8 août 2009

Mirage de la Vie (1959) de Douglas Sirk

Titre original : Imitation of Life

Imitation of LifeElle :
(pas vu)

Lui :
Mirage de la vie est le dernier film de Douglas Sirk. Il s’agit à nouveau d’un remake d’un film de John M. Stahl. Une jeune femme, voulant devenir actrice et vivant seule avec sa fille de 5 ans prend sous son aile une femme noire, veuve elle aussi et mère d’une fillette du même âge, blanche de peau. Nous les retrouvons dix ans plus tard alors que l’actrice connaît un certain succès. Toutes deux ont des soucis avec leur fille devenue adolescente… Douglas Sirk se retire donc avec un grand mélodrame qui tire toute sa force d’une mise en scène sans faille et d’une interprétation pleine de consistance, particulièrement par les quatre actrices principales. La photographie montre une superbe utilisation de la couleur. Pris au premier degré, le fond du propos est passablement conservateur : ce que Sirk appelle un mauvais simulacre de vie (an imitation of life) est à la fois la vie de cette actrice qui préfère sa carrière à un mariage un peu terne et celle de la jeune fille qui refuse (certes maladroitement) les schémas classiques associés à la couleur de peau de sa mère… (1) Malgré les mauvaises critiques qui soulignèrent le côté mélo, le film fut un énorme succès et la carrière de Douglas Sirk put ainsi se terminer avec un certain panache.
Note : 3 étoiles

Acteurs: Lana Turner, Juanita Moore, Sandra Dee, Susan Kohner, John Gavin
Voir la fiche du film et la filmographie de Douglas Sirk sur le site IMDB.
Voir les autres films de Douglas Sirk chroniqués sur ce blog…

(1) Certains commentateurs modernes affirment qu’il faut dépasser le premier degré conventionnel de Mirage de la Vie et y voir une vision assez ironique et critique sur ces conventions sociales, et y voir même un plaidoyer pour l’émancipation de la femme et l’égalité des races. Peut-être… mais l’ennui est qu’il y a bien peu d’indices indiquant qu’il faut prendre tout cela au second degré et que le titre « Imitation of life » paraît sans équivoque. De plus, les propos de Douglas Sirk à Jon Halliday (dans le livre « Conversations avec Douglas Sirk ») ne vont pas dans le sens d’une interprétation au second degré.
(2) Le gospel dans la scène de l’enterrement est interprété et chanté par Mahalia Jackson.

Version précédente :
Images de la vie (Imitation of life) de John M. Stahl (1934) avec Claudette Colbert et Louise Beavers.

8 réflexions sur « Mirage de la Vie (1959) de Douglas Sirk »

  1. Vous pensez vraiment qu’il aurait suffi d’un peu plus d' »adresse », à une jeune fille noire, aux USA en 1950, pour échapper plus élégamment qu’en répudiant sa mère « aux schémas classiques associés à la couleur de sa peau »? Il est évident que Sirk ne la condamne pas. C’est la société qui condamne cette jeune fille à rentrer dans le rang ou à vivre une « imitation de la vie ». Pas besoin d’aller chercher du second degré pour voir la critique sociale là-dedans.

  2. Si, moi je pense que Sirk la (les) condamne, tout le montre et la fin le confirme. D’ailleurs, sans vouloir polémiquer, voilà ce que Douglas Sirk dit dans ses entretiens avec Jon Halliday :
     » La vie de Lana Turner est une imitation très médiocre… L’imitation n’est pas la vraie vie… Susan Kohner choisit l’imitation de la vie au lieu d’être nègre… On n’échappe à ce qu’on est. » (*)

    La vraie vie, c’est pour Lana Turner épouser un bel homme bien plonplon qui lui dit « maintenant que tu vas m’épouser, plus question que tu ailles travailler » et pour la jeune fille d’épouser la fils du jardinier et de faire tout plein de beaux enfants… Le reste n’est qu’une imitation, méfiez-vous des contrefaçons… 😉

    Mais bon, on est en 1959, pas en 2009; depuis, les mentalités ont évolué. Je trouve toujours que c’est un tort de vouloir absolument interpréter un film qui a été réalisé il y a 50 ans selon nos schémas actuels.

