25 février 2015

Fisher King – Le Roi pêcheur (1991) de Terry Gilliam

Titre original : « The Fisher King »

Fisher King - Le roi pêcheurJack est un animateur de radio populaire pour son franc parler mais très imbu de sa personne. Lorsqu’un déséquilibré prend certains de ses propos désinvoltes comme une incitation à aller tuer sept personnes dans un restaurant, il abandonne tout et se laisse aller. Il rencontre un clochard dans lequel il entrevoit un moyen de se racheter… Pour la première fois, Terry Gilliam n’a pas écrit lui-même le scénario de Fisher King, il est signé par Richard LaGravenese. Le projet était visiblement ambitieux, il est patent que Terry Gilliam désirait réussir à la fois sur le plan artistique et commercial (son film précédent Münchhausen avait été un échec) et mettant sur pied un grand film riche aux connotations fantastiques. Il semble vouloir revisiter le mythe du Graal mais surtout celui de Don Quichotte qui lui permet de nous gratifier de très belles scènes comme celle où il transforme l’immense hall de la Gare centrale de New York en une gigantesque piste de danse. Outre les superbes plans dont Gilliam a le secret (ah, cette plongée vertigineuse sur une limousine noire aux milieu de taxis jaunes), Fisher King est aussi l’occasion de puissantes prestations d’acteur : Robin Williams et Jeff Bridges sont ici dans l’un de leurs meilleurs rôles et on peut en dire autant de Mercedes Ruehl (c’est elle qui gagnera l’Oscar). Le quatrième personnage principal, Lydia (Amanda Plummer), est étonnamment traité comme un personnage de dessin animé, on peut sans doute y voir là certaines intentions commerciales. Elles sont encore plus nettes lors du dénouement, en parfait happy end. Malgré ces petites faiblesses, Fisher King reste un film assez puissant.
Elle:
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Robin Williams, Jeff Bridges, Mercedes Ruehl, Amanda Plummer
Voir la fiche du film et la filmographie de Terry Gilliam sur le site IMDB.

Voir les autres films de Terry Gilliam chroniqués sur ce blog…

Fisher King
Robin Williams et Jeff Bridges dans Fisher King de Terry Gilliam.

5 réflexions sur « Fisher King – Le Roi pêcheur (1991) de Terry Gilliam »

  1. The Fisher King est clairement mon film préféré de Terry Gilliam — cinéaste que j’adore déjà en général.

    Outre deux thèmes majeurs (« les » deux thèmes majeurs ?) de Terry Gilliam, quête du Graal et statut de la folie versus la « normalité », il aborde et développe dans un remarquable entrelacement la question de la culpabilité et celle du deuil — et la difficulté à les surpasser. Les cheminements croisés de l’animateur radio et du clochard les amènent logiquement (et de façon très crédible) à dépasser leur drames et à une véritable renaissance.

    Comme vous le soulignez, Jeff Bridges est absolument exceptionnel dans son rôle, tandis que Robin Williams tient également l’un de ses meilleurs, où il parvient à rester sobre et émouvant (ses quelques « williamseries » outrancières sont finalement limitées, contrôlées et parfaitement cohérentes et nécessaires dans le déroulé de l’histoire : c’est l’un des rares films ou, dans les quelques passages où Robin Williams se déchaine, il ne donne pas l’impression d’échapper à son metteur en scène mais au contraire de « jouer » juste et précis).

    La scène introductive est en outre incroyablement maîtrisée, telle un thriller conduisant imperceptiblement vers une grande claque. Rien d’étonnant pour un grand cinéaste, certes, mais cela contraste avec le « bordel organisé » des scénarios habituels de Terry Gilliam — « bordel organisé » que l’on retrouve ensuite dans le reste du film, comme il se doit.

    Je peux comprendre vos réserves liées à l’ambition du film, qui réunit drame, comédie loufoque, psychologie, mélo, spiritualité… La fin un peu mélo peut dérouter. Mais pour ma part, elle ne me gène aucunement car jouer ce style à ce moment-là est sans doute la meilleure, voire la seule, façon de maîtriser cette fin nécessaire (c’est-à-dire de nous donner du recul, que les conventions « mélo » nous conduisent à prendre). Compte-tenu du thème central, la fin devait être positive ; dès lors cette mise en scène est un effet de style tout aussi distancié, à sa manière, que les autres passages. Et elle n’est pas trop appuyée, puisque le passage précédent (l’expédition aventureuse de Jeff Bridges) relève d’un ton totalement différent, incluant une bonne dose d’humour (qui n’a pas ri aux éclats en voyant comment il est attifé pour cette expédition, et comment il l’entreprend ?).

