Titre original : « Scarface, shame of a nation »
Lui :
Public Enemy, Little Caesar et Scarface sont les trois grands films de biographie de gangster du tout début des années trente. Contrairement à ses deux prédécesseurs, Scarface est une production indépendante : Howard Hughes avait acheté les droits d’un livre d’Armitage Trail mais Howard Hawks et Ben Hecht ont réécrit l’histoire en ne gardant pratiquement rien du livre. L’idée de Hawks était de décrire la montée d’Al Capone « comme s’il s’agissait des Borgia venus s’installer à Chicago ». De fait, on retrouve dans le traitement de l’histoire un certain côté de tragédie, notamment par l’introduction des éléments incestueux de l’histoire des Borgia.
La succession de meurtres et l’absence de jugement moral ne plut guère à la censure de l’époque et la sortie du film fut retardée de plusieurs mois et ne put se faire qu’après avoir tourné une nouvelle fin (1), coupé plusieurs scènes, ajouté un avertissement musclé en prologue (2) et accolé le sous-titre « Honte de la nation ». Ces interdictions peuvent faire sourire aujourd’hui où notre tolérance à la violence est bien plus grande (par exemple, la violence dans le remake de Scarface de De Palma en 1983 est sans aucune mesure) mais l’effet à l’époque était assez fort : ainsi, malgré l’énorme succès populaire, Hollywood prit l’engagement de ne plus tourner un tel déploiement de sauvagerie (4). Pourtant, le recul permet de se rendre compte que Scarface est l’un des films de gangsters qui fait le moins l’apologie du crime. Hawks ne rend pas son personnage sympathique, en revanche il réussit à donner à son personnage une dimension qui appartient à la tragédie et fait de Scarface un film totalement à part.
Note :
Acteurs: Paul Muni, Ann Dvorak, George Raft, Karen Morley, Boris Karloff
Voir la fiche du film et la filmographie de Howard Hawks sur le site IMDB.
Voir les autres films de Howard Hawks chroniqués sur ce blog…
(1) La fin originelle montrait Scarface abattu par la bande rivale. Elle fut interdite. Hawks en tourna une autre, celle que l’on peut voir actuellement. Toujours insatisfait, le comité de censure exigea de retourner une fin où il était jugé puis pendu. Cette version (où une doublure vue de dos a été utilisée à la place de Paul Muni) a été commercialisée bien qu’entre temps Howard Hughes ait réussi à faire rétablir la seconde fin, la plus puissante, qui donne un petit côté de héros romantique à Scarface du fait de cet amour incestueux impossible.
(2) Cet avertissement trouve un prolongement par une scène au milieu du film où quelques notables réunis dans le bureau d’un directeur de journal réclame l’intervention de l’armée et une législation sur les armes. Cette scène fut ajoutée sur ordre du comité de censure.
(3) Avant Scarface, Georges Raft était surtout un danseur mondain dans les cafés. Voyant son manque d’expérience d’acteur et ses postures figées, Howard Hawks eut l’idée de lui faire lancer une pièce de monnaie en l’air. Cette image est restée célèbre et a été maintes fois copiée, y compris (paraît-il…) par de vrais gangsters.
(4) Dans son livre sur le Film Noir (1979), François Guérif parle de Scarface en ces termes : « Scarface aura été le plus grand film de gangster en même temps que leur chant du cygne. Le destin tragique du gangster allait laisser la place à l’éloge de la loi et de ceux qui la défendent. »
(5) Les journaux de l’époque ayant l’habitude de montrer les emplacements de cadavres par un X sur les photos, Howard Hawks s’est amusé à placer de nombreux X dans tout le film, à commencer par la toute première image du générique. Ensuite, à chaque fois qu’il y a un mort, il y a un X quelque part dans l’écran, un croisillon, un X sur une feuille de score, etc…
Remake :
Scarface de Brian De Palma (1983) avec Al Pacino.
Très intéressante chronique, merci !
Juste une question subsidiaire, à laquelle vous accepterez peut-être de répondre: où trouvez-vous toutes ces anecdotes complémentaires sur un film qui date de 1932 ? Connaissances personnelles ? Ouvrages sur le cinéma ? Sites Internet ? Mélange des trois ?
En tout cas, c’est réellement passionnant.
Au plaisir de vous relire.