    (*) Je n’ai pas personnellement lu le livre de Jon Halliday. Ces propos sont rapportés dans l’exceeellent livre de  Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier « 50 ans de cinéma américain ».

  3. Si vous aviez vu le film de John Stahl, roi du mélo des années trente, vous auriez tout de suite vu ce qu’il y a de fort et de neuf dans la version de Sirk. Comme toujours avec un scénario improbable, Sirk capte l’attention et fait pleurer la spectatrice au moment qu’il a choisi, ici c’est pour l’enterrement.
    Il est difficile de dire que Sirk était réactionnaire. Bien au contraire, « Imitation of Life » est un vrai film sur l’aliénation. Et Sirk en était tout à fait conscient.
    L’interprétation est incroyable, certes Gavin reste impavide tout le film, Lana Turner fait du Lana Turner, mais Juanita Moore crève l’écran, tout comme Susan Khoner.
    Je l’ai vu plusieurs fois en salle, et chaque fois je suis scotché sur mon siège. L’utilisation du cinémascope dans la scène d’ouverture est tout à fait virtuose aussi.

  4. Merci pour éclairage différent.
    Je ne pense pas que Sirk soit réactionnaire, je parlais du fond du propos (d’ailleurs, j’ai changé « réactionnaire » que je trouve trop fort par « conservateur » que je pense plus approprié).

    Le film ayant été un succès colossal, je me demande comment il a été perçu par la majorité de ses spectateurs. Car tout de même il tend à imposer un certain modèle…

    Sinon, vous avez raison de souligner la belle prestation de Juanita Moore et de la jeune Susan Khoner, nettement plus remarquable que la jeune Sandra Dee (qui, il est vrai, interprète un personnage un peu plus superficiel)

  5. Les films de Sirk sont parmis les plus beaux du monde et Imitation of Life est sans doute le meilleur. Je n’ai jamais été autant bouleversé de ma vie au cinéma.
    « Les films de Douglas Sirk libèrent la tête » avait écrit Fassbinder, grand admirateur de Sirk. Le cinéaste allemand donne d’ailleurs des pistes de réflexion passionnante dans son livre Les Films Libèrent la Tête (L’Arche, 1984).
    Bien à vous.

  6. 1. Curieusement Imitation of Life a été distribué avant « A time to love and a time to die » ce qui a longtemps fait penser que celui-ci était en fait le dernier film de Sirk.
    2. Imitation of Life a été tourné en format « panoramique » (1:85) et pas en Cinémascope (2.66)

    Ceci dit en 59 c’était un film d’actualité drôlement osé en ce qui concerne le rôle de Susan Kohner. Sirk n’est pas connu pour sa distanciation ou son deuxième degré en ce qui concerne ses personnages.
    En 59 la presse féminine regorgeait d’histoires à faire pleurer les bergères et au cinéma on avait droit aux mélos italiens. Impossible aujourd’hui de porter un jugement de valeur sur cette période avec ce qu’on a maintenant l’habitude de voir tous les jours à la télé ou dans la presse people. On allait au ciné une fois par semaine pour y voir des histoires en images. et le public ne s’y est pas trompé, le succés du film est proportionnel aux torrents de larmes deversées pendant les dix dernières minutes du film. Je l’ai revu lors de sa réedition il y a quelques mois: effet toujours aussi garanti.
    Quant au sens du titre disons qu’effectivement il est difficile d’échapper à ce que l’on est sans aller jusqu’à dire qu’il faut être métro-boulot-dodo etc… Et Sirk reste un grand metteur en scène

  7. j’ai vu mirage de la vie quand j’avais 12 ans (j’en ai 36). je me souviens en détail de chaque scène, de chaque plan et connais encore par coeur certaines répliques. Je ne l’ai pas revu depuis. je l’ai commandé en DVD pour le revoir pour la première fois. Je pense que ça va être un gros bouleversement car c’est le film qui m’a le plus marqué de ma vie.
    Je pleure rarement au cinéma mais là je me prépare pour l’émotion que chaque phrase suscitera ( les questions sur les poupées de couleur différente, les reproches sur une mère noire et la culpabilité de sa mort…).

