Titre original : « Saikaku ichidai onna »
Au XVIIe siècle, O’Haru est Dame d’honneur à la cour impériale de Kyoto. Après s’être laissé courtiser par un homme de moindre rang que le sien, elle est chassée et exilée à la campagne avec sa famille… La Vie d’O’Haru femme galante est adapté d’un roman écrit en 1686 par Saikaku Ihara, écrivain très connu au Japon. Il retrace le parcours d’une femme qui va connaitre la déchéance, passant par de nombreuses situations mais subissant à chaque fois des règles sociales faites pour les hommes et où la femme ne reçoit aucune considération. C’est donc une profonde critique de la société et du comportement des hommes de cette époque féodale, certes révolue au moment où Mizoguchi tourne son film mais qui trouve des prolongements dans notre société moderne. L’art de Mizoguchi est de traiter cette histoire sans mélodrame, montrant avec une belle simplicité et même un certain dépouillement cette fatalité subie. Il se dégage une indéniable beauté de ses images où tout parait à la fois simple et parfait et le propos ne prend que plus de force. Kinuyo Tanaka montre beaucoup de retenue et de délicatesse dans son interprétation. A noter que Mizoguchi ne fait pas vieillir son personnage tout au long du récit ce qui donne un caractère atemporel au film.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Kinuyo Tanaka, Tsukie Matsuura, Ichirô Sugai, Toshirô Mifune, Daisuke Katô
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.
Voir les autres films de Kenji Mizoguchi chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* C’est avec La Vie d’O’Haru femme galante que l’Europe a découvert Mizoguchi lors du Festival de Venise en 1952. Auparavant, Kurosawa était le seul cinéaste japonais connu (depuis peu) en Occident.
* Le film a été tourné avec un budget très réduit, forçant Mizoguchi à utiliser un entrepôt au lieu d’un véritable studio. Le bruit des trains d’une voie ferrée proche obligeait à interrompre fréquemment le tournage.
* Le court rôle de Toshirô Mifune dans ce film sera la seule participation de l’acteur à un film de Mizoguchi.
Pour en savoir plus sur l’écrivain Ihara Saikaku (1642-1693) : lire….
Elle se souvient
Des uns, des ans
Des parents, de l’enfant
Des lunes et des chants
Elle se souvient
Des couperets du temps
Des manches mouillées du kimono
flottant dans le vent
Elle se souvient
Des crissements de bambous
Perdus sur l’étang
La vie d’O’Haru est le premier Mizoguchi sorti à Paris en 1954 dans une seule salle en VO (deux ans après sa découverte à l’internationale à Venise, et deux ans après la sortie parisienne de Rashomon de Kurosawa, premier japonais à franchir le monde occidental dans les mêmes conditions; inutile de préciser que ces films – et les suivants – à cette époque n’atteignirent que peu de spectateurs et jamais ceux de province). Les films qui sortirent ensuite (Les 7 samourai pour Kurosawa et Les amants crucifiés pour Mizoguchi, ainsi que La porte de l’enfer qui reçut une palme d’or à Cannes) nous faisaient demander pourquoi ces cinéastes ne se préoccupaient pas du Japon moderne. Pendant plusieurs années les noms magiques en onomatopées du couple Kurosawa/Mizoguchi résonnèrent comme le Sésame du cinéma japonais
Quand on découvre O’Haru – qui se déroule donc dans le Japon féodal – Mizoguchi est à la fin de son oeuvre et de sa vie, lui qui a débuté dans le muet – il meurt en 1956. Evidemment pour nos yeux d’occidentaux c’est une triple découverte, celle d’un pays et d’un de ses cinéastes, et celle d’un récit provenant d’un monde du passé dont nous ne connaissons ni l’histoire, ni les rites et codes. Alors on s’attache à ce qu’est profondément et universellement le film : le portrait d’une femme, narré, peint comme un biopic à travers des épisodes choisis de sa vie, une lente et longue déchéance humaine, une femme engluée dans une situation – liée à sa condition et au poids de la hiérarchie sociale et patriarcale – qui la dépasse et la broie implacablement et qui l’emporte, de jeune fille de bonne famille, en vieille mendiante, via la case de la prostitution et autres revers. Son père, pour se dégager – vainement – de ses dettes la vend comme geisha à une maison de plaisirs. Episode qui renvoie à un traumatisme d’enfance subi par le jeune Mizoguchi lorsque son propre père vendit de la même façon la propre petite soeur du cinéaste
Tout le film nous parvient par l’expression de sa mise en scène, mélange de raffinement sensible et de cruauté, qui suit en magnifiques plans séquences parfois statiques parfois mouvants le parcours incarné – à la japonaise, c’est à dire avec la distance d’un masque – par l’actrice fétiche du cinéaste : Kinuyo Tanaka (43 ans à l’époque) que Mizoguchi filme à l’identique, que l’héroine soit censée avoir 14 ans au début de son récit ou la soixantaine à la fin, car le récit est livré en flash back : O’Haru se souvient de sa vie où peu à peu elle perd tout avec abnégation, jusqu’à l’enfant qu’elle a eu.
C’est un puissant mélodrame (Sirk Ophuls Minnelli Fassbinder) qui nous révèle que Mizoguchi – on ne le sait pas encore – est un portraitiste engagé dans la dénonciation de la condition féminine.
Vivre, est-ce se détacher et renoncer aux biens terrestres de ce monde? C’est une des réflexions liées à la richesse du film qui ne craint pas les silences et les pauses aussi bien que les soudains éclats.
Quand je pense que la critique cinématographique nous parle que de Rashomon alors que ce film de Mizoguchi lui est bien supérieur selon moi, il m’avait d’ailleurs mis une belle claque la première fois que je l’ai vu, alors que Rashomon lui ne m’avait pas spécialement marqué … la musique traditionnelle japonaise jouée au shamisen à la fois belle et dramatique qui se retrouve dans les films de Mizoguchi: c’est toujours un plaisir !