    Et puis bon, certes il y a un happy end, mais il n’est pas téléphoné. Bien au contraire, le personnage de Jeff Bridges reste ambigu, commence par se renier, etc. La scène où il « ignore » le travesti en allant à son rendez-vous rééquilibre totalement ce que vous reprochez à la fin : il n’y a pas rédemption simpliste, le personnage peut encore se comporter avec cynisme et égoïsme, mais il évolue, il « grandit » de façon cohérente et crédible.

    J’insisterai sur un aspect, rarement évoqué alors qu’il est absolument fondamental et qu’il éclaire intégralement le film : la décision finale du personnage de Jeff Bridges illustre directement la légende du Roi Pêcheur. C’est lorsqu’il ne cherche plus « l’utilité » (pour lui directement ou à travers les autres), c’est lorsqu’il adopte une réelle empathie, au sens premier et philosophique du terme, qu’il peut trouver le Graal, qu’il peut guérir (et surtout sauver « incidemment » le vieux propriétaire du château : c’est en agissant par amour qu’il se retrouve en situation de « faire le bien » de façon imprévue, et c’est le seul qui vaille, dans la perspective de cette légende à la gloire du bien non-intentionnel mais découlant de l’empathie).

    De ce point de vue, The Fisher King appartient à la très rare catégorie des films qui réussissent à conter et mettre en scène une intention. De la même manière que Ivre de femmes et de peinture parvient, par sa mise en scène, à transcrire cinématographiquement les questionnements et les choix artistiques et personnels du personnage principal, The Fisher King parvient à transcrire cinématographiquement le cœur de la légende du Roi Pêcheur (qui illustre par ailleurs parfaitement l’essence du taoisme, mais c’est une autre histoire). Rien que pour cela, je considère ce film admirable comme un incontournable absolu, avec le maximum d’étoiles possibles, cela va sans dire ;-).

    NB : Je ne comprends pas trop pourquoi le traitement « comme un personnage de dessin animé » du deuxième personnage féminin trahirait des « intentions commerciales ». Je ne vois vraiment, mais vraiment pas ce qu’il y aurait de « commercial » ici ! Bien au contraire, c’est un choix étrange et audacieux (à la Terry Gilliam), et ce personnage lunaire est un beau contrepoint aux deux héros tourmentés.

  2. Merci pour ce commentaire. Vous soulignez beaucoup de points intéressants.

    Je continue tout de même de penser que le film aurait mérité une autre fin, positive certes mais autre que la fin standard et syndicale que l’on trouve dans 95% des films hollywoodiens. Elle tranche nettement avec le reste du film. L’autre faiblesse du scénario (à un degré moindre) est effectivement le personnage de Lydia qui me semble être une facilité de scénariste pour générer de façon téléphonée certains sentiments chez le spectateur (amusement > tendresse > compassion). Il m’a donné l’impression d’être le produit de l’application de règles scénaristiques.

    D’ailleurs, à ce sujet, on peut remarquer que tous les scénarios écrits ultérieurement par Richard LaGravenese sont très conventionnels (même si Sur la Route de Madison et L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux sont deux films que j’ai beaucoup aimés, du moins à leur sortie car j’ai un peu peur de les revoir 😉 )

  3. Ah, oui, je conçois que le personnage de Lydia et ce à quoi il conduit dans le déroulé du récit relèvent d’une forme de convention. Quitte à trouver une « situation » permettant à Jeff Bridges d’aider Robin Williams (et à ce dernier de renaître), j’admets que le choix d’une histoire d’amour est convenu et peu original.

    Mais finalement, c’est justement très brillant… puisque ce qui est intéressant est la manière dont Terry Gilliam traite une telle situation, la manière dont il pervertit les codes hollywoodiens.

    Le clochard est amoureux transi d’une belle ? Hop, la belle en question est plutôt quelconque (rien à voir avec 99% des films ayant une telle situation), elle est aussi givrée que le clochard, lunaire, décalée, maladroite, elle a une voix nasillarde… N’en jetez plus !

    L’ex-animateur radio torturé veut aider son ami à conquérir sa belle ? Hop, il monte un plan totalement loufoque et tordu, avec un travesti délirant et des scènes invraisemblables et impensables, avec un moment où le clochard est près de sauter (littéralement) sur la copine de l’ex-animateur — alors même qu’il se prépare à une rencontre avec sa belle, etc.

    Le ressort scénaristique est peut-être bateau, mais c’est justement sur cette base que se construisent les meilleurs films, grâce au second degré, aux décalages et à la façon de détricoter les codes. Et c’est précisément ce que fait cette partie de The Fisher King.