  8. Le chant du cygne (noir)
    C’est donc le dernier mélodrame hollywoodien de Sirk. son titre français, aussi bon et même plus ambigu que l’original – jouons sur les mots – résume à la fois l’oeuvre du cinéaste et déploie le rôle de l’illusion et son image tronquée renvoyée à la face (voir toutes ces séquences avec miroirs dans les films)
    Le superbe générique où tombent en pluie ralentie un simili de pierres précieuses translucides jusqu’à emplir totalement le cadre capte déjà cette quête
    Ce film coupé en deux parties commence lors du mardi gras 47 sur une plage bondée de New-York à Coney island où dans une séquence matricielle d’ouverture se rencontrent les 5 protagonistes de cet édifiant récit distribué en deux couples de mères (veuves) avec chacune leur petite fille, et d’un jeune homme photographe. La particularité énoncée de suite de l’un des couples est que la petite fille de la mère noire a la peau blanche
    Ces deux couples féminins sans emploi que tout sépare et qui vivent très chichement vont s’entraider en s’associant pour parer comme elles le peuvent aux tracas de la vie matérielle quotidienne. Et le rôle du seul mâle s’en trouve effacé et le restera tout au long du récit.
    Tous ces éléments dans l’Amérique bondissante de l’après-guerre représentent une claque, car comment s’en sortir? Echappe-t’on à « son destin »?
    Les années passent – comme dirait Annie Ernaux – et nous rejoignons peu à peu 1957, dix ans plus tard – année du tournage du film – où les perspectives ont changé (société, décors, habits, couleurs, styles de vie) ainsi que les deux enfants devenues des filles de 16 ans, ce qui ne va pas sans relations de plus en plus exacerbées entre chaque couple féminin dont les motivations ont évolué avec la société
    Comment vivre, trouver sa marque et ses aspirations dans une frontière mirage qui ne cesse de renvoyer les images de ce que l’on est vraiment ou de ce que l’on croit être ou de ce que l’on voudrait être…
    Jusqu’où faut-il aller pour se définir libre?
    La distribution est exemplaire. Peu à peu, le couple qui passait pour le N°2 devient le N°1 et Juanita Moore (la femme noire dont l’unique ambition est d’assurer – à sa place – (comme dirait encore Annie Ernaux) – sa modeste condition de domestique noire exemplaire au service d’une femme blanche et d’économiser sa vie durant pour avoir un très bel enterrement) et Susan Kohner (sa fille qui refuse sa négritude et rejette sa mère en se faisant passer pour blanche) sont remarquables
    Le cas de Lana Turner est plus contrasté car on dirait qu’au second degré elle rencontre – joue? – en partie la partition de sa propre vie. L’actrice se relevait d’un drame personnel étalé à la une des médias : sa fille de 14 ans venait de poignarder l’amant de sa mère, le gangster Johnny Stampanato avec qui elle entretenait une liaison orageuse, qui engendra un procès d’assises et fit vaciller la carrière de la blonde Lana
    Elle tourna ce Mirage sans cachet mais avec un pourcentage de 50% sur les recettes. Le public américain fit un triomphe au film, ce qui à la fois la fit pardonner de cette sordide histoire et la rendit riche jusqu’à sa mort. Les studios Universal, au bord de la faillite, remercièrent Sirk de les avoir sauvés
    En France, en octobre 59, le film distribué à la sauvette dans trois salles en version française – l’Eldorado, le Caméo et le Lynx – ne tint l’affiche qu’une seule semaine, le Napoléon refusa de sortir la VO et les indicateurs de fréquentations ne furent même pas comptabilisés, c’est tout dire!
    Avec le temps, comme souvent pour certains films vus à leur sortie par une poignée de spectateurs dans l’indifférence générale, le chant du cygne de Sirk fut réhabilité à sa juste valeur

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