Lui :
Un film très particulier. En adaptant Kafka à l’écran, Orson Welles va très loin dans la voie du cauchemar surréaliste, à tel point, qu’en tant que spectateur, on commence par un stade « mal à l’aise » pour finir proche du rejet. J’ai trouvé par exemple la scène du peintre particulièrement répulsive. C’est regrettable car l’interprétation est assez remarquable avec une brochette d’acteurs plutôt impressionnante.
Note :
Acteurs: Anthony Perkins, Jeanne Moreau, Romy Schneider, Elsa Martinelli, Suzanne Flon, Orson Welles, Madeleine Robinson
Voir la fiche du film et la filmographie d’ Orson Welles sur le site imdb.com.
Voir les autres films de Orson Welles chroniqués sur ce blog..
Lire une présentation plus récente, à la suite du nouvelle vision du film.
j’ai trouvé ce film passionnant avec tous les rouages de la justice et son système qui prend au piège l’homme en l’écrasant sous la culpabilité.le jeu de perkins est remarquable
« Porter des chaînes est parfois plus sur que d’être vivant »
K est ciblé, laminé puis éliminé par un ou plusieurs pouvoirs anonymes munis de forces destructives broyant un organisme de défenses harcelé par des interrogatoires uniquement basés sur l’auto persuasion d’un mal en soi.
Le complexe de culpabilité s’entretient dans des décors démesurés. Un processus d’extermination comprime un homme dans des pièces basses de plafonds pour soudainement le projeter dans des salles gigantesques robotisées ou accusatrices jumelées à un Adagio répétitif.
Il faut atteindre péniblement des tribunes surélevées. Côtoyer des créatures offertes sur des tonnes d’archives servant de support d’étreintes. Encaisser de soudains revirements incohérents. Se miniaturiser dans un péplum architectural archaïque ou moderne.
Survivre à la claustrophobisation d’une pièce exiguë scrutée par des regards adolescents joueurs et moqueurs. S’enfuir terrorisé dans des passages criblés de raies de lumières. Soutenir l’impossibilité de communiquer à travers une baie vitrée.
K endure son Golgotha dans un cauchemar de dominances et de soumissions en alternances. Certains tyrans se retrouvent tyrannisés par leurs propres systèmes. Les femmes s’offrent sans tarder puis congédient rapidement. K perd pied en s’enfonçant dans le royaume le plus redoutable: L’incompréhension.
L’acharnement administratif procédurier fait rage, l’incohérence, le rabaissement continuel par un geste éprouvant autant qu’inutile lamine un visage de plus en plus décomposé. L’escalade est prescrite afin de se disculper devant des accusateurs lubriques entretenant une paranoïa individuelle par un pseudo procès susceptible de toucher n’importe lequel d’entre nous. Le système n’a pas la maturité de s’apercevoir qu’en pulvérisant une ressource il se dynamite de l’intérieur.
Orson Welles cinéaste surdimensionné en lui-même et dans son œuvre offre un travail exceptionnel. Le procès opus de référence d’un noir et blanc indispensable à sa valeur livre des clairs obscurs magnifiques. Certains plans extérieurs d’une luminosité blafarde offrent des brèches contemplatives étonnantes.
Un processus de démolition cauchemardesque calibré dans une technique contenant quelques pépites de Citizen Kane font de cette merveille paranoïaque un esthétisme baroque de premier ordre.
« Le procès » œuvre maîtresse d’un technicien hors pair déploie les vérités d’un visuel déprimant mais terriblement accrocheur, presque attirant.
WELLES / KAFKA : MEME COMBAT
Orson se meut depuis des années dans une situation kafkaîenne (tournages inachevés, productions fantômes, acteurs chez les confrères, son oeuvre inachevée atteint presque le chiffre de ses films terminés), alors, oui, Kafka…
En 1962, « Le procès » n’échappe pas à la règle : retrait du producteur une fois le tournage commencé à Zagreb, production arrêtée, montage financier complexe, acteurs non rémunérés, modifications de dernière minute des lieux de tournage, etc. Mais c’est compter sans l’expérience d’Orson avec ce genre de situation, alors il tourne quand même et l’action de Prague sera filmée à Paris. Le titre original, double en allemand puisqu’il signifie aussi « le processus », ne saurait mieux convenir à la situation, les deux termes conviennent parfaitement
Orson déporte dans le monde contemporain la trame kafkaîenne du début du siècle et contracte le récit sur très peu de temps au lieu d’une année imprimant par là-même un enchainement de vitesse prenant K de cours
« Il fallait qu’on eut calomnié Joseph K; un matin, jour de son trentième anniversaire, alors qu’il n’était pas encore levé pour se rendre à son bureau, sans avoir rien fait de mal ni de répréhensible, il fut arrêté »
Orson substitue par translation au labyrinthe mental décrit par K un labyrinthe spatial : K, l’homme du labyrinthe. Courte focale, grand angle, contre plongée écrasante, travelling fou, changement de dimension des objets et décors, c’est l’illustration d’un monde concentrationnaire et totalitaire. (Woody Allen reprendra ce principe dans Ombre et brouillard, hommage, ou Woody en lui prêtant son physique devient le petit homme anonyme K)
L’appareil de la dictature bureautique finit par broyer le solitaire et anonyme K parce qu’il fait lui-même partie de cet ensemble, donc il est coupable. L’explosion finale renvoie au péril atomique redouté en ce début des sixties
La trame et les personnages de Kafka sont là, incarnés par des comédiens prestigieux, Anthony Perkins bien inspiré en tête, Orson s’étant réservé le rôle de l’avocat vivant dans un amoncellement de papiers et dossiers, reflet de Kane
Monsieur K c’est moi, semble nous dire Orson à travers ce film, K comme Kane, comme ArKadin, une adéquation tellement flagrante!
Un des coups de génie d’Orson fut d’avoir encore une fois saisi les aléas du tournage pour utiliser magistralement le dédale de la gare d’Orsay désaffectée dans l’aménagement de ses fabuleux décors naturels avant sa transformation en musée. Coup de chapeau au décorateur Jean Mandaroux et au chef op Edmond Richard
L’adagio d’Albinoni accompagne les stations de K; il devint du jour au lendemain aussi célèbre que le sera dix ans plus tard l’adagietto de Gustav Malher pour le Mort à Venise de Mann/Visconti
Ce 9ème film d’Orson sortit en première mondiale à Paris à Noêl 1962, j’y étais