C’est un film important car c’est un des premiers du genre. Mais il est selon moi très surestimé comme du reste tous les films de H. Hawks. Personnellement je préfère les films de Raoul Walsh qui ont une psychologie moins sommaire. Mais ce que je dis vaut pour l' »ensemble de la carrière de Hawks. Ici on retiendra surtout l’interprétation de Paul Muni qui mérite une réhabilitation pour toute sa carrière.
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@martin K : J’ai pas mal de livres sur le cinéma, achetés en France ou aux Etats-Unis, dans les années 80 pour la plupart (mais je continue d’en acheter) : études, autobiographies, etc… Sur des films-phare comme Scarface, je me suis aperçu hier soir que le nombre de livres qui en parlent directement ou indirectement est énorme… 😉
Les sites internet, je ne les consulte pas vraiment pour chercher des informations : j’ai par exemple une méfiance chronique envers Wikipedia, je n’y vais quasiment jamais, IMDB est bien plus fiable (même si sur Scarface par exemple, ils mettent Richard Rosson en co-réalisateur alors que je n’ai vu nulle part mention de cette collaboration. Peut-être Rossom a t-il tourné la scène rajoutée de la réunion chez le directeur de journal).
@alexandre.clement : Personnellement, j’aime beaucoup Howard Hawks. C’est un réalisateur complet, qui s’est essayé à de nombreux genres avec talent, un vrai auteur y compris dans les années trente. On peut trouver excessif qu’il ait été porté aux nues alors que d’autres réalisateurs comme Walsh effectivement, Ford ou d’autres le méritaient tout autant, d’accord, mais cela n’enlève rien à son mérite…
Tout le monde ici semble avoir oublié « Red River », le pur chef-d’oeuvre, et qualifier Hawks, comme le fait alexandre.clement, d’auteur « surestimé » pour cause de préférer Walsh dont les personnages auraient « une psychologie moins sommaire », est tout simplement grotesque. Hawks est trop subtil sans doute pour certains (ou est-ce Walsh qui serait plus « carré » ?), et c’est heureux car son oeuvre se réserve alors aux « happy few ».
Comparer Hawks à Walsh c’est comme comparer Laurel à Hardy ou Doublepatte à Patachon: ce sont les deux faces d’une même monnaie: la construction , l’invention d’une partie du langage cinématographique sans lequel beaucoup de nos prétendus auteurs d’aujourd’hui n’existeraient pas. A eux deux ils réunissent tout ce qui fait l’essence d’un cinéma en mouvement et de mouvement et couvrent l’ensemble des genres western, comédie, policie, aventures. Que serait la comédie de mœurs si prisée chez nous sans les comédies de Hawks et qu’en serait-il des pirates des caraïbes sans le Capitaine Hornblower ou le Captain’ Wyatt et Tarantino aurait-il été en mesure de faire ses Basterds sans Battle Cry ou les Nus et les Morts?
Put-être que Walsh a un peu trop accepté d’être un metteur en scène au service d’un studio (Warner) d’où certains écarts de qualité, mais revoyez donc Gentleman Jim et dites-moi si vous n’en sortez pas sur un nuage!
Désolé d’avoir été irrévérencieux avec les icones. Je me suis fais reprendre de volée pour avoir osé dire que Hawks n’était pas si grand que ça. Je trouve dans la cinéphilie qu’on ne se renouvelle pas beaucoup. Pour moi Hitchkock et Hawks ne sont que des faux-talents montés en graine par les guignols de la Nouvelle Vague. Depuis que le DVD existe, on peut heureusement redécouvrir des vrais talents, comme Richard Quine par exemple, ou encore Siodmak. Mais même en France ce serait pas si mal si on réévaluait des metteurs en scène très intéressants d’avant la Nouvelle Vague. René Clément, Autant-Lara avant qu’il ne devienne gâteux, et bien d’autres.
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Mais non, alexandre clement, ce n’est pas en en remettant une couche (cette fois contre Hitchkock) que vous pouvez prétendre prêcher la tolérance ou inciter à redécouvrir de vieilles lunes. En bref, avant que l’on ranime la vieille flamme de la guerre « Cahiers-Positif », je sens qu’il est temps de quitter les lieux…
Vous avez raison de souligner que Scarface de Hawks marque un tournant dans le film de gangster des années trente. C’est l’un des derniers films totalement débridés, sans entrave, Hollywood (et la société américaine en général) préparant une reprise en main du cinéma avec notamment le code Hays.