Titre original : « Young Mr. Lincoln »
Employé d’une petite échoppe au fin fond de l’Illinois, le jeune Abe Lincoln troque quelques tissus contre des livres de Droit qu’il étudie longuement. A la mort de la jeune fille qu’il aimait, il décide d’aller à Springfield pour se lancer dans une carrière d’avocat… Vers sa destinée (Young Mr Lincoln) retrace donc les débuts de la carrière publique d’Abraham Lincoln, alors qu’il n’était qu’un simple avocat de province. Abraham Lincoln est unanimement vénéré aux Etats-Unis (nous n’avons pas d’équivalent en France) et donc le sujet n’est pas si facile à traiter. La grande réussite de John Ford est de l’avoir rendu très humain et d’avoir évité toute grandiloquence. Son cinéma est, dans le fond et dans la forme, d’une simplicité qui engendre la perfection, l’harmonie. Le scénario s’inspire de faits historiques tout en gardant une certaine liberté (par exemple, le procès décrit a eu lieu beaucoup plus tard dans sa vie, alors qu’il avait largement débuté sa carrière politique). John Ford fait ici un éloge de la ruralité, des hommes ordinaires qui bâtissent la Nation. Henry Fonda est l’incarnation parfaite du jeune Lincoln, à la fois par sa stature, sa prestance, sa simplicité naturelle et la puissance de son jeu (1). Vers sa destinée (Young Mr Lincoln) a longtemps été considéré comme mineur. Curieusement, c’est Eisenstein qui a relancé sa popularité parmi les critiques en déclarant à la fin des années cinquante que c’était, parmi tous les films américains, celui qu’il aurait aimé avoir fait.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Henry Fonda, Alice Brady, Donald Meek, Marjorie Weaver, Pauline Moore, Ward Bond, Arleen Whelan
Voir la fiche du film et la filmographie de John Ford sur le site IMDB.
Voir les autres films de John Ford chroniqués sur ce blog…
Remarques :
(1) Dans son autobiographie, Henry Fonda raconte que lorsqu’un producteur est venu lui demander s’il connaissait Abraham Lincoln, il a répondu : « Je suis absolument dingue de Lincoln. J’ai lu les trois-quarts des bouquins qui lui ont été consacrés ! » L’acteur refusa néanmoins le rôle, comme par crainte de commettre un crime de lèse-majesté. C’est John Ford qui réussit à le convaincre, plusieurs mois plus tard, en insistant sur le côté « petit avocat de province » du héros de son film.
Votre formulation me paraît très juste : « Son cinéma est, dans le fond et dans la forme, d’une simplicité qui engendre la perfection. » J’ai longtemps eu tendance à considérer Ford avant tout comme un auteur de westerns (« My name is John Ford. I make westerns », selon ses propores mots). La perception que j’ai aujourd’hui de ce cinéaste (immense) est un peu différente. Je pense plutôt que Ford n’aura cessé de raconter (recréer) l’histoire de son pays à travers tous ses films, pour en défendre certaines valeurs essentielles ; et naturellement l’histoire de ce pays inclut la (complexe) période de la conquête de l’Ouest.
Son « Young Mr Lincoln », que je n’avais pas revu depuis assez longtemps, m’a impressionné comme peu de films le pourraient aujourd’hui. On trouve notamment, parmi les bonus du dvd, une analyse fort pénétrante de Jean Douchet qui, sous la simple perfection de la forme, décèle et décrypte avec beaucoup de justesse une intention propagandiste à l’heure où se déchaînent en Europe les idéologies totalitaires. Idéologies liberticides auxquelles Ford oppose, sans avoir l’air d’y toucher, ses convictions dans la supériorité des valeurs (tolérance, justice) qui s’incarnent de manière exemplaire dans l’admirable et très humaine figure du jeune Abraham Lincoln, incarné par un Henry Fonda tout en nuances. »Young Mr Lincoln » (« Vers sa destinée ») mérite sans doute le qualificatif de chef-d’oeuvre.
Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse : John Ford n’a effectivement cessé de raconter l’histoire des Etats-Unis pour exalter certaines grandes valeurs. Son thème préféré étant celui du héros ordinaire qui contribue à forger une grande nation.
D’ailleurs sur ce plan (raconter l’histoire de son pays), ce n’est pas si étonnant qu’Eisenstein ait tant aimé ce film. Eisentein et John Ford ont en commun d’avoir, film après film, raconté l’histoire de leur pays (de quels autres réalisateurs peut-on dire la même chose ?)
Quant à l’aspect propagandiste du film, il est certain. Il semble même difficile qu’il en soit autrement tant Lincoln fait partie des grands fondements des Etats-Unis.