Titre original : « Sanma no aji »
Trois quinquagénaires qui se connaissent depuis le collège invitent au restaurant un de leurs anciens professeurs. Le vieil homme leur raconte qu’il vit toujours avec sa fille qui s’est sacrifiée pour ne pas le laisser seul. De ce fait, Hirayama, veuf lui aussi, se décide à marier sa fille le plus tôt possible pour ne pas devenir comme son ancien professeur… Dernier film d’Ozu, Le goût du saké traite de l’un de ses thèmes favoris : la séparation des générations dans une société en pleine transformation, entre traditions et américanisation. Bien sûr, Le goût du saké peut être vu comme une nouvelle variation de Printemps tardif mais, en réalité, il s’inscrit tout aussi bien dans la lignée de tous les films qui l’ont précédé depuis quinze ans. Dans la forme, on y retrouve tous les éléments constitutifs du style d’Ozu : le déroulement très placide du récit, sans dramatisation et sans spectaculaire, les plans fixes très graphiques, caméra au sol, le regard des acteurs. On note toujours cette profondeur dans le propos avec de nombreux thèmes sous-jacents ou induits, tel celui de la mort qui revient dans plusieurs de ses derniers films. Le goût du saké clôt remarquablement la filmographie de ce cinéaste unique qu’était Yasujirô Ozu.
Elle:
Lui :
Acteurs: Chishû Ryû, Shima Iwashita, Keiji Sada, Mariko Okada, Nobuo Nakamura, Eijirô Tôno, Kuniko Miyake
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site IMDB.
Voir les autres films de Yasujirô Ozu chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Une traduction plus fidèle du titre serait plutôt « le goût du congre », le poisson que le vieux professeur mange pour la première avec ses anciens élèves.
* Le goût du saké est sorti en France fin 1978, quelques mois après Voyage à Tokyo. C’est donc le deuxième film d’Ozu que l’on a pu découvrir en France.
* Yasujirô Ozu est décédé l’année suivante en 1963, deux ans après sa mère avec laquelle il vivait depuis presque trente ans. Sur sa tombe ne figure qu’un seul caractère gravé dans un gros bloc de granit, 無 (mu) qui est un terme bouddhiste zen que l’on peut traduire par « le rien constant » ou « l’impermanence ». La traduction couramment donnée, « vide » ou « néant », semble donc bien incomplète.
Oui, je viens de reprendre quelques verres de saké à la cinémathèque (nouvelle sublime copie restaurée) que nous avions découvert toujours au cinéma Saint André des arts à la suite du succès de Voyage à Tokyo cette même année qui marquait notre découverte d’Ozu. Cette fois ci le film est en couleurs – Ozu y est venu tard, comme il est venu tard au parlant, à l’instar de grands cinéastes du muet réfractaires aux nouvelles techniques comme Chaplin. En dehors du cercle rouge du drapeau japonais, on remarque que la couleur se focalise souvent sur des taches rouges forcément symboliques. Dans ce deuxième film où court une musique qui pourrait être échappée de Nino Rota chez Fellini, on reconnait des acteurs et des lieux de Voyage à Tokyo (un bureau, une rue, un intérieur, un café, jusqu’aux passants…) et surtout un style. On reconnait Chisu Ryu, le père dans les deux films, que l’on croyait âgé dans Voyage à Tokyo – il était vieilli – et qui est plus jeune dans ce goût du saké qui apporte l’ivresse mais pas l’oubli, dans ces jours d’automne. Etre ou ne pas être en famille est la grande question des films d’Ozu, lui qui effectivement ne s’est jamais marié pour rester avec sa mère. On se rend compte à quel point le dernier quart d’heure dans les deux films (la solitude du père) atteint un climax naturellement sans effet. Ces deux premiers films distribués en France (et qui faisaient partie des derniers de son auteur) dessinaient déjà toute l’arborescence passée des films à venir…