Titre original : « Sabotage »
Titre U.S.A. : « The Woman Alone »
Londres est soudainement plongé dans le noir à la suite d’un acte de sabotage de la centrale électrique. Un enquêteur de Scotland Yard surveille le directeur d’un cinéma… Sabotage (Agent secret) est adapté du roman de Joseph Conrad The Secret Agent, titre qui ne pouvait pas être utilisé puisque Hitchcock venait d’achever un autre film portant ce titre. Bien qu’il ait été très mal reçu à l’époque, c’est un très bon film où le cinéaste s’attache à créer un suspense qui se révèle assez fort. Comme le film précédent d’Hitchcock, Sabotage est handicapé par le choix des acteurs : John Loder en policier est assez terne (Hitchcock voulait Robert Donat qui n’a pu se libérer), Oscar Homolka est trop sympathique et le couple qu’il forme avec Sylvia Sydney n’est pas crédible. Mais ce n’est pas à cause de l’interprétation si le film a été si mal reçu. [Attention, la suite de ce commentaire va révéler un point important, arrêtez-ici votre lecture si vous comptez regarder le film prochainement.] Ce que le public n’a pas pardonné au cinéaste, c’est de faire mourir le jeune garçon après avoir construit un suspense très fort autour de lui : « C’est une très grave erreur de ma part » analyse le cinéaste a posteriori (1). Il s’agissait pourtant d’un élément très réaliste et c’est, bien entendu, une réaction très naïve de la part du public de vouloir que les personnages qu’il a pris en affection soient toujours sauvés in extremis. Toujours est-il que cela a scellé le destin du film. Une autre scène très forte est celle du repas : Sylvia Sydney, Oskar Homolka et… le couteau. Là, c’est du grand art, et accessoirement un superbe exemple de la manipulation du cinéma car cette scène, par sa construction, son montage et surtout la formidable utilisation d’un objet, le couteau, transforme finalement un meurtre en demi-suicide… Sabotage est donc un film intéressant à plus d’un titre.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Sylvia Sidney, Oskar Homolka, John Loder
Voir la fiche du film et la filmographie de Alfred Hitchcock sur le site IMDB.
Voir les autres films de Alfred Hitchcock chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Alfred Hitchcock…
Sylvia Sydney dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock
Remarques :
* En visionnant Sabotage aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser aux attentats de Londres de 2005 où une bombe a explosé de façon similaire dans un bus. A noter que dans le film d’Hitchcock, les motivations ne sont pas clairement identifiées : les commanditaires des attentats veulent déstabiliser la société par la peur mais le cinéaste ne les rattache à aucun mouvement politique.
* Cameo d’Alfred Hitchcock (difficile à repérer et incertain) : Juste au moment où la lumière revient (8’50), au premier plan de l’attroupement devant le cinéma, Hitchcock passe très rapidement au premier plan en regardant en l’air. (Nota : Le cameo listé par Wikipédia français ne correspond à aucune scène de la version que j’ai vue)
* Ne pas confondre :
Secret Agent (titre français : Quatre de l’espionnage) d’Alfred Hitchcock (UK 1936)
Sabotage (titre français : Agent secret) d’Alfred Hitchcock (UK 1936)
Saboteur (Titre français : Cinquième colonne) d’Alfred Hitchcock (USA 1942)
Desmond Tester, le jeune garçon dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock
(1) « Il y a une très grave erreur de ma part : le petit garçon qui porte la bombe. Quand un personnage promène une bombe sans le savoir comme un simple paquet, vous créez par rapport au public un très fort suspense. Tout au long de ce trajet, le personnage du garçon est devenu beaucoup trop sympathique pour le public qui, ensuite, ne m’a pas pardonné de le faire mourir lorsque la bombe explose. » (Hitchcock / Truffaut, Ramsay 1983, p. 88)
Lorsque Hitchcock parle ensuite d’une variante possible, François Truffaut a une remarque intéressante : « C’est très délicat de faire mourir un enfant dans un film ; on frôle l’abus de pouvoir du cinéma. » Hitchcock approuve.
Oskar Homolka et Sylvia Sydney dans Agent secret (Sabotage) de Alfred Hitchcock avec (hors champ)… le couteau.
Au-delà du sort de l’enfant, c’est un film très noir. L’inadéquation des acteurs ne m’avait pas frappée, mais j’avais surtout noté que les principaux personnages sont proches de la dépression, et que même la fin n’est guère optimiste sur le plan de leur devenir. Bien sûr, le « méchant » est mort et la fin est donc positive sur le plan politico-social, mais elle reste triste et guère emballante sur le plan humain (même si rien n’est fermé non plus).
