restaurations de films muets n’est malheureusement pas une première : celui retenu pour « Nosferatu » tombait exactement dans les mêmes travers. L’atmosphère pseudo angoissante systématique (jusqu’au contresens total ici, notamment dans les premières scènes qui montrent des scènes de fêtes – certes marquées par de mauvais présages, mais malgré tout enlevées et dynamiques), la dissonance continuelle et appuyée, le soulignement grossier des effets… autant de clichés qui feraient presque passer Alex North ou John Williams pour des modèles de retenue et de subtilité ! Insupportable.
J’ai tenu une grosse demi-heure avant d’abandonner. J’ai heureusement pu enregistrer le film, et je retenterai, mais sans la bande sonore !
@luc Jardin : Je ne connais pas la réponse à votre question, mais cela me semble probable.
@Marceau : Il y a effectivement aujourd’hui une mode (qui me semble spécifique à la France toutefois) de mettre une musique très moderne ou même conceptuelle sur les films muets. C’est dommage parce que cela crée un décalage trop brutal, contribuant à donner une image irréelle (dans le sens « hors réalité ») du cinéma muet. Cela crée une vitre entre nous et ce qui est montré à l’écran alors que l’accompagnement musical des films muets s’efforce de casser cette vitre. Et, comme vous le dites, cela ajoute aussi le plus souvent une couche d’angoisse comme ce fut le cas ici.