    En outre, un moment violent et dramatique « porte » d’autant plus qu’il est précédé d’un moment calme et joyeux : le contraste est essentiel dans les effets (ce qu’oublient certains films prétendument « d’horreur » qui sont tellement linéaires qu’ils n’ont plus aucun effet). Il fallait donc bien une séquence drôle et romantique (mais toujours décalée : la non-conclusion entre les deux tourtereaux n’est pas vraiment hollywoodienne) pour que l’horreur qui suit soit vraiment horrifique.

    Bref, je continue à trouver l’équilibre très bien construit, et les personnages et situations pertinents. Et je ne trouve toujours rien de racoleur ou commercial dans le déroulé du film, bien au contraire — sauf éventuellement la toute fin (pas celle dans l’hôpital, dont j’ai déjà dit pourquoi je ne vois guère comment il aurait été possible de faire mieux en faisant autrement, mais celle qui concerne le couple Jeff Bridges / Mercedes Ruehl : là, oui, c’est un peu « trop beau » et ça aurait pu être évité sans dommage pour le reste du film ; mais c’est anecdotique).

    D’ailleurs, même le côté « fin mélo » est traité de façon décalée, avec la toute dernière scène des deux héros dans Central Park la nuit, à poil et chantant de la comédie musicale ! Même dans le mélo, Terry Gilliam crée un espace et sort des sentiers battus.

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    Je reviens un instant sur le contraste entre la séquence « romantique » du tête-à-tête entre le clochard et sa belle après le repas au restau… et la scène violente qui suit.

    J’ai l’impression que c’est justement l’une des marques de fabrique, et même l’un des fondements essentiels, du cinéma de Terry Gilliam. Gilliam crée des « climats » et agence ces climats selon une structure très rigoureuse.

    Chez lui, ce n’est pas la linéarité du récit qui prime (ce qui peut dérouter : ses films ont un aspect « bordélique » souvent) mais la structure. Les éléments du récit sont au service de la structure, et non pas l’inverse. Je pense qu’il faut voir ses films comme il faut écouter les albums des années 70 de Pink Floyd : comme des œuvres architecturales. Le lexique (récit ou mélodie) devient secondaire par rapport à la syntaxe (structure, climats, organisation).

    Chez Terry Gilliam, l’humour apparaît parfois là où on ne l’attend pas (ici lorsque l’ex-animateur part à l’assaut du château ; dans L’armée des 12 singes lors de quelques plans où les personnages sont « hors-champ » et où le son laisse croire qu’il se passe complètement autre chose que ce qui se passe en réalité, etc.), pour jouer sur les ambiances, pour faire retomber la tension… et parfois permettre qu’elle remonte donc d’un cran ensuite, etc. Parce qu’il est au service de la structure.

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    Dans votre rubrique d’anecdote sur le film, il peut être intéressant de noter qu’à un moment, le personnage de Mercedes Ruehl cite la phrase latine omnia vincit amor, qu’elle traduit ensuite : « Love conquers all ». C’est un clin d’œil à Brazil, que les producteurs avaient voulu sortir dans une version édulcorée sous ce titre — information que je tiens de vous-même dans l’article consacré à Brazil ;-).

  4. Mmm.. sur le personnage de Lydia, vous avez sans doute raison. J’ai eu peut-être tort de le percevoir si mal. Ils auraient pu tout de même moins forcer le trait, je comprends bien qu’il s’agissait de nous faire un personnage qui semble comme inadapté au monde qui l’entoure, mais ils pouvaient le faire sans appuyer si fort.

    Ce que vous dites sur l’importance de la structure est intéressant. Terry Gilliam a toujours aimé faire des cassures, des tournants brutaux dans le récit. Quand je repense à ce qu’il faisait à l’époque du Flying Circus : Terry Gilliam était celui qu’on ne voyait pratiquement jamais à l’écran mais, dans chaque épisode, il y avait un de ses « collages » : ses petites histoires avec des dessins découpés étaient souvent faites sur le principe des « cadavres exquis », une situation en enchaînant une autre sans soucis d’avoir une ligne générale cohérente. Déjà là, c’est la structure qui l’intéressait (et bien entendu l’humour).

    Amusante votre mention au sujet de « Love conquers all »… je n’avais pas fait le rapprochement!

  5. Étrangement, et peut-être pas tant, ce qui reste gravé dans mon coeur, c’est le personnage de Mercedes Rhuel. Cette femme complètement affirmé, qui sait ce qu’elle veut, qui est capable de l’exprimer, qui le fait furieusement et de façon flamboyante. La scène érotique entre Anne et Jack est l’une des plus belle qu’il m’ait été donné de voir. À mon avis elle transcende toutes les autres scènes de ce film, qui sont souvent elles-mêmes assez trancendantes.

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