18 août 2011

Martin Roumagnac (1946) de Georges Lacombe

Martin RoumagnacDans une petite ville de province, une belle et élégante veuve fait tourner les têtes. Un jeune entrepreneur en maçonnerie en tombe éperdument amoureux… Martin Roumagnac est le seul film que Marlene Dietrich et Jean Gabin, alors amants, ont tourné ensemble. Alors que Les Portes de la Nuit (Marcel Carné) avait été écrit spécialement pour eux, Gabin préféra tourner cette histoire de passion fatale. Il faut bien avouer que le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, surtout du fait de la diction trop guindée de Marlene Dietrich en français (1). Certes, cela crée un décalage intéressant entre les deux personnages, décalage qui comporte des points communs avec leur relation dans la vie réelle (2) mais cela ne suffit pas, d’autant plus qu’il n’y a pas l’étincelle qui aurait pu porter le film (3). Martin Roumagnac reste donc une simple curiosité, hélas. Le film est souvent cité comme charnière dans la carrière de Gabin entre ses rôles populaires et tragiques de l’avant-guerre et ses rôles de gangsters et de grands bourgeois qu’il affectionnera ensuite.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Marlene Dietrich, Jean Gabin, Jean d’Yd, Daniel Gélin
Voir la fiche du film et la filmographie de Georges Lacombe sur le site IMDB.

Voir les autres films de Georges Lacombe chroniqués sur ce blog…

(1) Dans son livre sur sa mère, Maria Riva, la fille de Marlene Dietrich, raconte que Gabin essayait de travailler avec Marlene sur les dialogues : « Arrête de parler aussi parfaitement. Enchaîne les syllabes, ce n’est pas un rôle de baronne. »
(2) Jean Gabin et Marlene Dietrich se quitteront d’ailleurs peu après la fin du tournage. Gabin en sera très affecté.
(3) Explication donnée par Maria Riva : « Ils étaient amants depuis trop longtemps pour faire passer à l’écran une sensualité qui aurait pu sauver le film ».

3 réflexions sur « Martin Roumagnac (1946) de Georges Lacombe »

  1. Je vous trouve assez indulgent avec ce film. J’aurais personnellement mis 2 voire 1 seule étoile à Martin Roumagnac. Il suffit de le comparer à d’autres films sur le même thème de la veuve scandaleuse (par exemple Les Grandes Manoeuvres de René Clair) pour mesurer le fossé qui les sépare. Le jeu de Marlene Dietrich est totalement inapproprié, il plombe le film qui sombre dans la banalité et la médiocrité.

  2. Jean Gabin avait acquis les droits du livre de Pierre-René Wolf, paru en 1935, et avait cherché en vain un producteur pour financer le film qu’il voulait en tirer.
    Après la guerre, la perspective d’un film interprété par Gabin et Dietrich avait provoqué un certain remous dans la profession. Plusieurs producteurs se présentèrent, prêts à accepter n’importe quoi pour signer avec le couple. Gabin y vit l’occasion de ressortir de son tiroir, où il croupissait depuis des années, son fameux « Martin Roumagnac ». Un producteur, Edmond Decharme, avait immédiatement accepté de financer ce film à la condition qu’il soit le premier tourné par Gabin après la guerre, donc avant « Les Portes de la nuit ». Gabin n’hésita pas à rompre le contrat qui le liait à Carné et s’en alla tourner son film.

  3. LE RETOUR DU HEROS DU PEUPLE

    Quoi qu’on ai dit, ici et là, la silhouette et l’allure n’ont pas vraiment changé depuis Remorques (1939). Le poil a un peu blanchi, peut être. Parti sur un chef d’oeuvre de Grémillon (et Prévert) il nous revient avec l’ex assistant du même Grémillon. Pourtant, il ne nous a jamais paru aussi gauche, même si son rôle de naïf provincial et travailleur manuel exige de l’emprunt. Impensable ! Il ne veut ni n’ose danser ! Même dans Gueule d’Amour (encore Grémillon) son personnage en déchéance avait plus de clinquant. Aurait-il changé ? «Qu’est-ce qu’un homme du peuple qui vieillit ?» s’interroge le philosophe/cinéphile Bernard Sichère à propos de ce Gabin d’après-guerre, avant de convenir, comme nous, « qu’il (Gabin) s’assume activement».
    Et puis, au bout d’un moment, on entend « Mais tu vas t’taire, mais tu vas t’taire » avant de, le regard halluciné, tel Gueule d’Amour, tuer la garce, à notre grand soulagement. Oui il nous est vraiment revenu ! Il assume ! Il agit à notre place comme les vrais Héros. Son suicide final -car c’est bien sûr un suicide- sa silhouette seule exposée à la lumière et à l’arme vengeresse de l’exécuteur nous l’assure.
    Autre nouveauté, il «réussit» socialement. L’ouvrier s’est fait patron. Mais rien n’est simple pour l’Homme du Peuple….
    Le scénario, qu’il aimait beaucoup, il avait acquis les droit du livre, lui convenait mieux, pour un Retour, que celui des Portes de la Nuit, qu’il avait refusé (Marlene aussi, Marlène surtout). Quoique…enfin…nous ne saurons jamais…Si, osons: Il lui fallait, sans doute, alors, un projet moins mélancolique et moins ambitieux, moins «casse gueule». Un choix qui ne sera pas sans conséquence, maintenant que nous connaissons la suite des événements.
    Au début, Marlène nous attire par ses jambes, puis nous laisse «monter» vers son regard absent. On reste scotché. C’est bien elle ! A mesure que son personnage évolue, elle s’impose. On risque pas d’oublier, mais Marlene se fait Blanche. L’Aventurière se mue en Indomptable. En amoureuse. On l’aime cette Garce. Était-ce vraiment cela une « aventurière de sous préfecture» (dixit l’Ecran français en 1946) dans ces années là ?
    Blanche/Marlène détourne Martin/Jean de ses amis, de son travail, de sa sœur et même de ses ouvriers/camarades. Tout ou un peu ce que, dit-on, fit rompre alors Gabin de Dietrich ? Regrettait-il les Portes de la Nuit, ses potes Prévert, Carné ?
    Marcel Herrand, en diplomate arrogant, reste le cynique Lacenaire des « Enfants du Paradis », ce qui prolonge notre jouissance. L’indolent Jean d’Yd, magnifique de veulerie, exhibe ses faiblesses tels des tatouages, comme déjà dans « l’Eternel Retour ».
    Lacombe dans les scènes de chantier garde le goût du réel de l’ancien documentariste. Tel Maître Grémillon sa caméra virevolte à la poursuite des personnages pris dans la foule de la réunion de boxe, ou au Grand Café. Son unanimisme nous entraîne dans une farandole parmi la mesquinerie provinciale. La petitesse de sa petite bourgeoisie de sa non moins petite ville y est méchamment mise en vitrine. Cela va devenir un leitmotiv dans les années à venir. Claude Chabrol n’a rien inventé.
    «Martin Roumagnac», du Grémillon sans Grémillon, du Gabin qui ne veut pas danser, est une des premières petites réussites du naturalisme français naissant. Mais Gabin-sans Dietrich-et Lacombe feront bien mieux avec «Leur dernière nuit».

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