Bref, les personnages sont eux-mêmes un peu sinistres — non pas parce qu’ils seraient sans intérêt, mais parce qu’ils n’ont guère d’espoir ou subissent des drames. Cela rend ce film assez peu enthousiasmant… et pourtant je me souviens l’avoir beaucoup apprécié ! Noir, oui, mais justement : c’est une réussite dans le genre.
La scène avec le garçon me laisse perplexe. Je comprends la remarque a-posteriori d’Hitchcock ou celle de Truffaut, mais je n’approuve qu’à moitié. C’est justement parce que « ça ne se fait pas » que c’est très fort de l’avoir fait. En effet, dans les conventions cinématographiques, la scène doit se terminer autrement. C’est donc une scène anti-conventionnelle, qui surprend par son refus d’un retournement attendu. Une scène audacieuse et hors-norme. Donc une bonne scène.
« Très noir », je ne sais pas… je n’ai pas vraiment trouvé.
La motivation du mari pour faire ce qu’il fait est essentiellement l’argent, pas vraiment le désespoir (sa salle de cinéma ne marche pas très bien mais il ne sont pas au bord du gouffre).
Elle, de son côté, est à priori heureuse avec son mari qu’elle pense être « le plus gentil des hommes ». Maintenant, le fait que le couple ne soit guère crédible peut nous laisser penser qu’elle n’est pas sincère en disant cela, mais je ne suis pas certain car tout d’abord le fait que le couple apparaisse aujourd’hui guère crédible ne veut pas dire qu’il paraissait comme tel au moment de la sortie du film, ensuite c’est à mon avis essentiellement un problème d’acteurs (il paraît trop âgé et il n’y a aucune proximité entre eux).
Je suis d’accord avec vous pour dire que la scène avec l’enfant est une bonne scène. Audacieuse, c’est certain. La réaction de Truffaut m’a aussi surpris, c’est pour cette raison qu’elle m’a semblé intéressante à rapporter. J’interprète son qualificatif « d’abus de pouvoir » dans le sens où l’enfant est finalement l’une des figures les plus puissantes pour véhiculer l’innocence, l’empathie du public avec un enfant est quasi automatique, le faire mourir est sans doute une façon un peu trop facile de jouer avec les sentiments des spectateurs.
Ces entretiens ont été faits dans les années soixante, mais la remarque me semble toujours pertinente aujourd’hui. Le niveau de violence accepté par le public est aujourd’hui X fois plus élevé, mais les émotions, les sentiments générés par l’image de l’enfant sont restées au même niveau.
Ah, tiens, alors il faudrait que je le revoie (je l’ai en DVD dans une collection d’Hitchcock, donc je pourrai facilement).
Car je me souviens d’avoir compris la femme comme ayant fait simplement un mariage « de raison », et enfermée dans une situation sans perspectives, sans enthousiasme. Je l’avais trouvée résignée, donc malheureuse.
D’ailleurs, le souvenir que j’en ai est marqué par la résignation : résignation de la femme dans cette situation matrimoniale destinée uniquement à protéger son petit frère (si mon souvenir ne me trompe pas, c’est bien son frère, et non son fils d’un premier mariage ?), résignation du policier qui aime la femme sans espoir et qui est mal à l’aise à espionner ces gens-là, résignation de la femme (à nouveau) à la fin lorsqu’elle est prête à se laisser arrêter et qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle va devenir…
Je crois que j’avais « transformé » les performances moyennes des acteurs en choix d’interprétation ;-), et là où vous voyez un jeu terne, je voyais des personnages volontairement ternes et tristes, enfermés dans une vie terne. Cela ajouté au sort du garçon, à une certaine obscurité de plusieurs scènes (dans mon souvenir en tout cas), m’en avait donné un souvenir très noir — d’autant que j’avais dû le voir entre deux Hitchcock de type « comédie ». À revoir et re-percevoir, donc.
Oui, à la réflexion, vous avez certainement raison car il est vrai que son mariage est un mariage de raison pour protéger le petit frère de la rue (oui, c’est bien un petit frère) et tout compte fait, ce couple que je trouve non crédible est sans doute voulu ainsi par Hitchcock : un couple mal assorti.
En revanche, je sais pas si j’irais jusqu’à dire que le jeu terne des acteurs est un choix d’interprétation, surtout en ce qui concerne John Loder le policier.